A Gaza, sur la fréquence 100.1 FM on entre dans le monde de Forsan Al-Erada. Dans les bureaux de cette radio, les collaborateurs portent des handicaps et il s’agit d’une première pour tout le Moyen-Orient.
Vous êtes à Gaza et vous mettez la radio en route, fréquence 100.1 FM. Bienvenue dans le monde de Forsan Al-Erada (que l’on peut traduire par Radio à Forte volonté). Un nom qui n’a pas été choisi par hasard : dans les studios de Deir al-Balah, les Gazaouis qui divertissent le public sont des personnes porteuses de handicap ; une première pour la Palestine mais aussi pour tout le Moyen-Orient.
« La radio a été fondée en 2006 comme une réponse aux six années d’Intifada qui, à Gaza, se sont traduites par une augmentation significative du nombre de personnes handicapées ». Osama Abu Safer fait office de guide dans les différents bureaux de la radio, il nous présente les animateurs, les ingénieurs et les techniciens, se déplaçant rapidement avec son fauteuil roulant. Il est ici depuis dix ans, depuis le jour où la radio est apparue sur les ondes palestiniennes. « À l’époque, certaines organisations locales travaillant dans le domaine du handicap, étaient désireuses d’ouvrir cette radio afin de donner voix aux besoins de ceux qui souffrent de toute forme de handicap – explique-t-il -. La moitié des programmes que nous émettons sont dédiés à ce sujet. Le reste ? De la musique, du divertissement, de l’actualité. De nombreuses personnes nous écoutent, notre radio est comme les autres, mais avec une mission en plus, celle d’œuvrer à une plus grande sensibilisation à la question du handicap ».
Un sujet brûlant dans un pays constamment en proie à la violence, aux émeutes, aux attaques militaires ; un pays où beaucoup d’handicapés ne le sont pas de naissance mais le deviennent perdant en un instant le minimum d’indépendance que peut accorder une vie sous l’occupation. La perception de la société palestinienne est aussi un obstacle, les préjugés mettent souvent au ban les personnes handicapées, les privant ainsi de la possibilité de faire partie intégrante de leur communauté.
Ce sont en tout vingt-six employés qui travaillent à radio Forsan Al-Erada, la moitié d’entre eux avec des handicaps moteur ou déficience visuelle. La radio diffuse de 8 heures du matin jusqu’à 20 heures le soir, quand l’électricité le permet : « Avant le siège israélien [en 2008], nous travaillions 24 heures sur 24. Nous avons été obligés de réduire en raison des pannes d’électricité et de la pénurie de carburant pour les générateurs, une pénurie imposée par Israël ».
Oussama porte en lui une joie transcendante, il se déplace habilement d’un studio à un autre : il peut tout faire, nous partage-t-il, du montage à la diffusion audio. Des compétences qu’il s’est façonnées tout seul : « Les possibilités pour une personne handicapée d’étudier les médias et l’information à l’université sont rares. J’ai appris sur le terrain, ici, grâce à une formation gérée par la BBC et Al-Jazeera ».
Nous passons dans l’un des studios d’enregistrement : Magdulin se tient prête devant le microphone. Elle est responsable de la préparation du contenu des émissions de la radio. Oussama la taquine (« Elle passe son temps à fouiner des nouveaux potins sur les célébrités »), et elle rit. « Cette radio montre au monde extérieur que la communauté des personnes handicapées est une communauté active – explique Magdulin -. Il suffit de faire entendre leur voix. Je m’occupe des femmes handicapées, mais je ne m’y limite pas : la radio s’intéresse à bien des sujets parce que notre objectif est de montrer que nous sommes une partie intégrante de la société. Ainsi, certains de nos auditeurs ne savent même pas que derrière les micros se trouvent des personnes handicapées, quand ils découvrent ils sont tout étonnés. C’est le meilleur moyen pour briser les préjugés ».
Avec le temps, d’autres portent se sont ouvertes : la ville de Deir al-Balah et des universités à Gaza ont lancé des projets communs et des campagnes de sensibilisation en matière d’accessibilité dans les lieux publics comme privés. Quelques succès : des entreprises privées telles que la Banque de Palestine ou les sociétés de télécommunications Paltel et Jawwal ont rendu leurs bureaux accessibles grâce à cette sensibilisation. Et en partenariat avec Forsan Al-Erada, l’Université de Palestine a mis en place des bourses d’études pour les personnes handicapées : « Bien qu’étant une petite réalité, nous avons été en mesure de devenir un modèle pour beaucoup. Malgré les coupures d’électricité et la réduction des heures d’émission, une étude réalisée en 2012, affirmait qu’en moyenne 100 000 Gazaouis nous suivent chaque jour », ajoute Oussama.
Aujourd’hui, ce nombre est en constante augmentation notamment grâce à l’arrivée du site internet de Forsan Al-Erada ; depuis 2013, vous pouvez suivre les programmes de la radio jusqu’en Cisjordanie ce qui n’était pas le cas auparavant. Mais Forsan Al-Erada vise encore plus haut avec la création d’une chaîne satellitaire qui traiterait de la question du handicap et un centre de recherche avec des documents et activités promus par des personnes handicapées.
Parmi ceux-ci on retrouve le programme de parrainage de l’organisation non gouvernementale italienne EducAid. Oussama est l’une des douze personnes sélectionnées afin de fournir un soutien psychosocial aux personnes handicapées, en particulier celles qui ont reçu leur handicap à la suite de l’opération militaire israélienne de 2014 – l’opération « Barrière de protection » – et qui ont ainsi vécu un changement radical dans leur vie.
Ce programme de conseil par les pairs entend soutenir les victimes dans leur chemin vers l’autonomie mais aussi les préparer afin qu’elles soient prêtes à faire des choix, résoudre des situations et des questions qui les touchent directement. Pour cela elles devront tout d’abord franchir les barrières qu’elles ont elles-mêmes érigées dans leur propre communauté d’appartenance : « Au travers de l’échange d’expériences personnelles, les participants sont confrontés les uns avec les autres et le parrain agit en modèle d’émancipation positive – explique Lorenza Sebastiani, qui dirige le projet Peer resilience de l’association EducAid financé par la coopération italienne pour le développement -. Ces réunions permettent à la fois de mettre en évidence les besoins réels des personnes handicapées mais aussi de leur fournir le soutien nécessaire pour devenir ou redevenir un acteur de leur communauté ».
Les besoins sont immenses : suite aux deux mois de bombardements israéliens de l’été 2014, 11.000 personnes ont été blessées. Parmi elles on compte 3 374 enfants.