Dans le nord de la Cisjordanie, Mazen Jerbawi produit du lait avec
lequel il fait des glaces et du fromage italiens 100% naturels. Portrait d’un visionnaire de l’agriculture biologique.
La success-story de Mazen Jerbawi, 54 ans, n’a pas commencé dans un avion pour l’Amérique, mais par un trajet de retour vers sa Palestine natale. Après vingt ans à Washington, cet homme doux et chaleureux a en effet choisi de rentrer dans les environs de Jénine, sa ville d’origine, dans le nord de la Cisjordanie. C’était en 2001 ; une nouvelle intifada ravageait déjà cette terre qu’un haut mur de béton ne tarderait plus à fracturer.
“Je m’étais bien intégré parmi les Américains, signale pourtant Mazen avec empressement. Mais nos cultures étaient trop différentes : l’argent avait beaucoup d’importance pour eux. Et puis mes parents se faisaient vieux, j’avais envie de m’occuper d’eux.” Après avoir travaillé de longues années dans le domaine associatif aux États-Unis, l’émigré s’en retourna donc au Proche-Orient.
Lire aussi >> Victorine Alisse: un regard sur ceux qui cultivent la Terre Sainte
Ancien étudiant en droit à Beyrouth puis en économie à l’université Georgetown de Washington, rien ne déterminait Mazen Jerbawi, fils d’un comptable et d’une institutrice palestiniens et aujourd’hui père d’un bébé de six mois, à devenir l’un des pionniers de l’agriculture biologique en Cisjordanie. Self-made-man, il y est parvenu sans avoir reçu la moindre formation agricole.
Une idée fixe animait toutefois son projet : nourrir ses congénères avec des produits naturels et de qualité.“En Palestine l’agriculture utilise beaucoup de produits chimiques, déplore l’homme à la silhouette athlétique. Ce n’est pas sain pour le corps et par conséquent, ce n’est pas sain pour l’esprit !”
Légumes du soleil
Nous voici à Umm at-Tut, village rural situé au sud-est de Jénine. Des champs s’étendent à perte de vue, parsemés çà et là d’oliviers et d’arbres fruitiers. Ses produits baladi (“de chez nous”, en arabe, autrement dit locaux), Mazen les vend directement à la ferme, chérissant plus que tout la proximité avec le consommateur. Depuis quelques mois, des panneaux solaires offrent à cette exploitation l’autonomie énergétique.
Mazen Jerbawi fait bien pousser quelques tomates, courgettes et autres “légumes du soleil”, mais sa spécialité à lui, c’est le lait. Avec ses 26 vaches et 90 brebis, il produit du fromage de qualité : palestinien, bien sûr, mais aussi italien. Pas si fréquents, la mozarella (au lait de vache) et le pecorino (au lait de brebis) made in Palestine ! L’agriculteur a appris à les faire lors d’une douzaine de séjours en Italie. C’est aussi de là qu’il a ramené les trois machines qui servent à leur fabrication.
Lire aussi >> La grenade, fruit de saison, fruit de religion
L’agriculteur espère ainsi diversifier la production palestinienne pour contribuer à la rendre moins dépendante des importations. La prochaine étape, c’est le fromage français. “Mais pour apprendre à le faire, je vais avoir besoin d’aide ! Vous n’auriez pas des contacts à me donner ?” Auprès des Européens qu’il rencontre, Mazen insiste pour avoir des conseils. “Je me fiche de leur argent”, assure-t-il, vaguement exaspéré.
Encore des projets
Certains Palestiniens, surpris de découvrir ici des produits occidentaux, pourraient lui reprocher de céder à une forme de “mondialisation culinaire”.Dans une interview au journal israélien Haaretz en 2012, Mazen rappelait toutefois qu’il essaie d’importer du bio, pas du McDo ! Mais ici, les consommateurs sont sans doute moins habitués qu’en Europe aux laïus sur les bienfaits de l’agriculture biologique…
Pour ceux que les discours ne convaincraient pas, il reste le pur plaisir gustatif. Car en plus du fromage, Mazen doit sa renommée aux glaces traditionnelles italiennes qu’il fabrique sans produits chimiques ni conservateurs. Elles sont vendues sur le campus de l’université de Jénine, dans une boutique sobrement appelée “Gelato” et tenue par des commerçants palestiniens. On y sert aussi d’excellentes pizzas à base de fromage italien. Entre midi et deux, la terrasse ne désemplit pas d’étudiants affamés.
Le dernier rêve de Mazen est de rendre plus attractive sa Cisjordanie agricole. Alors il envisage de miser un jour sur l’agrotourisme, en bâtissant des infrastructures destinées à l’accueil des visiteurs. “Mais pas avant quelques années, précise-t-il. Pour l’instant ce n’est qu’une “vision”.” Cette expression, tout droit tirée du lexique du rêve américain, pourrait-elle nous faire croire en un palestinian dream ? τ
Dernière mise à jour: 19/11/2023 21:53