L’université de Bethléem pour préparer l’avenir
L’Université de Bethléem est la plus ancienne université de Palestine. Elle est catholique et administrée par les Frères des Écoles Chrétiennes. Avec les fils spirituels de saint Jean Baptiste de La Salle, découvrons quel rôle cet établissement de premier plan entend tenir dans la société palestinienne.
Frère Jean-Manuel est en grande partie à l’origine de la création de l’Université de Bethléem.Encore alerte et tout sourire, ce Palestinien originaire de Jérusalem commence par nous raconter les origines de sa vocation et de l’Université. Les deux sont intimement liées chez ce fils spirituel de saint Jean Baptiste de La Salle.
Avec sa famille, il fuit la guerre de 1948 pour se réfugier au Liban. Il avait 16 ans. À 25 ans, sa vocation pour l’ordre lassallien se révèle sans équivoque. Celle-ci lui fut soufflée par un frère d’origine maltaise qu’il appelait avec ses camarades de classe “frère Now”. “On l’appelait ainsi, dit frère Jean en français, prononçant chaque mot avec douceur et soin, parce qu’il répétait sans relâche et avec enthousiasme : “C’est maintenant (now en anglais) que vous préparez votre avenir ! maintenant !” Nous étions très attachés à lui, son esprit était plein de fraîcheur !”
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Plus tard, Frère Jean-Manuel devint le directeur de l’école de La Salle à Bethléem, à l’endroit même où se trouve l’Université aujourd’hui. Cette école fut fondée en 1909, elle avait trois classes et excédait rarement les 50 élèves. Frère Jean cherchait à rendre utile l’étendue du terrain en possession des frères. En 1972, il proposa, suite à la visite du pape Paul VI en 1964, au Délégué apostolique (ambassadeur du Saint-Siège en Palestine) Pio Lagui, de construire une Université. “J’avais la vague idée d’une Université, dit-il, parce qu’après le lycée, seuls les privilégiés poursuivaient des études supérieures.”
Contexte conservateur
“Le pape demanda à Frère Charles Henry, le premier supérieur général Américain de l’ordre, d’envoyer trois frères pour lancer le projet, poursuit frère Jean. On envoya donc trois frères, l’un expert en levée de fonds, le second comptable, le troisième universitaire.” Les lieux qui accueillaient une école Lassalienne se préparèrent en 1973 à accueillir leurs premiers universitaires. La première année, on compta 112 étudiants. Aujourd’hui, plus de 40 ans plus tard, l’Université en accueille quelque 3000.
Chaque frère à une tâche précise. “Moi, j’ai été chargé d’enseigner l’anglais et ce fut ma mission pendant 35 ans”, dit avec un léger accent libanais, frère Jean aujourd’hui à la retraite mais qui vit toujours dans le campus, non loin de l’endroit où il fit autrefois son noviciat.
“L’Université est ouverte à tout le monde, explique Georges Rishmawi, chargé de communication à l’Université. La réalité sociale fait que 70 % des étudiants sont musulmans et 30 % chrétiens, 75 % des étudiants sont aussi des filles.”
L’Université de Bethléem s’inscrit dans un contexte conservateur. Les parents préfèrent envoyer leurs enfants étudier autant que possible près de chez eux. “Certes, aucune étude n’a été faite sur l’impact de l’Université sur l’immigration, cependant sa création a certainement permis à de nombreuses personnes de faire le choix de rester”, selon Rishmawi.
Coopérations extérieures
Aujourd’hui la direction est composée d’une équipe mixte de frères et de laïcs, chrétiens et musulmans. Le chancelier, occupant principalement des fonctions de représentation, est le Délégué apostolique. Le vice-chancelier, président et chef exécutif, est toujours un frère des Écoles chrétiennes.
“Les frères sont très ouverts, explique Rishmawi. Ils considèrent que le travail pédagogique doit être fait avec l’ensemble de la population. Cette ouverture est d’autant plus naturelle et nécessaire que les chrétiens ne représentent que 2 % de la population. Travailler exclusivement avec les chrétiens serait par ailleurs maladroit et contraire au message chrétien.”
Le coût annuel des études d’un étudiant de l’Université de Bethléem est de 4 000 dollars soit 3 600 euros. Mais les étudiants ne participent que pour 1400 dollars soit 35 %. Par conséquent, l’Université doit trouver 65 % de son budget chaque année par le biais de levées de fonds. Les grands pays donateurs sont les États-Unis, certains pays européens, comme l’Allemagne, et tout récemment aussi des pays du Moyen-Orient. “L’Université vit sur ces fonds, souligne Rishmawi, il est essentiel que cela soit soutenu par des infrastructures internes génératrices de revenus.”
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Malgré la situation politique – qui réduit fortement la mobilité physique et académique des Palestiniens – l’Université de Bethléem travaille sur l’ouverture et la coopération avec les autres facultés du pays. C’est le cas au niveau national avec l’école polytechnique d’Hébron où l’Université de Bir Zeit. Il existe aussi des programmes d’échanges avec de nombreuses Universités américaines et européennes comme celles de Villanova, Liverpool, Saint-Mary Collège, Köln, ou en encore Handong Global University en Corée du Sud.
Majorité musulmane
“Nous sommes heureux d’apprendre que le Vatican a reconnu officiellement la Palestine, déclare frère Peter Bray, président et vice-chancelier de l’Université de Bethléem. Nous voulons participer à la construction de la Palestine. Une des manières d’y contribuer est de former des personnes éclairées, créatives, et désirant partager leurs connaissances.”
Frère Peter Bray, néozélandais, svelte à la voix douce et à l’accent soigné, est à la direction de l’Université de Bethléem depuis sept ans. Visitant l’Université avec d’autres frères, quelques années auparavant, il ne pensait pas revoir la Terre Sainte. Très vite, il se voit assigner la direction des lieux. “Sans aucun doute c’est l’une des tâches les plus difficiles dont on m’a chargé et que j’ai acceptée. L’extrême complexité de la situation, les multiples facettes, tant politiques, familiales, tribales, que militaires dans laquelle nous vivons, rendent le travail à la fois très complexe et imprévisible.”
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La présence d’une majorité musulmane interroge de nombreux groupes qui viennent visiter le campus. “Nous sommes fiers d’être une Université catholique où les musulmans se sentent à l’aise. Nous sommes chrétiens et nous suivons le Christ. Si nous revenions au temps du Christ qu’est-ce qu’il aurait fait Lui ? Il faut reprendre l’Évangile selon saint Jean, chapitre 10, verset 10 : “Moi je suis venu pour que les brebis aient la vie, et qu’elles l’aient en abondance.” Ainsi nous essayons de fournir un environnement optimal pour que nos étudiants vivent une vie de plénitude qu’ils soient musulmans, chrétiens, ou athées.”
Échange et performance
Alors que l’Université est lassallienne, les professeurs viennent de tous bords de la société. Ils sont considérés par les frères comme étant leurs partenaires et insistent avec eux sur l’importance de chaque étudiant. “Nous voulons que lorsqu’un étudiant achève ses études chez nous, il ressente qu’il a été très bien traité, souligne frère Bray. Ces élèves nous ont été confiés par leurs parents et nous avons la responsabilité d’honorer cette confiance.”
Par ailleurs l’Université accueille 30 % de chrétiens, un nombre important considérant le faible pourcentage de chrétiens en Cisjordanie et Jérusalem. En Palestine, dans certaines régions, un musulman peut passer toute une vie sans rencontrer un chrétien. L’Université est occasion de connaissance et d’échange. “Mon espoir est qu’à travers ces rencontres réciproques ils arrivent à dialoguer, à se comprendre de mieux en mieux, et à tisser des amitiés. Et qu’en fin de compte, en revenant dans leurs communautés respectives, qu’ils puissent aider à atténuer les préjugés.”
Tout en souhaitant soutenir d’avantage les chrétiens locaux, les écoles chrétiennes en Terre Sainte et l’Université de Bethléem contribuent à former une classe dirigeante. “Vera Baboun, la maire de Bethléem, explique frère Bray, est une diplômée de l’Université. Il y a de nombreux autres qui sont à présent ministres.”
Depuis sa fondation, l’Université, forcée par l’armée israélienne, a du fermer ses portes à 12 reprises. Ces fermetures étaient dues aux nombreuses interventions militaires israéliennes en Cisjordanie. Les priorités se voient alors redéfinies et portées au repliement. “Notre priorité était de mener à bien l’année universitaire. Ces dernières années, l’armée israélienne n’a pas perturbé le déroulement des cours. Nous commençons à réfléchir avec une perspective plus large.”
Au milieu d’un contexte de conflit l’Université se voit confier un rôle pédagogique mais aussi de réconfort. “Personnellement, lorsqu’un étudiant entre pour la première fois à l’Université, je veux qu’il sache qu’il est en sécurité. Nous voulons que cet endroit soit un oasis de paix et que cette expérience soit rehaussée par la beauté du lieu et que dans cette beauté, parce qu’elle n’est seulement matérielle, il y ait une atmosphère bienveillante qui les aide à vivre une vie de plénitude. La mission lassalienne est de changer l’esprit de l’enseignement. Nous voulons dans la façon dans laquelle nous échangeons avec nos élèves, révéler l’amour de Dieu pour eux.”
Service, respect et faire grandir
En janvier 2013, l’Université a acquis le Mont David avec la contribution considérable de la Custodie de Terre Sainte. Sur ce domaine sera construit un hôtel et un restaurant dans le cadre de l’enseignement professionnel de l’école hôtelière de l’Université. Ce chantier fait partie d’une longue liste de projets supervisés par frère Bray. Cependant le premier projet de la série est celui de la rénovation de la bibliothèque construite en 1978. “Je voulais que le premier projet soit la rénovation de la bibliothèque pour transmettre un message pédagogique. Un lieu où la vie intellectuelle peut être maintenue.”
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L’essence de la mission de saint Jean-Baptiste de La Salle est le service, la construction de communautés, le respect et l’accroissement de l’individu. “De La Salle insiste autant sur le contenu enseigné que la manière d’enseigner, a rappelé frère Bray. Nous devons toucher le cœur de nos étudiants dans la douceur et le respect. Un de nos plus grands défis est de garder l’espoir vivant ici. Parce que l’espoir est de faire face à la situation dans laquelle ils se trouvent et leur montrer qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils ne sont pas oubliés, a-t-il ajouté. Le plus important c’est d’être en solidarité avec eux dans les moments les plus difficiles et les plus violents.”
“C’est un endroit extraordinaire, mais plus j’y reste, moins je vois une solution au conflit. Il y a 40 ans j’aurais dit la même chose à propos de l’Afrique du Sud, l’Irlande du Nord, l’Allemagne, ou le Timor Oriental, ajoute frère Bray. Cependant, malgré tout, la paix a prévalu. Et c’est précisément en cela que j’espère, que malgré tout, au-delà de ma compréhension, la paix surviendra. Et de quoi aura besoin la Palestine lorsque la paix sera là ? De jeunes Palestiniens éduqués, ingénieux, et créatifs. Nous disons qu’il y a toujours une meilleure manière de faire les choses, il faut y travailler sans relâche.”
Dernière mise à jour: 19/11/2023 22:05