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L’intégration des Kurdes en Turquie ou le naufrage d’un rêve

Chiara Cruciati
23 mars 2016
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La campagne militaire à l’encontre de la minorité kurde, dans le sud de la Turquie, ne s’essouffle pas. Le terrible attentat du 13 mars dernier à Ankara (pour rappel 37 personnes tuées par une voiture piégée dans le centre de la capitale) n’a fait que raviver les braises. Ankara est désormais bien loin de toute négociation politique visant à réduire les tensions avec les kurdes.


La campagne militaire à l’encontre de la minorité kurde dans le sud de la Turquie est sans répit. Alors que le couvre-feu dans la ville de Cizre et dans le quartier de Diyarbakir s’était un peu relâché, tout espoir d’une fin des opérations a été anéanti il y a dix jours : les autorités turques ont imposé un couvre-feu sur d’autres villes, Sirnak, Nusaybin et Yuksekova, alors que se multiplient les interdictions pour les fêtes traditionnelles de Norouz, le nouvel an kurdo-persan, célébré le jour du printemps, 21 mars de chaque année.

Après la terrible attaque du 13 mars à Ankara (pour rappel 37 personnes tuées par une voiture piégée alors qu’elles attendaient à une station de bus bondée), un nouveau siège de Diyarbakir a été annoncé, il fait suite aux affrontements qui ont éclaté entre l’armée turque et les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (le PKK, considéré comme une organisation terroriste par l’Union européenne et les Etats-Unis – ndlr). A moins d’une semaine d’intervalle, une nouvelle attaque a eu lieu : elle a visé samedi matin la rue commerçante d’Istanbul, l’avenue Istiklal ; bilan : 5 morts et 3 blessés. L’attaque, initialement imputée au PKK, a ensuite été attribuée à un milicien turc de l’Etat islamique.

Le scénario se répète en boucle : après une attaque, les autorités turques pointent du doigt le mouvement séparatiste kurde, lequel dénie les faits mais les dénégations ultérieures sont loin d’avoir le même écho que les accusations initiales.

Le processus de négociation politique s’est ainsi désintégré, un processus pourtant fortement soutenu responsables politiques du PKK, Abdullah Ocalan, qui en 2013, a ordonné à la branche armée de l’organisation de déposer les armes en faveur d’une solution démocratique et pacifique. Cet acte semblait mettre fin à une véritable guerre civile qui dure depuis trente ans et a coûté la vie à plus de 40 000 personnes. C’est le gouvernement d’Ankara qui a mis fin à la trêve – qui notons-le avait vu l’auto-exil de milliers de combattants kurdes dans les montagnes du Qandil en Irak – après le surprenant résultat obtenu par le Parti démocratique des peuples (HDP) aux dernières élections de juin 2015. En effet, les quelques 13% des voix recueillies ouvraient alors les portes du parlement à la force de gauche pro-kurde, affaiblissant le gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP dont le responsable n’est autre que le président turc Recep Tayyip Erdoğan – ndlr).

Un mois et demi plus tard, une bombe explosait dans la ville kurdo-turque de Suruç, à la frontière avec la Syrie, tuant 31 jeunes turcs dirigés qui transportaient des médicaments vers Kobané. La réouverture du conflit avec le PKK n’a pas trainé, le rythme a même été rapide : le président Erdogan a lancé son offensive personnelle contre le terrorisme, incluant dans sa définition l’État islamique et tout mouvement séparatiste kurde. Les opérations qui s’en sont suivies ont cependant « oublié » les islamistes de Daesh pour se concentrer presque exclusivement sur la minorité kurde en Syrie, en Irak et en Turquie.

L’attaque du 13 mars a ravivé un conflit qui n’a jamais disparu, pour preuve au cours des derniers mois ce sont 300 civils qui ont été tués : la Fondation turque pour les droits de l’homme enregistrait à la mi-janvier 162 victimes, bien avant les massacres à Cizre et Sur, où les bilans demeurent indéfinis. Ce conflit a plongé des villes entières en état de siège durant deux mois, détruit les quartiers, les routes, contraint les écoles à fermer, vu les hôpitaux s’effondrer.

Les victimes d’Ankara, comme il en fut souvent le cas dans le passé, ont très vite été instrumentalisées par le gouvernement. En à peine quelques heures, les avions turcs bombardaient déjà les positions du PKK dans le nord de l’Irak, frappant également des villages de civils, tandis que les opérations militaires au sud-est reprenaient de plus belle : « La réaction du gouvernement est sans surprise, elle s’aligne sur les politiques conduites auparavant – explique Murat CINAR, journaliste turc. C’est un schéma identique à celui d’il y a un mois qui a été repris (après l’attaque dans la capitale qui a tué 27 membres des forces armées – ndlr): on affirme que le kamikaze était un membre des unités de la Défense populaires des kurdes syriens (YPG), quand bien même l’attaque ait été revendiquée par Tak, un groupe séparatiste turco-kurde ; cela n’a rien changé dans la stratégie d’Ankara: Tak, PKK, YPG, ils sont tous logés à la même enseigne ».

Cinar est en convaincu : le gouvernement turc pourrait parvenir à la paix, en profitant de l’ouverture d’Ocalan. Il pourrait intégrer la communauté kurde dans le système parlementaire, prévoir une forme d’autonomie du sud-est qui pourrait stabiliser le pays, qui l’aurait démocratisé. Mais il ne l’a pas fait, préférant soutenir les ambitions autoritaires et nationalistes du président Erdoğan : « La population kurde ne forme pas un seul bloc indivisible : elle est divisée en classes, en communautés. Ceux qui vivent le mieux n’ont jamais été particulièrement intéressés par l’autonomie, tandis que ceux qui résident maintenant à Istanbul et à Ankara vivent le conflit indirectement, et ne souffrent pas de ses effets. Mais ceux qui vivent dans le sud-est, dans la région à majorité kurde, sont jour et nuit sous le feu des attaques». Une preuve que l’intégration est la voie de la paix.

«Avec les négociations en cours et les élections du 7 juin dernier, la population kurde était vraiment convaincue d’être en face d’un avenir meilleur – continue Cinar -. Le HDP lui-même est né pour être un outil à la construction d’un processus de coexistence et d’intégration, notamment par l’entrée au parlement. Il était prêt à renoncer à l’indépendance. Mais la nouvelle campagne a brisé les rêves kurdes : j’imagine ce que vivent les habitants de Sur, de Cizre, sous bombardements constants, avec des amis et des parents tués, avec des hélicoptères survolant les maisons tous les jours. Le message qui a été envoyé aux kurdes est le suivant : la Turquie ne veut pas de vous. Il est normal que se réveille le désir de se séparer, d’entreprendre un chemin fédéraliste ou d’indépendance ».

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