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La colère palestinienne n’en finit pas d’enfler

Mélinée Le Priol
8 octobre 2015
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Dans les territoires palestiniens et à Jérusalem, intifada ou pas, les affrontements se multiplient. Partout, ce sont les mêmes expressions de frustration ou de peur. Des sentiments que les politiques n’arrivent plus à calmer. Reportage en Cisjordanie et à Jérusalem.


(Jérusalem) – Il pleure sur Jérusalem. En ce mercredi d’octobre, l’automne semble avoir gagné la « trois fois Sainte », qu’un généreux soleil de fin d’été flattait encore il y a quelques jours. Dans les ruelles humides de la vieille ville, l’ambiance est électrique, les passants pressés. Il faut dire qu’un peu avant midi, une nouvelle attaque a eu lieu ici, à mi-chemin entre la porte de Damas et le mur des Lamentations. Une Palestinienne de 18 ans, habitante de Jérusalem-Est, aurait poignardé dans le dos un homme juif de 35 ans qui aurait répliqué en lui tirant dessus, la blessant grièvement. « J’ai vu la scène et ce n’est pas vrai, elle n’avait pas de couteau ! » assure Ayman, qui tient une boutique de souvenirs sur la Via dolorosa. Quoi qu’il en soit, le quartier demeurait étroitement surveillé mercredi après-midi, quelques heures à peine après la fin de l’interdiction pour les Palestiniens ne résidant pas dans la vieille ville d’y circuler – une mesure exceptionnelle, prise dimanche 4 octobre par le gouvernement israélien pour éviter une escalade des violences.

Les 1500 policiers postés ces jours-ci à Jérusalem, dont 600 dans la vieille ville, semblent pour l’heure incapables, tout comme les gouvernements israélien et palestinien, d’éviter les attaques qui s’y déroulent. Tout d’abord concentrés autour de l’esplanade des Mosquées (les Palestiniens redoutent qu’Israël autorise les fidèles juifs à venir y prier), les affrontements se sont étendus le week-end dernier à toute la région. En deux semaines, sept Palestiniens et quatre Israéliens ont perdu la vie dans ces violences, et des centaines de Palestiniens ont été blessés par les balles réelles ou en caoutchouc des soldats israéliens qui répliquent à leurs jets de pierres. Mercredi 7 octobre, un Palestinien a été tué après avoir attaqué au couteau un soldat israélien dans le centre d’Israël tandis qu’à Ramallah, une manifestation palestinienne avait été infiltrée par des agents israéliens.

A Bethléem, les heurts ont fait un mort lundi 5 octobre, Abed al-Rahman, qui n’avait que 13 ans. Le lendemain, des milliers de Palestiniens s’étaient réunis près de chez lui, dans le camp de réfugiés d’Aïda, pour assister à l’arrivée du corps de leur dernier « martyr », dont le portrait devenu poster s’étalait déjà sur les murs du camp et les vitres des voitures. La colère a rapidement pris le pas sur l’émotion des condoléances : un instant après la dispersion  de la foule endeuillée, des dizaines de jeunes se sont rendus au mur de béton qui les sépare d’Israël. Là, ils se sont adonnés à une pratique rendue célèbre par les Intifadas de 1987 et de 2000 : le lancer de pierres, auxquelles les soldats israéliens ont répliqué par du gaz, des tirs et un liquide toxique. Résultat, un blessé grave. « Le martyr est le fioul de l’Intifada », résume Mustafa, Palestinien de Jérusalem qui guide des touristes à travers la Cisjordanie. Des funérailles sont souvent l’occasion, en effet, de nouvelles explosions de violence.

Celles de ces jours-ci présentent, par rapport aux deux précédentes Intifadas, une caractéristique intéressante : ni l’Autorité palestinienne, ni le Fatah, ni le Hamas, ni aucune faction palestinienne ne semble les contrôler. Dépassés par une rue qui ne leur accorde plus sa confiance, les partis peuvent au mieux essayer de « récupérer » les attaques a posteriori, mais n’en sont certainement pas à l’initiative. « C’est la première fois qu’un soulèvement palestinien de cette ampleur n’est pas soutenu par les partis politiques, confirme Mustafa, le guide touristique. Pour autant, la police palestinienne ne nous barre plus la route des lieux de confrontation. Pour Mahmoud Abbas, c’est un moyen de faire pression sur Israël, à qui il semble dire : prenez vos responsabilités d’occupants, débrouillez-vous avec ça ! » Contrairement à son prédécesseur Yasser Arafat, l’actuel président s’est néanmoins toujours refusé à encourager la violence de la rue, et cette position de principe ne semble pas sur le point de changer.

Bien sûr, la politique n’est pas totalement absente des manifestations de ces derniers jours. Au rassemblement de condoléances pour Houzeifa Othmane Souleimane, 18 ans, tué dimanche 4 octobre à Tulkarem, des jeunes ont fait éruption dans la cour familiale endeuillée en brandissant des drapeaux du Hamas et en scandant ses slogans. Même chose au camp d’Aïda, mardi, en l’honneur du jeune Abed al-Rahman. Cette fois, à ces drapeaux verts faisaient concurrence les drapeaux jaunes du Fatah. Deux de ceux qui les portaient ont accepté de parler, mais sans donner leurs noms. « On était trop jeunes pour faire la seconde Intifada, racontent ces adolescents. Aujourd’hui, c’est à notre tour d’exprimer notre colère. »

Dans l’imaginaire de ces jeunes insurgés, qui ont parfois moins de 15 ans, les Intifadas ont été élevées au rang de mythes. « Surtout la première, estime Fadi Kattan, membre de l’OLP, car elle est plus éloignée dans le temps. » Dans les affrontements de ces derniers jours, les références lui sont nombreuses, à commencer par les codes vestimentaires qu’ils adoptent, camouflant souvent leur visage sous un keffieh ou une cagoule noire. Fadi Kattan estime néanmoins que les Palestiniens ne sont pas prêts pour une nouvelle Intifada. « Nous manquons d’organisation à l’échelle locale, ainsi que d’un but précis : si on ne veut plus de l’Autorité palestinienne, que demandons-nous pour demain ? En plus, une Intifada finirait très certainement par profiter à Israël et au Hamas, tout en confortant l’Occident dans le cliché selon lequel les Palestiniens sont tous des terroristes… »

Quinze ans quasiment jour pour jour après le déclenchement de la seconde Intifada, la situation a bien changé pour les Palestiniens. Un mur de béton a été érigé entre Israël et Cisjordanie ; la bande de Gaza a été placée sous embargo et est désormais contrôlée par un Hamas pas vraiment décidé à se réconcilier avec le Fatah, son rival historique ; les citoyens arabes d’Israël se sont vus privés de nouveaux droits ; enfin et surtout, la colonisation s’est intensifiée. Quelque 600 000 Israéliens vivent désormais dans des implantations juives de Jérusalem-est et de Cisjordanie, dont presque les deux tiers du territoire sont contrôlés par l’armée israélienne. A l’heure où les extrémistes de Daesh sèment la terreur dans les pays voisins et où l’Europe fait face à une vague exceptionnelle de migrants, le conflit israélo-palestinien est passé au second plan des préoccupations des pays occidentaux. Ils se sont déjà cassé le nez sur d’impossibles pourparlers de paix.

Alors les Palestiniens se sentent plus seuls que jamais. Certains, comme Isam Alsafadi, doivent composer au quotidien avec des voisins encombrants, les juifs extrémistes de la colonie Yithsar, qui jouxte son village d’Orif, au sud de Naplouse. « Ils sont venus deux fois brûler ma voiture et dix fois envahir ma maison, raconte ce jeune grand-père d’un ton las. J’ai dû installer des alarmes, des caméras de surveillance et même mettre des barreaux aux fenêtres ! » Depuis qu’un couple d’Israéliens a été criblé de balles dans sa voiture non loin de là, jeudi 1er octobre, Isam fait des nuits blanches. « On doit veiller, pour empêcher les colons d’entrer dans le village et d’attaquer nos maisons ! » Installé sur le toit de sa vaste demeure surmonté d’un drapeau palestinien, il fait le guet, aidé de quelques amis armés de battes de bois et de sacs de cailloux. Les colons, eux aussi, leur lancent des pierres, assure Isam. « Ça, c’est nous qui leur avons appris », ajoute-t-il fièrement. Tout aussi fièrement, il exhibe un casque d’aviateur qu’il a ressorti de son grenier, pour se protéger la tête des projectiles. « C’est sûr, ça me rappelle un peu l’Intifada… »

Ces Palestiniens font souvent part de leur regret de ne pas avoir vu des journalistes s’approcher plus tôt de leurs villages ou camps de réfugiés : « Vous ne venez que pour les enterrements de nos martyrs, mais c’est trop tard », se voit-on parfois reprocher. « Personne ne nous aide, tout le monde s’en fiche, déplore Rim, une étudiante de 20 ans à l’université al-Quds. Tout ce qui nous reste, ce sont des pierres à lancer. Je ne veux pas d’une nouvelle Intifada, car on se ferait tous tuer, mais nous devons quand même nous battre. » « C’est notre devoir de Palestiniens, de défendre notre terre et notre mosquée al-Aqsa, renchérit Ali, étudiant de 24 ans dans la même fac. C’est humain, un instinct de survie. Si je ne le faisais pas, je me sentirais indigne des souffrances endurées par mes parents et grands-parents depuis 1948. »

Face à l’expression de cette colère palestinienne, les dirigeants semblent désemparés. Après avoir tenu un discours plutôt musclé à l’ONU mercredi 30 septembre, dans lequel il menaçait à mots couverts d’enterrer les accords d’Oslo, Mahmoud Abbas affirme ne pas vouloir d’une « escalade militaire ou sécuritaire ». Quant à Benjamin Netanyahou, il a annoncé un renforcement du déploiement militaire à Jérusalem et en Cisjordanie, ainsi qu’une série de mesures dissuasives : la multiplication des détentions administratives pour les suspects palestiniens ou encore l’accélération des destructions des maisons appartenant à des « terroristes ». Si Mahmoud Abbas subit la pression du Hamas, Netanyahou subit celle de son gouvernement, le plus à droite de l’histoire d’Israël. Des milliers de colons israéliens ont manifesté sous ses fenêtres lundi 5 octobre, tandis que certains ministres lui demandent de construire une nouvelle colonie en réponse à l’assassinat de deux Israéliens près de Naplouse, il y a tout juste une semaine : attentat qui fut l’une des étincelles initiales, à l’origine de l’embrasement actuel. 

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