« Mon expérience en Terre Sainte me catapulte dans ma relation avec Dieu »
Frère Guylain, quels liens aviez-vous avec la Terre Sainte avant de venir cet été ?
Le lien le plus fondamental, c’est que depuis le début de ma vie chrétienne, la Parole de Dieu est au centre de ma foi. Pendant mes études je me suis spécialisé en Écritures Saintes, puis j’ai été bibliste, et je me suis rapidement confronté à la question du Jésus historique. En organisant des week-ends diocésains sur ce sujet, j’ai pu approfondir et chercher comment faire la part des choses entre la foi et la recherche historique et archéologique. Et depuis quelques années je creuse la question de l’enracinement juif du christianisme : Jésus et les premiers disciples étant juifs, connaître ce contexte nous aide à comprendre quelque chose de nous-mêmes.
Dans presque chaque province franciscaine, il y a un commissaire de Terre Sainte, chargé de promouvoir la Terre Sainte dans son pays, notamment par le biais d’un pèlerinage annuel. Étant donné ma spécialisation, le commissaire du Canada m’a demandé d’accompagner les groupes de pèlerins. Pour me convaincre, il m’a envoyé ici, dans un séjour destiné aux organisateurs de pèlerinage.
J’y ai compris que l’expérience de la Terre Sainte, intuitive, sensorielle, nous aide à comprendre les Écritures, par les pieds et par le cœur. Cela fait donc une douzaine d’années que j’accompagne concrètement et spirituellement le pèlerinage officiel franciscain du Canada.
Pourquoi êtes-vous venu ici cet été ?
Ma province a une nouvelle politique de ressourcement et de mise à jour sous forme d’un temps sabbatique pour les frères les plus impliqués dans la province. J’ai posé ma candidature pour venir à Jérusalem à l’occasion de mes 20 ans de vie religieuse.
Pour moi, choisir la Terre Sainte était une évidence. J’avais le goût de me ressourcer, d’approfondir certaines thématiques toujours liées aux origines du christianisme et au judaïsme du Ier siècle. Le Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem, institution d’envergure avec une belle bibliothèque, m’offrait le cadre idéal. Mais le but premier était le ressourcement.
Qu’avez-vous fait pendant ces quatre mois ?
J’ai organisé mes journées en quatre temps : la liturgie avec les frères, soit en moyenne 2 h par jour ; 4 à 5 h d’étude intensive, lecture et analyse de textes bibliques ; des longues marches ou visites dans la ville pour m’imprégner de la terre de Jésus et me confronter à la géographie ; et enfin un moment de prière et méditation dans le pays, sur une place publique, dans un café ou sur un site archéologique.
J’ai fait ça à Jérusalem, Bethléem, Nazareth, mais aussi à Emmaüs Qubeibeh, en Jordanie au Mont Nebo, dans le Néguev, au Mont Thabor. Partout où je pouvais prier, je l’ai fait.
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La conséquence immédiate c’est que le pèlerinage 2016 sera organisé autrement. La topographie jouera un rôle plus important, permettant aux pèlerins de mieux reconnaître le pays de Jésus, et donc de mieux comprendre les textes y afférent.
Qu’est-ce qui a changé dans votre vision de la Terre Sainte d’une part, et de la Custodie et des franciscains d’autre part ?
D’abord une saisie beaucoup plus globale du pays et de la société dans laquelle Jésus a vécu. C’est une compréhension par l’expérience : j’ai compris avec le cœur, le corps, l’âme. C’est bouleversant, galvanisant et motivant.
Deuxièmement c’est aussi une meilleure saisie de la Terre Sainte moderne, avec ses grandeurs et ses misères, avec ses beautés qui dépassent très largement ses ténèbres. Avec le temps, on a le cerveau lavé par la présentation de cette terre, toujours via l’angle du conflit permanent. On ne voit plus ce qu’elle recèle de beau et de vrai. Je le dis sans aucune naïveté, en sachant tout ce qu’elle contient de contradictions et de méconnaissance.
C’est une méconnaissance entretenue et nourrie. Les gens refusent de connaître l’autre sur une période prolongée, d’aller à sa rencontre. Si quelqu’un entretient toute sa vie le mépris de tout ce qui n’est pas de son groupe, alors il entre dans une dynamique de marginalisation et de jugement. Fondamentalement, si l’on prête à l’autre une intention autre que le désir d’être heureux, d’avoir une belle famille, d’avoir une vie riche et belle, alors c’est impossible.
Pendant mon séjour, j’ai tenu à demeurer dans des couvents franciscains. Je voulais expérimenter la vie des frères. Je voulais être témoin de leur service, de leur manière de vivre, de leur accueil, qui a été sans faille.
Autant parfois j’ai eu l’impression de bousculer l’horaire et le programme des frères, autant je sentais qu’ils m’accueillaient volontiers, avec plaisir. J’ai également fait quelques lectures sur les origines et l’histoire de la Custodie, j’en ai parlé avec d’autres frères pour essayer de comprendre son fonctionnement et sa liturgie. Elle n’est pas seulement gardienne de ruines, il y a un peuple à servir : les pèlerins et la population, très majoritairement arabophone, mais pas seulement.
Qu’est ce qui vous a le plus marqué ?
Ce sont des lectures que j’ai faites ici, intellectuellement très enrichissantes. Ce sont des lieux, ce sont des rencontres, qui peuvent paraître banales, de gens dans un parc ou sur une place qui, me voyant prier sur un banc, viennent s’asseoir, me demandent qui je suis et pourquoi je suis habillé en franciscain. Ce sont des discussions, des échanges fantastiques, des temps de prière, des temps de silence côte à côte avec des gens, très beaux.
Et puis la vie fraternelle. Sentir que partout où j’arrive je suis frère parmi les frères. Toujours ce refrain : “tu es ici chez toi”. L’accueil des franciscains de la Custodie est à ce point excellent que j’ai la certitude d’être chez moi, ils sont ma famille, je suis chez les miens. Et le frère peut venir de Pologne ou de Syrie, je suis chez moi. C’est sûr qu’à long terme il y aurait, ici comme ailleurs, des incompréhensions, mais pour le moment j’ai plutôt expérimenté l’accueil inconditionnel et la bonté.
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J’ai passé beaucoup plus de temps que d’habitude en silence, ou à écrire. Une façon pour moi d’accueillir toutes ces grâces, car si je n’avais pas fait attention, il y aurait eu des fruits que je n’aurais pas cueillis.
Dans quel état d’esprit repartez-vous ?
Je n’hésite pas à parler pour moi d’une renaissance, d’un recommencement dans ma vie. L’expérience a été à ce point durable – quatre mois – et intense – j’ai vraiment reçu grâce sur grâce – que cela va sans doute me prendre plusieurs années à digérer. Je suis presque certain que cela prendra la forme de nouvelles retraites, de nouveaux livres, conférences… Car j’ai trop reçu, il faudra que je donne. Je ne sais pas encore comment mais je suis sûr que les fruits de ce séjour seront visibles dans les années à venir.
Quelque chose d’autre à ajouter ?
Mon expérience et tout ce que j’ai appris et vécu me catapultent dans ma relation avec Dieu. Et ça me donne le goût d’y entrer encore plus et de me balancer dans les bras de Dieu. Cela dit aussi la profondeur de ce que j’ai vécu.
Dernière mise à jour: 09/01/2024 20:32