Le père Frédéric pourrait être le saint patron des pourparlers pour la paix au Proche-Orient et spécialement la paix en Israël-Palestine.” Le père Roland Bonenfant, vice-postulateur de la cause de canonisation, voit grand. Le père Frédéric, frère Roland le verrait bien aussi intercesseur privilégier dans l’œcuménisme comme dans le dialogue interreligieux. Et pourquoi pas encore, patron des biblistes, des catéchistes, et des fraternités franciscaines.
Frère Roland espérait la canonisation du père Frédéric pour cette année. Cent ans après sa mort, l’Église aurait proclamé la sainteté d’un franciscain français, mort au Canada et canonisé par amour de la Terre Sainte. Un problème administratif plus tard et c’est partie remise. À quand ? Le père Bonenfant n’est pas inquiet et répond “quand le bon Dieu voudra”.
Frédéric Janssoone (prononcer Yansoune) est né à Ghyvelde à 10 km de Dunkerque et 3 de la frontière belge, en 1838. Au XIXe siècle, quand il entre en 1864 à 26 ans chez les franciscains, après avoir travaillé pour subvenir aux besoins des siens, on parle de “vocation tardive”. Après 14 ans de vie religieuse en France, il est envoyé en Terre Sainte à sa demande. Autant pour échapper aux charges de supérieurs que l’on commence à lui confier en France et auxquelles son humilité autant que son tempérament scrupuleux s’accommodent mal, que par attirance déjà ancienne pour la terre de Jésus.
Une vie offerte
Pourtant, il n’y a pas huit mois qu’il est au service de la Custodie, en Égypte qu’il est élu bras droit du custode de Terre Sainte. “Pour des raisons mécaniques”, comme le dit frère Guylain, franciscain canadien et résidant à Trois-Rivières où repose le corps intact(1) du franciscain déclaré bienheureux par saint Jean-Paul II. Jusqu’à un passé récent en effet, le gouvernement de la Custodie était constitué en fonction de normes nationales.
En quelques dates
19 novembre 1838 : naissance à Ghyvelde, Nord de la France
1852 : études secondaires au collège d’Hazebrouck
1856 – 1864 : commis-voyageur dans le textile
1864 : entrée chez les franciscains
17 août 1870 : ordination sacerdotale
1878 à 1888 : service en Terre Sainte
13 juin 1888 : installation au Canada
4 août 1916 : mort à Trois-Rivières
25 septembre 1988 : béatification par saint Jean-Paul II
Le custode devait être italien, le vicaire custodial français et l’économe espagnol. Le discrétoire de la Custodie élut le père Frédéric. “En même temps que la lettre le lui annonçant partait pour l’Égypte, raconte frère Guylain, une autre lettre partait pour l’évêque du lieu disant : “Le père Frédéric est élu vicaire, il va refuser, obligez-le”.”
Le service du frère Frédéric en Terre Sainte va durer dix ans. Dix années durant lesquelles le religieux se donnera sans compter jusqu’à l’épuisement. Non seulement il travaille, prêche et confesse à tour de bras, mais il vit la pauvreté franciscaine de façon radicale. Il se nourrit peu – une soupe et une pomme de terre pour le dîner -, dort peu et sur une planche, écrit à genoux devant sa table et passe ce qu’il lui reste de temps libre en prière.
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À ce rythme, à plusieurs reprises il sera surmené au point de devoir cesser toute activité. Par deux fois, il croira lui-même mourir d’épuisement. C’est un cancer de l’estomac qui l’emportera finalement en 1916. “S’il est petit de taille, poursuit frère Guylain (il fait cinq pieds un pouce, soit un mètre cinquante-cinq), il a pour lui d’être un très bel homme et surtout il a un regard de feu. “Des yeux bleus d’une limpidité incroyable”.
Mais c’est une autre beauté qui va ravir les gens qui le côtoient. La beauté de sa vie franciscaine et sa façon unique de partager son expérience de la Terre Sainte pour révéler le Christ.
Tout au long de son séjour, le père Frédéric va parcourir la terre de Jésus. “Il la visite avec tout son être, dans tous les sens. Il va en faire l’expérience. Elle va lui entrer par les pieds. Il va suer sur les chemins difficiles d’alors. Il se rend partout où il y a une tradition orale attachée à la personne de Jésus. Il parcourt la Terre Sainte soigneusement et va noter avec précision dans des carnets de voyage toutes les informations qu’on lui transmet.” Il fait littéralement corps avec la Terre Sainte pour mieux faire corps avec le Christ.
À ces propos du frère Guylain, le père Bonenfant ajoute qu’il pourrait être aussi le saint patron des pèlerinages. Guide averti, ce sont ses longues prédications qui attirent le plus. Le chemin de croix qu’il prêche peut durer jusqu’à quatre heures et les pèlerins en redemandent. À Jérusalem, comme plus tard au Canada, “il met le feu aux poudres” selon l’expression de frère Guylain.
Car pour le père Frédéric, la Terre Sainte est un chemin privilégié de rencontre avec le Christ. Et dans toute sa prédication, il n’aime rien tant que prêcher sur la Passion et la croix. “Dans la croix du Christ, il y a tout l’amour de Dieu, il y a son immense miséricorde.” Père Frédéric aurait pu écrire ces mots du pape François mais le style oratoire du XIXe siècle était moins concis. Pour grand prédicateur qu’il ait été, le père Frédéric aujourd’hui se lit avec plus de peine. Difficile d’extraire de ses textes des phrases fulgurantes. La fulgurance, il la laisse aux évangiles qu’il cite abondamment et bien évidemment par cœur.
Un saint anachronique
Si l’expression de sa spiritualité est marquée par son temps, à l’étude, la sainteté du père Frédéric est d’une étonnante modernité. De lui frère Guylain dit qu’il est “anachronique”. Et de fait il se comporte au XIXe siècle comme il était impensable de se comporter à l’époque. Du jansénisme qui sévit encore à son époque il dit qu’il est la plus belle invention du diable. Lui, il recommande partout et en tout temps la communion fréquente, y compris pour les enfants. Il a un mot à la bouche “la miséricorde”. Dieu fait miséricorde. Dieu pardonne. Dieu aime. Il prêche pour libérer du péché et partant il fait pleurer en guérissant les cœurs.
Anachronique, il l’est encore et peut-être surtout dans la façon dont il vit en relation avec les musulmans et les chrétiens des autres confessions. Avec eux, en décalage total avec son temps et avec ce que vivaient la plupart des religieux, il entre en dialogue. À leurs côtés il s’assoit et cherche à comprendre leurs us et coutumes. Il sait en quoi la foi chrétienne diffère avec l’islam, il sait en quoi la théologie, la christologie et l’ecclésiologie catholiques diffèrent avec ceux que la littérature de son temps nomment “les hérétiques”.
Mais il prend acte de leur présence et de la légitimité qu’ils ont dans leur différence à prier eux aussi dans les lieux saints. “C’est fondamentalement un homme de dialogue et respectueux des autres dans leur différence.” Pour autant aucun renoncement à ce qu’il est : catholique et latin, avec la Custodie : gardien des lieux saints et défenseur des droits de la catholicité. À chaque fois que tel ou tel cherche à rogner des droits aux Latins, le père Frédéric montera au créneau, parfois même contre son pays, ce que le Consulat général de France ne manquera pas de lui reprocher. Mais le gardien fidèle entend vivre en harmonie avec son entourage.
Grand timide
Il fera en sorte que le fruit de son dialogue avec les autres confessions chrétiennes au Saint-Sépulcre et à la Nativité permette aux sacristains franciscains de ces deux lieux d’être d’autant mieux vigilants aux droits des Latins qu’ils connaîtront et admettront davantage le droit des autres Églises. Ces efforts seront d’ailleurs salués par les religieux orthodoxes avec lesquels frère Frédéric se liera d’amitié.
Une autre amitié “anachronique” est celle qu’il entretiendra avec le propre fils du Pacha d’Istanbul, qui lui glissera à l’oreille comment fléchir son père pour obtenir de pouvoir réinstaurer la pratique du chemin de croix dans les rues de la vieille ville.
Père Frédéric en avait le désir. Et comme à chaque fois qu’il désirait quelque chose il faisait montre d’une “douce opiniâtreté”. Pas une semaine ne passait sans qu’il écrivît au Pacha réclamant ce droit interrompu deux siècles plus tôt à cause d’une prétendue bousculade. Quand le fils du Pacha lui dit en substance : “Ne t’attend pas à ce que mon père autorise un chrétien à prêcher sa foi dans la rue. Fais-le et tu verras bien la réaction de la ville.” Et frère Frédéric reprit la prédication du chemin de croix. On entendit bien grommeler au début, mais la police ottomane veillait au grain. Et le pli fut pris et le droit rétabli.
Dès lors qu’il s’agissait d’annoncer le Christ, frère Frédéric était capable de toutes les audaces. Il était capable d’aller contre sa nature quand il fallait demander de l’argent pour soutenir les œuvres franciscaines. Ce grand timide était capable de toute l’assurance du monde quand devant les puissants et les consuls généraux il fallait obtenir quelque chose. Sa ténacité alliée à sa douceur et à son humilité faisait de lui un diplomate hors pair.
L’humilité en partage
“Il ne s’attribuait rien en propre. Tout ce qu’il obtint dans tous les domaines, il l’attribua à d’autres. En premier lieu au custode de Terre Sainte. Quand on lit sa correspondance, il trouve toujours le moyen de féliciter tel ou tel. Il faut lire les lettres des autres pour voir son nom et pouvoir lui attribuer le mérite qui lui revient. Si l’on voulait en connaître plus sur le travail effectué par le père Frédéric durant son séjour à Jérusalem, il faudrait lire les archives de toutes les congrégations présentes à l’époque”, assure frère Guylain.
Quand l’association des Amis du père Frédéric se rendit en pèlerinage à Jérusalem, elle s’étonna de ne trouver aucune plaque commémorative du bienheureux. C’est pourtant lui qui a fait construire l’actuelle église Sainte-Catherine de Bethléem, c’est pourtant lui qui fit construire l’église paroissiale de Jérusalem dans le couvent Saint-Sauveur. C’est pourtant lui qui fut à l’initiative de Notre-Dame de France. Le premier qui n’aurait pas aimé cela aurait été le père Frédéric. Quand il fut envoyé au Canada une première fois, on écrivit de la Belle province à la Terre Sainte : “Vous nous avez envoyé un saint.”
Au Canada, le père Frédéric fonde le Commissariat chargé de trouver le financement des œuvres des franciscains de Terre Sainte. Aussi n’eut-il de cesse de prêcher, d’annoncer le cinquième évangile de la Terre Sainte, d’annoncer le Christ incarné, mort et ressuscité là. Comme lors des missions de l’époque, il exposait des reliques du pays de Jésus. On l’écoutait, on lui demandait d’intercéder, on lui demandait de visiter une personne malade et les miracles se multipliaient. Le religieux en attribuait tout le mérite aux reliques.
Selon le mot du frère Guylain, la vie du bon père Frédéric, comme on l’appelait, “est un autre chapitre des Actes des Apôtres”. À défaut de plaque commémorative, le père Frédéric est bien vivant. Dans le cœur de très nombreux Canadiens où les témoignages des grâces obtenues par son intercession continuent d’arriver, mais ailleurs où discrètement son exemple continue d’encourager certains à vivre leur service de la Terre Sainte comme une voie de sainteté.
“Pourtant il manque au père Frédéric une biographie contemporaine”, regrette frère Guylain. “Il faudrait rendre hommage à sa modernité. Car il a beaucoup plus à dire que ce qu’on en dit. Beaucoup, beaucoup plus ! Il peut nous montrer comment la foi chrétienne se déploie, se solidifie et se répand dans un contexte anticlérical – c’est le contexte dans lequel il a grandi en France et dans ce contexte il a développé une foi magnifique. C’est cette foi à contre-courant dont nous avons besoin aujourd’hui au Québec ou en France.” C’est cette foi qui vient de Terre Sainte et a toujours besoin d’y rayonner. τ
(1) Dans le cadre des études faites en vue de la béatification et canonisation, le tombeau du père Frédéric a été ouvert en 1948 puis en 1988 . Le corps du père Frédéric est intact et dans un état de conservation exceptionnel aux dires des témoins.
Prière demandant de croire à l’Évangile
Sur le site qui lui est consacré, perefrederic.ca, on trouve plusieurs outils d’animation et de prières.
Merci à toi, Seigneur,
d’avoir donné au Père Frédéric des dons particuliers
comme celui de toucher les cœurs,
en leur parlant de Jésus et de sa terre natale.
Merci d’avoir donné à cet animateur de pèlerinages
un si grand amour de la Vierge Marie
et à ce marcheur dans nos campagnes
des qualités exceptionnelles
pour consoler les affligés et guérir les malades.
Donne-nous d’être touchés aujourd’hui
par le message de Jésus et de croire à l’Évangile.
Merci à l’avance de la faveur qui me viendra
par son intercession,
pour ta plus grande gloire, Seigneur,
pour sa canonisation et pour mon vrai bonheur.
Amen.
Dernière mise à jour: 09/01/2024 20:32