Ils sont reconnaissables à leur veste beige sans manches ornée du logo EAPPI – une colombe et une croix. On les voit souvent. Dans les rues de la vieille ville de Jérusalem, à la sortie de la messe à Rafidia, le quartier chrétien de Naplouse, à la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Mais ils sont surtout présents là où touristes et pèlerins ne vont pas : aux checkpoints, sur les lieux de démolition de maisons palestiniennes, dans les villages de Cisjordanie cernés de colonies israéliennes.
Ces accompagnateurs œcuméniques (EA) font partie du Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et Israël (EAPPI). Il a été créé par le Conseil Œcuménique des Églises en 2002, au moment de la seconde intifada, à la demande des Églises locales qui souhaitaient être soutenues dans leurs efforts pour une paix juste. À l’origine il avait été observé que, lorsque des internationaux étaient présents en Cisjordanie occupée, les violences des soldats ou colons israéliens diminuaient.
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“Nous ne sommes pas les seuls à proposer une présence internationale sur le terrain, mais nous sommes la présence la plus étendue, puisque nous sommes répartis dans sept communautés”, explique Jet den Hollander, coordinatrice du programme à Jérusalem. Ces communautés sont composées de quatre ou cinq personnes volontaires d’origines diverses, dans la région pour trois mois.
Ils vivent ensemble dans un appartement loué par le programme, au milieu de la population, dans quatre zones : Jérusalem, la Cisjordanie du nord (gouvernorats de Tulkarem, Qalqiliya et Naplouse), la Cisjordanie du sud (gouvernorats de Bethléem et Hébron) et la vallée du Jourdain (gouvernorats de Tubas et Jéricho). Leur mission : être témoins de la vie sous occupation.
Lorsque leur présence n’empêche pas les incidents, les EA les recensent, en se concentrant sur les violations des droits de l’homme : droit à l’éducation, droit de cultiver et d’irriguer sa terre, liberté de culte… et les transmettent à des associations humanitaires internationales.
Une présence
La principale s’appelle Protection Cluster et fait partie du bureau de l’Organisation des nations unies chargé de la coordination des affaires humanitaires dans les territoires palestiniens occupés (OCHA). “Nous venons les mains vides, mais nous offrons une présence solidaire. Ce n’est pas très gratifiant car rien ne nous permet de mesurer si notre présence a évité des dérapages ou des violences. Et lorsque quelqu’un a besoin d’une tente par exemple, nous pouvons le mettre en contact avec une association qui pourra lui en fournir une. Mais nous n’apportons rien. Pourtant, nous croyons fermement que cela aide. Des Palestiniens nous l’ont dit : ‘Votre présence nous aide surtout à être résilients et à ne pas abandonner.’”
La deuxième partie de la mission des accompagnateurs œcuméniques consiste à raconter leur expérience en rentrant chez eux. “Beaucoup ont commencé ici en tenant un blog et continuent en rentrant : ils font des interviews dans les médias, en parlent dans leurs familles, auprès de leurs amis, dans leurs églises ou leurs partis politiques. Le but est de sensibiliser l’opinion publique de leurs pays d’origine. Car nous pensons que la scène internationale doit faire pression pour l’avènement d’une paix juste sur cette terre.”
Ce programme d’accompagnement puise ses racines dans la foi et particulièrement l’Évangile d’Emmaüs (Lc 24, 13-53). “Deux amis marchent vers Emmaüs, désespérés car leur rêve d’une nouvelle société est mort avec le Christ, et là arrive un étranger, Jésus. Il ne leur dit pas “Pourquoi êtes-vous tristes ? Laissez-moi vous réconforter, je peux vous aider” mais plutôt “De quoi discutez-vous en marchant ?”.
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C’est le cœur de ce programme : les accompagnateurs ne sont pas d’ici, ils ne vivent pas sous l’occupation et ne peuvent comprendre complètement la situation. Le but n’est pas d’apporter quelque chose, mais d’être là, de poser des questions : “De quoi parlez-vous ?” et d’écouter les réponses. Comme Jésus partage le pain avec les disciples, les accompagnateurs partagent aussi ces gestes du quotidien avec les Palestiniens. Ils boivent avec eux un nombre incalculable de thés et de cafés, écoutent et partagent certaines expériences.”
Le quotidien des EA diffère selon les lieux et les périodes, les priorités étant ajustées au fur et à mesure. Accompagner des bergers paître leurs troupeaux sur des terres où colonies et militaires se sont installés, accompagner des enfants à passer les checkpoints sur le chemin de l’école, marcher dans les villages et aux alentours pour montrer leur présence, assister aux célébrations chrétiennes pour montrer leur soutien… les tâches sont simples, c’est l’environnement qui est compliqué.
Une idée de la justice
Recrutés et formés dans leurs pays d’origine, les accompagnateurs vivent dix jours de formation supplémentaires en arrivant à Jérusalem. “Si tous ne viennent pas pour les mêmes raisons, ce qui les lie – et nous essayons de construire là-dessus – c’est la certitude que s’ils croient en la justice, ils doivent commencer par la mettre en œuvre. S’ils croient en la non-violence – et c’est une notion essentielle pour nous – ils doivent agir de façon non-violente. C’est difficile pour eux car ils voient des comportements de soldats israéliens ou de colons qui sont humiliants pour les Palestiniens, terrorisants pour les enfants qu’ils accompagnent à l’école. Mais ils s’efforcent de continuer à les voir comme des personnes, élevées dans un état d’esprit particulier. Et nous essayons de les équiper d’outils pour faire face à ces situations.”
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Les trois mois des volontaires sont très intenses, pour eux comme pour l’équipe d’une dizaine d’employés basée à Jérusalem, dont le travail est de les accompagner au mieux. Depuis 2002, ils sont 1600 à être passés par le programme. Nombreux sont ceux qui continuent de faire des actions de plaidoyer et de sensibilisation plusieurs années après. “L’intérêt de faire venir de nouvelles personnes tous les trois mois, c’est qu’ils voient les choses avec des yeux neufs. Car lorsque l’on vit ici, on s’habitue à la violence, même si cela nous brise toujours le cœur. La découverte de la sophistication du système d’occupation est souvent un grand choc.”
Les origines chrétiennes du projet sont essentielles affirme Jet, spécialiste de la théologie de la mission. “Nous croyons qu’une partie de notre mission en tant que chrétiens est d’être partenaires de Dieu dans la réalisation de cette nouvelle création que nous lisons dans la Bible et à laquelle nous aspirons. Nous nous basons donc sur une théologie et des principes chrétiens : Dieu est un Dieu de justice, il inclut tout le monde dans son projet. Et nous n’oublions pas l’humilité. Être chrétien n’est pas une garantie, nous ne pouvons jamais être certains d’agir selon la volonté de Dieu. C’est pourquoi il est si important d’échanger avec des personnes athées ou d’autres religions. Dieu a de nombreux partenaires à travers qui il manifeste sa volonté et accomplit ses objectifs et nous devons travailler avec eux, surtout sur une question aussi délicate et problématique que le conflit israélo-palestinien.”
Aucun de nous ne peut agir seul
Ainsi, EAPPI collabore avec des Israéliens engagés pour la paix, des Palestiniens et des internationaux de toutes origines, et les EA sont accueillis sans distinction de religion. Ils sont principalement de toutes confessions chrétiennes ainsi qu’athées ou “humanistes”, mais des juifs, musulmans et bouddhistes y ont aussi participé. Le groupe de référence local rassemble, sous l’égide d’un représentant d’Église, trois chrétiens, trois juifs et trois musulmans.
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“Le plus fascinant pour moi dans ce programme est qu’il inclut tout le monde explicitement, souligne Jet. Aucun de nous ne peut agir seul et, sans l’éclairage des autres, nous sommes sûrs de tomber dans l’erreur. Ce n’est pas toujours facile de coopérer. Car le but n’est pas que chacun soit silencieux sur ses croyances et sa foi, mais au contraire qu’on les utilise de façon créative pour que cela renforce les uns et les autres. Pour que ma perspective chrétienne ajoute quelque chose à ta perspective athée/juive/musulmane sur où va ce pays.”
“Nous sommes appelés à repenser notre présence ici, termine Jet, car l’occupation s’intensifie et les internationaux sont de plus en plus sous le feu des colons. C’est notre question : comment peut-on encore mieux aider nos partenaires, en Israël et en Palestine, à avoir les moyens d’agir pour mettre fin à l’occupation et partager ensemble une vie féconde sur cette terre ?” Et attendant, les EAPPI continuent de marcher, avec leur veste beige et leurs idéaux faisant face à la réalité.
Dernière mise à jour: 06/01/2024 19:20