Agé de 80 ans, le président de l’Autorité palestinienne jamais vraiment soutenu en Israël est à peu près unanimement contesté en Palestine. Le journal Le Monde citant un diplomate écrivait récemment : « On assiste à un pourrissement accéléré ». Revue de terrain.
(Ramallah) – Que ce soit dans un taxi ou au travail, dès que Raed aborde le sujet de Mahmoud Abbas ces temps-ci, il prend conscience que les Palestiniens sont mécontents de sa politique. Comme lui. « Abu Mazen (nom de guerre de Mahmoud Abbas, ndlr.) a été élu pour quatre ans en 2005 », rappelle ce Palestinien francophone de la région d’Hébron, proche du parti communiste. « Cela fait donc six ans qu’il est au pouvoir illégalement. On le connait, son discours, et les gens commencent à en avoir marre ! Faire des négociations avec le « partenaire » israélien, faire avancer le processus de paix… En attendant, la colonisation continue. »
En ce début d’année 2016, après quatre mois d’un soulèvement palestinien d’une ampleur exceptionnelle, la popularité du président de l’Autorité palestinienne semble avoir atteint un plancher sans précédent. La dernière étude du Centre palestinien pour la recherche politique et statistique, parue en décembre, affirme que les deux tiers des Palestiniens souhaitent son départ. La même proportion soutient les attaques au couteau qui visent quasi quotidiennement des militaires et civils israéliens depuis début octobre.
Au sujet de ces attaques, l’attitude attentiste de Mahmoud Abbas n’a d’ailleurs pas beaucoup plu à ses compatriotes. Essayant tantôt d’épouser la colère populaire, tantôt de la contenir (notamment en dispersant certaines manifestations), l’Autorité palestinienne a fait preuve d’une ambivalence souvent perçue comme de la lâcheté.
Lâche, aussi, la poursuite de la coopération sécuritaire avec Israël, alors que le comité central de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) en avait pourtant voté l’arrêt en mars 2015 pour faire pression sur le puissant ennemi ? C’est ce que semblent penser les Palestiniens, surtout les plus jeunes et les plus radicaux d’entre eux. Selon le chef des services secrets palestiniens, la police palestinienne aurait empêché 200 attaques contre des Israéliens depuis début octobre : une trahison, pour le parti islamiste du Hamas.
Les activistes du Hamas, justement, ont souvent été visés ces derniers mois par des arrestations orchestrées par l’Autorité palestinienne. Or selon certains sondages, le Hamas l’emporterait sur le Fatah si de nouvelles législatives avaient lieu aujourd’hui (les dernières élections se sont tenues le 25 janvier 2006, il y a tout juste dix ans).
Pour Suhail, un jeune traducteur vivant à Ramallah, cela fait longtemps que Mahmoud Abbas a perdu son « pouvoir de persuasion » auprès des Palestiniens. « Mais ce qui est nouveau, c’est que les gens osent plus le critiquer qu’avant », souligne le jeune homme, qui ne croit pas pour autant à une révolution à l’égyptienne en Palestine.
Impopulaire, isolé et déjà âgé de 80 ans, le président ne semble pas avoir l’intention de quitter la scène. Alors que des rumeurs couraient sur sa santé déclinante, il s’était placé devant les caméras le 6 janvier dernier pour avertir le public palestinien et ses nombreux concurrents qu’il était en bonne santé et ne comptait pas s’arrêter dans un futur proche.
Cela n’empêche pas sa succession de se préparer, en coulisses. Opposant numéro un en exil, Mohammed Dahlan rêve d’un grand retour tandis que Jibril Rajoub, président de la Fédération palestinienne de football et membre du Comité central du Fatah, s’expose désormais quand il le peut sur les plateaux de télévision . « Je n’aime pas Abbas, mais je n’aime pas non plus ses potentiels successeurs, avoue de son côté le jeune Suhail. Il n’y a que le pouvoir qui les intéresse. De toute façon, tous ces gens sont de la même veine. »
Les Palestiniens les plus insatisfaits du régime actuel prônent une solution encore plus catégorique que la démission du président Abbas : le démantèlement de l’Autorité palestinienne. « Cette Autorité, c’est un obstacle dans la lutte des Palestiniens, assure Raed sans hésitation. Car elle a été conçue pour nous faire voir les Israéliens comme des partenaires, et les colons comme des voisins. Ce n’est pas elle qui nous mènera vers la libération. »