Si vous allez chez le pharmacien à Bethléem, il vous parlera en français” ! Pour Jean-Yves Carnino, délégué des Alliances françaises au Moyen-Orient, ce détail est révélateur de la place qu’a eue la France dans cette ville palestinienne où de nombreuses personnes âgées parlent français. Mais ce lien s’est distendu.
Afin d’entretenir cet élan pour la langue française, l’Alliance française de Bethléem s’est attelée à la tâche. Créée en 2003, cette association de droit palestinien fait partie du groupement des Instituts français. Elle est alimentée par une volonté sociale et culturelle car elle ne propose pas seulement une formation mais se veut aussi “favoriser l’ouverture d’une société occupée et isolée”. Pour atteindre ses buts L’Alliance française de Bethléem travaille en lien étroit avec le Consulat général de Jérusalem.
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L’éducation est le cheval de bataille de l’Alliance française. Elle l’est d’autant plus à Bethléem, une ville de 30 000 habitants dont la population monte à 54 000 si on compte son agglomération. Entre Bethléem, Beit Jala et Beit Sahour – les deux villes voisines – “12 écoles, 10 écoles privées et 2 publiques enseignent le français”, selon Fayrouz Abboud, directrice de l’Alliance française de Bethléem. Le nombre d’élèves apprenant la langue de Molière autour de la basilique de la Nativité est d’environ 3 500.
L’éducation : un pied en France
3 500 étudiants potentiellement intéressés par des cours de français après les cours dans leurs établissements scolaires. Il faut s’adapter à ce nombre important et répondre à ses attentes. La première corde à l’arc de l’association est en conséquence le soutien scolaire.
Mais plus important encore, l’institut propose des cours de préparation au DELF (Diplôme d’Études en Langue Française) et au DALF (Diplôme Approfondi en Langue Française). Ce sont des diplômes officiels délivrés par le Ministère français de l’Éducation Nationale. Ils certifient les compétences en français des étudiants étrangers. Les examens sont organisés par le Consulat général de France à Jérusalem une fois par an. L’obtention du diplôme est nécessaire pour postuler aux 20 bourses d’études en France offertes chaque année par le Consulat général. Pour certains élèves il est primordial de ne pas rater ces examens.
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“Le français alimente un rêve”, selon Jean-Yves Carnino, mais ce rêve fait face à des difficultés politiques “de plus en plus présentes”. Cela influe sur les études comme nous le dit Aliénor Vivion, stagiaire professeur de FLE (Français Langue Étrangère) : “Les cours changent souvent d’horaires en fonction des disponibilités de chacun. Certains élèves viennent de loin ou de camps de réfugiés et ne peuvent passer les checkpoints tous les jours. Il y a en conséquence un absentéisme involontaire. En raison des événements on remarque que les étudiants vivent au jour le jour, ce qui influe, par exemple, sur le travail personnel à faire à la maison”.
À l’inverse, les francophones qui travaillent ou étudient en Palestine se rendent à l’Alliance française pour apprendre l’arabe. Plus rarement, des séjours linguistiques sont également organisés. C’est alors l’occasion pour les élèves de se rencontrer entre nationalités et cultures différentes.
Le français rime avec travail
Au-delà de la promotion sociale, la langue de Molière est aussi une opportunité professionnelle. Autour de la basilique de la Nativité, de la Grotte du Lait et renforcée par sa proximité avec Jérusalem, une activité touristique très importante s’est développée à Bethléem. Bien que sujet aux aléas politiques, le secteur touristique reste actif. D’après Fayrouz Abboud “60 % des habitants de la cité de la Nativité seraient liés professionnellement au tourisme”.
“En sachant qu’un quart des touristes de Bethléem sont francophones, apprendre le français est avant tout, de manière objective, une possibilité de trouver un travail”, déclare le délégué du Moyen-Orient. Le chômage est l’un des problèmes majeurs en Palestine “d’ailleurs beaucoup d’élèves ne peuvent payer leurs cours ici, c’est pourquoi nous avons ouvert un onglet de parrainage sur notre site. Nous enregistrons depuis un an une chute de 25 % de notre chiffre d’affaires”, ajoute Fayrouz Abboud.
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Aliénor a observé les adultes venant aux cours, et a constaté qu’une “majorité de femmes apprenant le français désiraient exercer le métier de prof de français”. L’association elle-même emploie des professeurs palestiniennes. En revanche les hommes sont motivés “soit par l’opportunité d’étudier en France, soit par la volonté d’utiliser le français pour le tourisme”.
Suite à ces constatations l’Alliance française de Bethléem a décidé d’ouvrir, en coopération avec le Consulat général, deux DFP (Diplôme de Français Professionnel), en tourisme et hôtellerie. L’agrément pour ces diplômes a été adopté en décembre 2015 et ceux-ci seront reconnus par la Chambre de Commerce Internationale de Paris (CCIP) permettant de travailler en France ainsi qu’en Palestine. La première session ouvrira ses portes en décembre 2016.
La culture : un échange
L’association bethléemite travaille en lien étroit avec les institutions gouvernementales et non gouvernementales de Bethléem comme le Ministère de la culture et de l’éducation, les centres culturels, les clubs de jeunes, les écoles et l’Université de Bethléem. Mais aussi avec les organismes français présents tels le réseau des Instituts Français en Palestine et le Consulat général de France à Jérusalem.
L’Alliance française veut favoriser “les échanges entre la France et la Palestine” selon Fayrouz Abboud. Pour l’institution il est important “d’informer le monde sur la jeunesse en Palestine” et pour ce faire, Bethléem est jumelée avec plus de 60 villes dans le monde entier.
Dont cinq en France depuis que Lourdes, le 1er mars dernier a formalisé la démarche. Josette Durrieu, la maire de Lourdes déclarait à cette occasion “c’est aussi pour cette jeunesse palestinienne et française un message en faveur de la paix”.
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L’Alliance française organise donc des événements culturels promouvant la France mais aussi les artistes locaux et le jumelage avec Lourdes est une aubaine ! Récemment un concours de chanson française était organisé un samedi. Douze jeunes Palestiniens se sont mesurés, soutenus par un public de 200 personnes, et le gagnant s’est vu offert un voyage à Lourdes. “C’est la première fois qu’un concours de chant en langue étrangère a lieu en Palestine” a déclaré la directrice de l’Alliance française. “C’est une chance pour ces jeunes de voyager. Les participants n’étaient pas uniquement des élèves de l’association, et parfois des jeunes qui ne parlent même pas français”.
Les événements organisés ne se déroulent pas tous sans accroc. Encore une fois, la situation politique pèse de tout son poids. Par exemple lors du “festival du film franco-arabe”. Les soirs d’affrontements, peu de personnes se sont déplacées. “Le vendredi, on a compté 10 personnes à peine dans la salle” nous dit madame Abboud, “c’est pourquoi nous avons décidé cette fois-ci de déplacer le concours, initialement prévu un vendredi, au samedi”.
D’après Jean-Yves Carnino, “le français en Palestine a une portée bien plus importante, la langue induit des valeurs humanistes. C’est la langue des droits de l’Homme”. Cette notion est d’autant plus forte dans ce contexte politique. Mais la France ce n’est pas seulement les droits de l’Homme, dans une ville comme Bethléem, contrastée religieusement, c’est aussi le pays de la laïcité et du vivre ensemble. τ
Dernière mise à jour: 09/01/2024 20:32