Le camp de Holot se trouve dans le désert du Néguev. Des milliers de demandeurs d'asile arrivant en Israël y sont confinés. De leurs histoires, est né un travail théâtral et un film. Les deux réalisateurs nous en disent plus.
« Quelle différence y a-t-il ? Il est vrai que je peux marcher dans le désert, mais c’est comme si j’étais en prison, elle est juste plus grande », partage Anwar Suliman à la caméra qui le suit alors qu’il avance sur une des routes poussiéreuses aux alentours de Holot. Nous sommes dans le désert du Néguev, tout près de la frontière avec l’Egypte. Ici, en 2013, le gouvernement israélien a ouvert un centre qui retient environ 2.500 des 44.000 demandeurs d’asile du pays (en décembre 2015, la structure était complète et totalisait 3.600 personnes) ; la plupart sont Erythréens et Soudanais, ils fuient une dictature féroce et un génocide. Les cycles de détention peuvent atteindre jusqu’à 12 mois, et il arrive que certains soient renvoyés plus d’une fois.
Holot n’est pas une prison mais un « centre de détention ouvert », ainsi entre un appel et un autre les « hôtes » peuvent sortir à l’extérieur du complexe. Cependant sans argent ni moyen de transport, le désert environnant devient bien vite une prison pour les demandeurs d’asile comme Suliman. Depuis plus d’un an, lui et d’autres détenus ont passé leurs heures de liberté dans un hangar désafecté à proximité du camp, ils ont mis en scène leurs propres histoires sous la direction du metteur en scène Chen Alon et du documentariste Avi Mograbi. Le résultat est Between Fences – Entre les Clôtures, un documentaire et une performance qui est en train de tourner sur les théâtres d’Israël et dans les festivals internationaux.
C’est Mograbi, l’un des réalisateurs de documentaires les plus expérimentaux souvent critiqué en Israël, qui eut l’idée d’aller voir de ses propres yeux le quotidien du camp de Holot. En 2013, alors que les autorités venaient juste d’ouvrir le centre de détention, Mograbi lut dans les journaux l’histoire d’un groupe de réfugiés érythréens contraints de rester pendant huit jours entre la frontière égyptienne et israélienne. « La décision de la Cour suprême a finalement débloqué la situation, mais l’armée n’a accordé le passage qu’à certains membres du groupe, renvoyant 18 personnes », se souvient Mograbi. « C’est une histoire juive. Un épisode qui m’a rappelé la Seconde Guerre mondiale, lorsque les Juifs allemands et français sont arrivés à la frontière Suisse et ont été rejetés. Je me suis demandé : comment nous, Israéliens, qui vivons dans ce pays fondé par un peuple de réfugiés, n’arrivons-nous pas à éprouver de l’empathie pour celles et ceux en fuite, quand bien même ne sont-ils pas juifs ».
Mograbi, Alon et une très petite équipe comment alors à parcourir, plusieurs fois par semaine, les deux heures qui séparent Tel-Aviv et Holot. « Avant tout pour dire aux prisonniers : vous n’êtes pas des oubliés, nous vous voyons, nous vous entendons », explique Chen Alon, réalisateur et acteur qui pendant des années a utilisé les techniques du Théâtre de l’Opprimé, œuvre du brésilien Augusto Boal. Il aura fallu beaucoup d’efforts et de patience avant d’établir un contact et être en capacité de commencer le tournage avec les « hôtes » de ce camp ; « nous ne savions pas bien si ce que nous voulions faire était utile et bien accepté », raconte Mograbi. Mais après quelques mois, un groupe stable s’est formé et Alon a pu initier un atelier théâtral au cours duquel les demandeurs d’asile ont pu raconter leurs propres histoires d’émigration forcée et de discrimination perpétrée par ce gouvernement israélien qui les considérent comme de dangereux « infiltrés ».
Les techniques du Théâtre de l’Opprimé permettent la mise en œuvre d’un processus thérapeutique au travers de l’identification et des jeux de rôle ; Alon explique que l’objectif est de « créer un processus de réconciliation entre les réfugiés et la société israélienne ». Le directeur se souvient d’un des moments clés du processus créatif, alors qu’il demandait au groupe : « Si vous étiez sur une estrade pour expliquer aux Israéliens votre point de vue ou raconter votre histoire, comment le feriez-vous ? ». L’un des « acteurs » a répondu que pour décrire la réalité qu’il avait fui il mettrait un dictateur sur un fauteuil, occupé à manger une banane, alors que tout le monde autour de lui hurle de faim et de souffrance. Cette scène comme tant d’autres est présente dans Between Fences, parce qu’au fur et à mesure que l’atelier progressait, Mograbi filmait. Le documentaire, dont la première eut lieu à la Berlinale 2016, nous fait vivre les différentes étapes par lesquelles la performance a pris forme, une performance que les demandeurs d’asile ont déjà joué sur scène une trentaine de fois en Israël. « Cela s’est fait avec l’évolution du projet, nous n’avions pas, à priori, la perspective d’un film », souligne Mograbi.
Après quelque temps, un groupe de non-israéliens et pas des acteurs, a décidé de se joindre aux réfugiés et de participer au projet ; ce fut un nouveau départ. « Il nous a fallu des mois pour nous rendre compte que le problème de Holot était aussi la nôtre », déclare Alon. « Nous sommes des citoyens d’un Etat démocratique et l’existence d’un centre comme celui-ci est également de notre responsabilité. L’unique solution efficace, pour venir à bout de ce désespoir, est de créer une communauté où ces hommes et ces femmes sentiront qu’ils ne sont pas oubliés ; c’est à nous, israéliens, de travailler ensemble pour changer leur situation ».
En juin dernier, Israël a accordé le statut de réfugié à Muntasim Ali, premier Soudanais à se voir reconnaitre ce droit. L’Etat juif est pourtant signataire de la Convention sur les réfugiés, mais selon Hotline – une des organisations israéliennes les plus importantes parmi celles offrant de l’aide et des conseils juridiques aux demandeurs d’asile – seul 1 % des demandes ont été reçues.
Mograbi l’affirme : « il est vraiment difficile de comprendre comment une société, qui a demandé au monde de s’identifier à son histoire faite de persécutions, puisse aujourd’hui être aussi indifférente à la douleur d’autrui », l’objectif premier de Between Fences est précisément de créer de l’empathie. Alon reconnaît qu’une grande partie du public assistant aux projections et aux spectacles est déjà convaincu que cette discrimination à l’égard des demandeurs d’asile est erronée, mais il estime qu’ »une stratégie efficace n’est pas tant de convaincre ceux qui pensent différemment de nous ; il s’agit plutôt de réussir à activer les énergies des personnes qui partagent notre point de vue mais sont peut-être encore assises chez elles, les bras croisés ».
S’inscrivant dans les pas du Théâtre de l’Opprimé, Between Fences transforme aussi les spectateurs en acteurs, proposant d’échanger les rôles. « Qui a vu le film et participé à la performance se rend compte qu’il existe une alternative à cette situation horrible, et nombreux sont venus nous demander ce qu’ils pouvaient faire », poursuit Alon. « Les possibilités sont nombreuses, du travail au sud de Tel-Aviv où l’on accueille les réfugiés au bénévolat au sein d’organisations qui traitent des aspects juridiques ». Le réalisateur est l’un des co-fondateurs de Combatants for Peace, une organisation composée d’anciens soldats israéliens et de combattants palestiniens qui ont décidé de s’engager pour le dialogue, d’expérience, il sait que l’humanité de l’autre est essentielle, il ne faut jamais la perdre de vue. Selon lui, « avoir démantelé les murs entre Israéliens et réfugiés en organisant ce genre d’événements signifie beaucoup dans la lutte contre la déshumanisation, cette même déshumanisation qui permet au gouvernement de discriminer les demandeurs d’asile et de violer ainsi leurs droits humains ».
Retrouvez un extrait de documentaire en cliquant sur ce lien.