Ils sont 3000 bénévoles, armés d’un seul casque blanc, à intervenir dans les endroits les plus dangereux de Syrie. Le prix Nobel alternatif a récompensé leur courage.
(Paris/Beyrouth – ER) – Vous aurez peut-être entendu parler d’eux au cours des derniers jours puisqu’ils ont reçu le « prix Nobel alternatif » (Right Livelihood Award) en Suède. Les Casques blancs syriens (White helmets) soient quelque 3000 bénévoles, hommes et femmes, sont méconnus des médias et de l’opinion internationale et pour cause, loin des causeries diplomatiques, ils passent leur temps à secourir des milliers de civils.
Ce corps d’intervention d’urgence, fondé en 2013 par un professeur d’anglais et qui porte le nom officiel de Défense civile syrienne regroupe 115 centres dans 8 régions différentes. Ces membres portent tous un casque blanc d’où leur surnom. Dans la charte de conduite et déclaration d’intentions de cette organisation trois missions se dégagent : protéger la population civile contre les dangers résultant des conflits armés et autres catastrophes ; accélérer et faciliter la guérison et récupération des civils après de tels évènements ; enfin fournir les conditions nécessaires à la survie des populations. Pour qui connait le sort et l’état de la Syrie actuelle, leur mission relève quasiment du martyr. Roquettes contenant des produits chimiques, barils d’explosifs lâchés du ciel, attentats à la voiture piégée, la liste est aussi longue qu’effrayante, cependant il s’agit d’arriver en premier et au plus vite, sur ces lieux pulvérisés par un camp ou l’autre.
Dans certaines zones du pays, les Casques blancs sont devenus l’unique alternative aux services d’urgence médicale, des services qui récemment ont été pris pour cible, rappelons seulement ce convoi humanitaire de 31 véhicules du Croissant rouge syrien pilonnés le 20 septembre dernier alors qu’une trêve avait été proclamée. Lutte contre les incendies, recherche, sauvetage et évacuation des civils – les vivants comme les victimes – premiers secours et acheminement vers les hôpitaux encore existants qu’ils soient officiels ou non, création de refuges d’urgence, détection et signalisation de zones potentiellement minées ou contaminées…tel est le quotidien, pour ne pas dire l’enfer, de ces bénévoles.
Mais on ne s’improvise pas sauveteur aussi l’organisation a-t-elle peu à peu organisé des sessions de formation et professionnalisation. C’est auprès d’ONG qu’elle trouve le soutien nécessaire. Telle Ark qui accueille des volontaires à Adana, dans le sud de la Turquie, formés à la protection civile et à la gestion du stress. Il s’agit avant tout de limiter les risques pris mais le matériel fait cruellement défaut : masques à gaz, défibrillateurs, lunettes de protection peinent à entrer en Syrie. Etudiants, artisans, boulangers, instituteurs, par petit groupes de 20 à 25, ils s’exfiltrent de Syrie pour quelques jours de relâche, loin des obus et des pénuries. Alors qu’ils sont soutenus financièrement par les États-Unis, la France, le Japon, l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas et le Royaume Uni, certains – dont le régime syrien et la Russie en tête – doutent ouvertement de leur impartialité ; elle fait pourtant partie des principes fondamentaux revendiqués par l’organisation.
N’en déplaisent aux sceptiques, en Syrie comme ailleurs, il y a des gens qui accordent encore du poids à la vie, qui ne s’intéressent ni au politique ni au religieux mais bien à l’Homme. Les bénévoles portant ce casque blanc ont fait le choix de ne pas combattre, il aurait pourtant été plus « simple » de joindre l’un des groupes armés contre une rente mensuelle à même de faire vivre une ou plusieurs familles. Convaincus que ce n’est pas de plus de soldats dont la Syrie a besoin pour retrouver la stabilité et la paix, ils sont à eux seuls le reflet d’une partie de la société civile syrienne. Le peuple syrien dont l’on vantait l’hospitalité, l’humilité et la générosité peine à se retrouver, seul, face à l’horreur de la guerre, pris en étau entre le régime et la myriade de factions révolutionnaires sans parler des mouvances islamiques.
« Les Casques blancs représentent les Syriens ordinaires qui veulent la paix et la sécurité. Ces bénévoles sont une lueur d’espoir au milieu de la tragédie humaine qu’est la guerre civile syrienne. Il est donc encore plus horrible que les premiers à y répondre soient eux-mêmes ciblés », a proclamé Ole von Uexkull, qui leur a remis le prix Nobel alternatif. Ce à quoi le directeur de l’organisation, Raed al-Saleh, a répondu : « Nous sommes honorés d’accepter ce prix incroyablement prestigieux et espérons sincèrement que dans un avenir proche, nous pourrons laisser de côté nos outils de sauvetage pour commencer le travail de toute une génération qui devra reconstruire la Syrie ». Depuis leur création et selon leurs propres décomptes, les Casques blancs auraient secouru plus de 60 000 personnes. Le conflit syrien a franchi en septembre la barre « symbolique » – pour qui ? – des 300 000 victimes en cinq années.
Mise à jour du 23 septembre : Trois des quatre centres des « casques blancs » situés dans les quartiers d’Alep sous contrôle des rebelles ont été visés par une série de bombardements dans la journée de vendredi faisant plusieurs blessés parmi les volontaires (voir Le Monde).
———–
Pour en savoir plus sur ces bénévoles, vous pouvez visionner le webdocumentaire « Casques sur le front » de Robin Braquet et Flavian Charuel, journalistes, et Emmanuel Prost, dessinateur – réalisé en partenariat avec France 24, RFI et Courrier International. Les deux journalistes sont partis à la rencontre des Casques blancs lors d’une de leurs séances de formation.
Très prochainement également et sur les écrans, le documentaire d’Orlando von Einsiedel, réalisateur britannique, dont voici la bande annonce. Le documentaire a déjà été retenu dans de nombreuses sélections officielles et festivals.