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Le tombeau du Christ bientôt sans ses béquilles

Marie-Armelle Beaulieu
19 mai 2016
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Béquilles. S’il n’était soutenu par des étaiements d’acier posés par les Britanniques en 1947, l’édicule se serait déjà écroulé ©Lpj.org

En mars, la Custodie rendait publique la nouvelle de la restauration prochaine du tombeau de Jésus. C’est plus exactement le monument qui se trouve au-dessus de l’emplacement du tombeau qui va faire l’objet de soins devenus nécessaires. Explications.


Edicule, un drôle de nom pour nommer le tombeau de Jésus. C’est pourtant le terme technique le plus approprié. Le mot édicule vient du latin ædicula (“petit édifice”), ædicula étant le diminutif de ædes (“édifice”). Or, le tombeau de Jésus, dès l’époque constantinienne (vers 324 ap. J.-C.) quand il fut isolé de son environnement naturel pour permettre la vénération des fidèles, fut recouvert d’une structure (voir encadré) et orné de marbre.

1700 ans plus tard, les principales Églises du Saint-Sépulcre – les grecs orthodoxes, les franciscains pour les latins, les arméniens – s’inquiétant de ce que l’édicule actuel menaçait ruine, se sont donc entendues pour sa restauration.

L’étude sur l’état de l’édifice a été confiée à la professeure Antonia Moropoulou, de l’École de génie chimique de l’Université Technique National d’Athènes (NTUA). En mars dernier durant une conférence, elle a présenté les défauts structurels de l’édifice qui datent de la construction même. Mais elle a aussi souligné que des facteurs contemporains contribuent aujourd’hui à fragiliser l’ensemble. Au premier rang de ces facteurs : le nombre important de pèlerins et touristes visitant la basilique.

Fragilisation

La principale cause de la distorsion des blocs de marbre entre eux est l’altération des mortiers. Elle est due à l’humidité croissante produite par la condensation du souffle des visiteurs. De plus, l’étude thermographique de la face sud de l’édicule a montré que l’emploi de cierges, qui se consument durant des heures à quelques centimètres de la structure quand ils ne la touchent pas, cause de fortes contraintes thermiques sur le marbre.

A cela s’ajoutent les fumées dégagées entraînant une accumulation de dépôts noirs et huileux. Ces dépôts détériorent le marbre mais créent également les conditions de réactions physicochimiques qui accélèrent l’oxydation et la détérioration des surfaces architecturales.

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L’accord trouvé entre les Églises est de procéder à une restauration conservative. Il s’agira donc de démonter l’édicule pour le reconstruire à l’identique. Seules les pièces cassées ou trop fragiles seront remplacées. Les plaques de marbre qui peuvent être conservées seront nettoyées, la structure qui les supporte sera consolidée.

Tandis qu’à Bethléem les études et travaux ont été conduits par des Italiens, c’est aux Grecs qu’est confiée la restauration de la tombe de Jésus. Et c’est Mme Moropoulou qui les supervisera.

Quatre édicules en 1700 ans

Le tombeau de Jésus avait été creusé à flanc de colline, dans une carrière de pierre désaffectée. Mais le jardin de la Résurrection et la tombe furent ensevelis à partir de 135 sous le temple que fit ériger l’empereur Hadrien. C’est vers 324 que l’empereur Constantin demanda à l’évêque Macaire de Jérusalem de retrouver le tombeau du Christ et de construire à son emplacement une basilique. Ce fut la première église du Saint-Sépulcre.

On creusa autour de la chambre funéraire où avait reposé le corps de Jésus, afin de détacher et libérer un espace. Cette roche originelle fut recouverte de marbre dans la décoration constantinienne.
Ce fut le premier édicule.

Partiellement endommagé par les Perses en 614, et de nouveau pillé et détruit à la masse en 1009 sur ordre d’Al-Hakim bi-Amr Allah, connu des chrétiens sous le nom d’Hakim le fou, ce tombeau fut remplacé par un édicule de facture romane vers 1014.

Cet ouvrage montra à son tour des signes de fatigue, les mêmes facteurs causant les mêmes effets : intempéries, incendies, pillages si bien qu’il fut remplacé en 1555 par un édifice assez proche du précédent mais marqué par l’influence gothique. C’est cet édicule érigé par le Custode de Terre Sainte, Boniface de Raguse, qui ne résista pas à l’incendie de 1808 et fut remplacé par l’actuel.

Ils devraient commencer début mai, durer au moins huit mois et s’achever début 2017, soit soixante-dix ans après la pose de l’armature métallique par les Britanniques. Ils seront documentés au fur et à mesure par une trentaine de professeurs issus de divers départements de la NTUA. Des experts catholiques et arméniens feront également partie de l’équipe. Pendant les travaux le lieu saint restera néanmoins accessible au culte et à la dévotion des fidèles.

L’édicule a 206 ans

Construit en 1809-1810 après le grand incendie de 1808 qui avait endommagé l’ensemble de l’édifice, l’édicule actuel, de style baroque ottoman, ne tarda pas à montrer des signes de fragilité. Jusqu’en 1868, le dôme de la rotonde ne le protégeait que partiellement des intempéries puisqu’il était percé d’un oculus ouvert sur le ciel. Mais surtout, l’édicule commença rapidement de s’affaisser sous son propre poids.

Ce qui peut passer pour un défaut de conception, serait dû en réalité au souci qu’aurait eu l’architecte grec de l’époque, Nikolaos Komnenos, de conserver des vestiges du ou des édicules précédents. Les plaques de marbres auraient donc été placées en couverture. En peau d’oignons écrit Martin Biddle dans son livre de référence “La tombe du Christ(1). Construit de façon fragile sur une structure instable, autant dire que le fort tremblement de terre du 11 juillet 1927 n’allait rien arranger.

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La basilique avait tenu bon sous la secousse sismique de haute intensité (6,2 sur l’échelle de Richter). L’unique dommage visible se situait dans la coupole au-dessus du chœur des grecs-orthodoxes, laquelle était sérieusement lézardée.

La Palestine étant sous mandat Britannique, les ingénieurs du Département des Travaux Publics (Department of Public Works) mirent deux mois à obtenir des autorités religieuses de pouvoir faire une inspection des lieux. Leurs conclusions furent sans appel sur les besoins quasi généralisés de réparation de la basilique. C’est le sondage qu’ils firent de la tombe qui confirma que sa structure enchâssait des restes du précédent édifice.

Grand chantier

À l’époque pourtant, les Églises n’avaient pas su trouver de consensus satisfaisant. Les intempéries, de nouvelles secousses sismiques, notamment en 1934, continuaient de maltraiter l’édifice. L’église la plus importante de la chrétienté n’était plus qu’une forêt d’échafaudages étayant des murs dorénavant trop fragiles. Les grecs, les franciscains au nom des latins et les arméniens procédèrent à des travaux ici ou là mais personne ne toucha à la tombe.

Mais en mars 1947, d’autorité, les Britanniques ceignirent l’édicule de poutres d’acier sur lesquelles on peut encore lire “Steel Company of Bengal”. Elles n’eurent pas le temps d’obtenir l’adhésion des Églises pour une restauration. Le mandat britannique s’acheva en mai 1948.

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En 1959, les trois principales confessions qui cohabitent dans la basilique de la Résurrection tombèrent d’accord pour mettre en œuvre un grand chantier de restauration. Chacun entreprit chez soi de grands travaux, et toutes ensembles elles travaillèrent à la restauration du dôme de la rotonde. Les travaux prirent fin en 1996, mais la tombe, elle, n’avait bénéficié d’aucun soin et restait en l’état. C’est à cette lacune que l’on va s’attaquer.

Après les travaux de restauration de la basilique de la Nativité qui avait fait l’objet d’un accord entre les Églises, c’est une nouvelle avancée sur le chemin de l’œcuménisme en Terre Sainte. Que tous les archéologues, scientifiques et autres amoureux du Saint-Sépulcre continuent de débattre sur les choix faits pour la restauration est une autre histoire

1. Martin Biddle, The Tomb of Christ, 1999 Sutton Publishing Limited, Sttoud, Gloucestershire

Dernière mise à jour: 09/01/2024 20:32

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