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Le combat pour la culture à Jérusalem-Est

Nizar Halloun
27 juillet 2016
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Représentation d'Antigone de Sophocle au Théâtre national palestinien dans une mise en scène très contemporaine ©Babil Boutros/ Al-Hakawati

Vous vous êtes promené dans Jérusalem un soir d’été et vous avez trouvé une ville endormie à la tombée de la nuit ? Pourtant à Jérusalem des hommes et des femmes se battent au quotidien pour faire vivre une vie culturelle.


Vous pourrez chercher, il n’y a pas de cinéma à Jérusalem-Est. En tout cas pas de salle comme vous l’imaginez, ayant pignon sur rue, où vous verrez des files de personnes insouciantes défiler sous les néons et les affiches des dernières films sortis. La “réunification” de la ville en 1967 a balayé la vie culturelle. Près de 50 après, Jérusalem, “la ville au carrefour des civilisations”, est plus que jamais divisée. A l’ouest c’est la facilité, les distractions, une offre diversifiée, des moyens financiers. A l’est, la vie culturelle ressemble à la vie politique, meurtrie, appauvrie, bâillonnée.

Pourtant, la vie culturelle palestinienne compte ses héros. Ses artistes, ses mécènes qui veulent que perdure le théâtre, le cinéma, le débat, la réflexion, une pensée à la croisée de l’art et de la réalité. Pour ce faire, trois organisations non-gouvernementales sont à l‘œuvre dans divers domaines artistiques.

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La plus emblématique est le Théâtre national palestinien Al-Hakawati”, le Conteur. Il est au cœur du mouvement culturel de la ville. En 1983, le théâtre est construit par François Abu Salem sur les ruines d’un ancien cinéma “Al-Nuzha”. Très vite, avec la permission de Ali Fretkh, le propriétaire du bâtiment, et le soutien de Feysal Al-Huseini et Amir Al-Khatib, deux grandes figures de Jérusalem, le lieu qui était abandonné est ramené à la vie.

Conçu au départ pour être un centre névralgique du théâtre en Palestine, l’endroit devient pourtant un lieu qui se contente de dispenser des services, un espace loué à l’heure. Le nouveau directeur M. Amer Khalil tente, tant bien que mal, de mener à bien un projet qu’il a vu naître.

La fracture d’Oslo

M. Khalil faisait partie de la compagnie de François Abu Salem. “Les acteurs ont besoin d’un point de repère, une maison qui leur soit ouverte, confie Khalil d’une voix posée. Nous ne voulons pas d’une coquille vide, d’un espace sans âme.

Mais depuis les accords d’Oslo, l’action culturelle à Jérusalem-Est est devenue presque impraticable. En cause d’une part le manque de synergie entre les associations, un public traditionnel peu nombreux et surtout difficile à motiver. De l’autre, des pouvoirs politiques empêchant l’épanouissement des projets.

Après Oslo, les associations ne savaient plus pourquoi elles travaillaient ; la culture et le théâtre sont devenus des produits commerciaux. Les organisations non-gouvernementales étrangères et leurs fonds, dont je ne peux me permettre de me priver, ont tué toutes les initiatives personnelles sérieuses. Aujourd’hui la culture à Jérusalem ne peut fonctionner sans l’aide étrangère. Dans le passé, les groupes faisaient du théâtre parce qu’il y avait un réel désir, l’argent comptait pour peu.”

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Pourtant, fin 2014 quelques institutions se sont regroupées sous une même ombrelle appelée Shafaq”. Cette “coopérative culturelle” leur apporte une relative stabilité financière. Mais la stabilité n’est pas une qualité de la ville sainte et les périls demeurent. “Nous devons payer des centaines de milliers de shekels de taxe, poursuit M. Khalil. Nous avons le même statut que les organisations équivalentes israéliennes mais contrairement à elles nous ne sommes pas exemptés des taxes.

Du coup les associations culturelles font un travail épuisant de recherche de fonds. D’une part, elles doivent mettre en place un niveau de culture digne, le maintenir et le promouvoir. De l’autre, elles sont dans un combat incessant pour demeurer dans la légalité.

Prudence

Malgré tout Khalil explique qu’il travaille pour l’avenir. “Notre travail se résume à l’éducation de la nouvelle génération. Ces jeunes auront à leur tour une famille et ils partageront leur l’amour du théâtre avec leurs enfants.

Non loin du Hakawati” se trouve le ArtLab, une organisation spécialisée dans l’enseignement des productions multimédias. Pour cette équipe les défis sont nombreux mais la mission est simple : enlever le fardeau politique et économique des épaules des jeunes pour offrir un espace à la liberté d’expression et de créativité. Pour ce ‘laboratoire des arts’, l’apprentissage et l’acquisition d’un métier en rapport avec la culture et les arts est essentiel. Elle permet la valorisation des métiers non traditionnels auprès des parents.

Dans une société étriquée à bien des égards le ArtLab est un espace de liberté et de créativité ©Photos ArtLab

“Alors que certaines organisations font un travail remarquable, d’autres transforment leur organisation en ‘une vache à lait’. Le nom de la Palestine est vendeur et on en profite pour faire de l’argent,” lance Ahed Zhiman, co-fondateur du ArtLab, d’un ton franc.

En territoire surveillé les associations agissent avec prudence. La “normalisation”, cette ligne rouge, ne peut gagner les agendas culturels. Ce que les Palestiniens appelle la “normalisation” peut se définir ainsi : “C’est la participation à tout projet, initiative ou activité, spécialement conçu pour la rencontre de Palestiniens et Israéliens sans que soit explicitement dénoncées l’occupation et toute forme de discrimination ou d’oppression contre le peuple palestinien.”

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En d’autres termes, Mahmoud peut rencontrer David et ils peuvent faire un film ensemble, car c’est une rencontre entre hommes passionnés du même art. Mais si on présente ce travail pour être celui d’un Palestinien avec un Israélien, alors c’est de la normalisation. En Palestine la frontière entre les deux est d’une clarté limpide.

Au ArtLab, nous travaillons avec quiconque a un but purement artistique, souligne M. Zhiman. Nous refusons toute normalisation ainsi que les fonds conditionnés, car ils interdisent automatiquement la liberté d’expression et altèrent la mission de l’organisation.”

Une richesse à découvrir

L’impact de la politique sur le terrain a rendu difficile le contact entre les différents quartiers Palestiniens de Jérusalem. Ces organisations deviennent alors des centres culturelles, artistiques, pédagogiques mais également des lieux d’échanges. La fille palestinienne étudiant à l’école américaine, tatouée, et la fille du camp de réfugié de Shuafat, voilée, se rencontrent et travaillent sur un message commun. Nous aspirons à une nouvelle génération dynamique et active dans tous domaines culturels et artistiques.”

Faire revivre la vie culturelle à Jérusalem”, telle est la mission et le slogan de Yabous. Fondé en 1995, l’organisation s’occupait de l’organisation du “mahrajaan al-Quds”, le Festival de Jérusalem. Depuis, il est devenu un centre culturel proposant une large gamme d’activités.

“À la fin de l’année, nous allons célébrer en grande pompe les vingt ans du Centre, dit Khaled El-Ghoul avec un grand sourire, directeur des projets à Yabous. Au cœur des festivités se trouvera l’inauguration d’une grande salle de cinéma et d’une bibliothèque unique en son genre.”

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“La richesse culturelle de Jérusalem est immense et doit être mise en avant sur la scène culturelle mondiale. Nous devons par nos projets offrir à notre public les cultures du monde”, explique M. Khaled. L’intellectuel Palestinien est toujours dans la lutte pour élargir sa culture et se bat pour la liberté d’expression à la fois dans sa société et à l’extérieur, et cela dans la littérature, la danse, la musique, le théâtre et le cinéma.

Identité nationale

“Autrefois, le monde entier se rencontrait à Jérusalem intra muros. Aujourd’hui, la vie culturelle s’est déplacée à Ramallah. Jérusalem est restée délaissée et les gens ont perdu l’intérêt pour la culture à cause de la guerre et de l’isolement imposé par la conjoncture.”

“Lorsque nous faisons une activité, nous remarquons que les personnes présentes sont en grande majorité des étrangers. C’est que nous n’avons pas su rejoindre notre public. Ici, une exposition sur Salvador Dali ferait un bide. Il faut avoir un sujet de qualité tout en étant en mesure d’attirer l’attention du public de Jérusalem.”

Dans un espace culturel comme celui de la Jérusalem d’aujourd’hui le public aspire à tout. Qu’il s’agisse de cinéma, de musique, de danse, la demande est forte. Le public est surtout intéressé par toutes les expositions qui mettent en valeur son identité nationale et son héritage culturel.

Pour Yabous, l’indicateur du succès à Jérusalem-Est est, et sera, incontestablement lié à la possibilité de s’ouvrir et échanger avec les autres cultures du monde. “Sachant que l’influence est réciproque, précise M. Khaled, car nous, Palestiniens, sommes acteurs dans cette richesse.” 

Dernière mise à jour: 10/01/2024 20:28

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