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2016, l’aube tragique entre l’Iran et l’Arabie Saoudite

Elisa Pinna
12 janvier 2016
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Même dans un Moyen-Orient désormais habitué au pire, la soudaine escalade musclée entre Saoudiens et Iraniens du début d’année 2016 sème la peur. Non seulement quant à la dégradation possible des conflits déjà en cours en Syrie, en Irak et au Yémen - où Riyad et Téhéran se battent déjà usant de leurs alliés respectifs - mais pour une possible confrontation directe entre les deux puissances régionales se transformant en conflit généralisé.


Même dans un Moyen-Orient désormais habitué au pire, la soudaine escalade musclée entre Saoudiens et Iraniens du début d’année 2016 sème la peur. Non seulement quant à la dégradation possible des conflits en cours en Syrie, en Irak et au Yémen – où Riyad et Téhéran se battent déjà usant de leurs alliés respectifs – mais pour une possible confrontation directe entre les deux puissances régionales se transformant en conflit généralisé qui ne laisserait aucune place à la négociation entre sunnites et chiites.

Récapitulons les faits : le 2 Janvier dernier, le gouvernement saoudien décapite l’imam et chef de file historique de l’opposition interne chiite Nimr Al-Nimr. La colère éclate dans le monde chiite et plus spécialement en Iran, des groupes mettent feu à l’ambassade et au consulat d’Arabie Saoudite respectivement à Téhéran et à Mashhad. Le royaume des Saoud rompt tout échange et ses relations diplomatiques avec l’Iran, suivi de près par certains pays du Golfe qui ferment leurs ambassades ou réduisent leur personnel. L’Iran bloque toutes les importations de biens Saoudiens et prolonge l’interdiction récente adressée à ses citoyens d’aller prier à la Mecque et Médine, "pour des raisons de sécurité" (le 24 septembre de l’année dernière, lors du pèlerinage solennel du Hajj, 770 pèlerins dont pas moins de 460 Iraniens décédèrent à Mina, non loin de La Mecque, à cause d’un mouvement de foule ; le gouvernement de Téhéran fut parmi les plus sévères à critiquer les Saoudiens pour un non respect des normes de sécurité des pèlerins). L’Iran accuse également les forces saoudiennes d’avoir bombardé l’ambassade d’Iran à Sanaa au Yémen. La diplomatie internationale tente de persuader les deux rivaux de baisser de ton mais la situation reste pour l’heure tendue.

«Quand les Saoudiens ont décidé d’exécuter l’imam Al Nimr, ils savaient que cela provoquerait quelque chose en Iran. Bien que ne sachant pas exactement quoi », note l’analyste iranien Reza Marashi.

Le moment ne pourrait être plus délicat. Téhéran arrive à la fin de l’embargo économique international – après l’accord de juillet 2015 dans lequel l’Iran renonce à son programme nucléaire – et se prépare à l’élection du nouveau Majlis (Parlement) et du Conseil des Experts (l’organisme qui nomme Guide suprême) prévue pour le 26 février ; de plus la poursuite des négociations sur la Syrie sont entrées dans une phase cruciale dans laquelle l’Iran et la Russie jouent un rôle important ce qui n’est certainement pas du gout des Saoudiens.

Le gouvernement saoudien, exécutant un imam chiite accusé seulement de délits d’opinion, "essaye d’exporter régionalement ses craintes et ses problèmes internes", fait remarquer un porte-parole du gouvernement iranien.

Ce n’est un secret pour personne : l’Arabie saoudite voit le rapprochement entre Washington et Téhéran comme une menace à son pouvoir régional. En outre, les coûts de la guerre, jusqu’à présent sans succès, contre les rebelles Houthi (chiites) au Yémen et la chute des prix du pétrole, dont le commerce est la base de l’économie nationale, ont saigné les coffres de la famille royale. Le déficit budgétaire dépasse les 100 milliards de dollars, et les dirigeants de Riyad ont dû imposer des mesures d’austérité et des impôts à une population peu disposée à les accepter. Quoi de mieux pour rassembler les esprits contre l’ennemi détesté chiite ?

D’autre part, l’assaut sur l’ambassade saoudienne à Téhéran a violé un des principes de base des relations internationales à savoir le respect des ambassades étrangères ; mais ce n’est pas une "première" en Iran, l’ambassade des États-Unis en 1979 et l’ambassade de la Grande-Bretagne en 2011 avaient elles aussi été mises à feu. « Laissez-en quelques-unes à brûler aux futures générations ! » plaisantent sur les réseaux sociaux des fanfarons Iraniens.

Au-delà des plaisanteries, cette fois, personne n’a revendiqué la responsabilité de l’attaque et les autorités iraniennes – du Président Rouhani aux Gardiens de la Révolution – ont exprimé la condamnation de ces actes et de leurs auteurs. « Ils ont voulu faire vaciller la politique étrangère iranienne de ces deux dernières années », a commenté le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. D’autres "accidents" pourraient mettre en sérieuse difficulté l’autorité iranienne actuelle modérée qui, après la fin de l’embargo et la réouverture de l’Iran dans le monde, porte l’espoir d’une victoire électorale.

Et ce n’est pas seulement en Arabie saoudite que l’on pousse à l’exaspération. En Iran, il existe une aile   radicale, formée par les Pasdaran et le clergé chiite, alignée sur la formule « le pire est le mieux » et qui, durant la période de l’embargo, a prospéré accumulant une énorme richesse et consolidé la base de son pouvoir. Les semaines à venir sont pleines de pièges. A se mettre en travers il y a aussi le Congrès américain, à majorité républicaine, qui entend promulguer de nouvelles restrictions à l’encontre de l’Iran, sapant les accords signés par le secrétaire d’État John Kerry. Dans une prison saoudienne attend aussi quelqu’un d’autre. C’est Ali, petit-fils de l’imam chiite exécuté, arrêté lorsqu’il était mineur pour avoir organisé une manifestation en faveur de son oncle. S’il venait à être décapité et crucifié, comme il en a déjà été statué, les conséquences pourraient être vraiment catastrophiques.

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