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Saint François était-il juif ? Aux origines d’un mythe

Père Pietro Messa OFM*
15 janvier 2016
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Dimanche prochain, 17 janvier, le pape se rendra à la synagogue de Rome. Il y a quelques jours le grand rabbin Riccardo Di Segni a raconté que, lors de plusieurs contacts et réunions avec le souverain Pontife, il était arrivé d’évoquer les racines juives présumées de Saint François. Il s’agit en fait d’un mythe. En expert, le franciscain Pietro Messa nous explique comment ce mythe est né.


Dans une interview donnée au journal italien Corriere della Sera au sujet de la visite que le Pape François rendra ce dimanche 17 janvier à la synagogue de Rome, le grand rabbin Riccardo Di Segni a fait allusion à plusieurs contacts et rencontres avec le Pape et affirmé que dans les discussions avait avant tout été « abordé des questions pratiques, des visions du monde, des arguments historiques ». Parmi ceux-ci figure le cas du « successeur direct d’Ignace de Loyola, Lainez Diego, qui était d’une famille marrane, des Juifs convertis » ; le rabbin a également témoigné avoir « parlé de François d’Assise » avec le pape. Interrogé afin savoir s’il avait été fait allusion aux possibles origines juives du saint d’Assise, Di Segni a répondu : « prétendues origines car je pense que ce n’est qu’un mythe. En fait, nous en avons parlé avec humour ».

La lecture de cette déclaration nous remémore ce que disait Giovanni Miccoli : « Le fait qu’un homme devienne un symbole a toujours une raison en soi ». Pour quelles raisons quelqu’un, dans le passé, a-t-il pu dire que saint François était d’origine juive ? La réponse se cache dans les archives au travers de différents actes notariés. En effet, dans la « Documentation de la vie d’Assise » – dont un expert fut le père franciscain Cesare Cenci qui l’a publiée en trois volumes épais – on peut noter que la maison de Pierre Bernardone, le père de François, se trouvait en face de celle d’une famille juive. C’est précisément pour cette raison – également renforcée par l’idée que les deux bâtiments voisins pourraient être pris en considération comme étant les deux propriétés des géniteurs du Saint d’Assise (cf. Les Franciscains et les Juifs. Actes de la journée d’étude. Etudes franciscaines, Florence, 2013, pages 255-256) – que l’on en est venu à confondre les deux familles distinctes et à énoncer que le saint d’Assise était d’origine juive ! C’est ainsi – dans la série des « ce qui ne se distingue pas se confond » – que certains ont commencé à lire dans les mots et les attitudes du Saint des traces de ses origines juives, forçant ses expressions et détournant les textes.

Lorsqu’en juillet 1228, moins de deux ans après sa mort, advient sa canonisation par le pape Grégoire IX, c’est le franciscain Giuliano da Spira qui fut chargé d’écrire l’office liturgique du nouveau saint. Une fois composé en 1230, il manquait cependant une partie importante : les lectures de la récitation nocturne au petit matin. Face à un tel manque, les frères Mineurs, dans un premier temps, demandèrent à ce que soit inséré des morceaux de la Vie de saint François écrite par Tomaso de Celano ; peu satisfaits, dans les années suivantes – aux environs de 1237-1239 – ils élaborèrent de nouveaux textes à lire dont Leggenda Umbra. C’est de cette biographie que furent tirées les neuf lectures nécessaires à la récitation nocturne ; la sixième rapporte le récit d’un enfant qui, à Capoue, tomba et coula dans le sable de la rivière Volturno, d’où il fut récupéré sans vie par un passant. Le voyant mort, nombreux furent ceux à invoquer l’aide du Saint d’Assise et parmi eux « également des Juifs entraînés par une piété naturelle et qui disaient « Saint François, redonne cet enfant à son père ! » » (Franciscus liturgicus, Publications franciscaines, Padoue 2015, p. 171). Grâce à cette invocation par l’intercession de saint François portée par des chrétiens et des Juifs l’enfant revint à la vie.

Au-delà de cette confusion plus ou moins curieuse, une chose est certaine, les Franciscains ont souvent eu à côtoyer les juifs. A l’image de leur participation, le 27 octobre 1986 à l’invitation de saint Jean-Paul II, à Assise pour une journée de pèlerinage interreligieux, de jeûne et de prière pour invoquer le don de la paix guidés par le rabbin Elio Toaff. Tous s’étaient réunis en prière sur la place en face de la nouvelle église, sur le lieu même où au Moyen-Age se trouvait la colonie juive qui faisait face à la maison de François, fils du marchand Pietro di Bernardone.

* Doyen de la Faculté Supérieure des Etudes Médiévales et Franciscaines

Université pontificale Antonianum – Rome

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