Israël Finkelstein: l’archéologue qui relit la Bible
Parlez-nous de votre intérêt pour la Bible. Comment a-t-il évolué, et que ce texte représente-t-il pour vous aujourd’hui ?
Mon intérêt a progressé graduellement, parallèlement à mon travail d’archéologue. En réalité, je me suis toujours considéré comme un historien pratiquant l’archéologie, et en tant qu’historien, la compréhension des textes est de la plus haute importance. Ma première approche de la recherche biblique date de la rédaction de ma thèse de doctorat sur l’essor de l’ancien Israël dans les Hautes Terres : j’ai alors dû confronter les différentes traditions bibliques, leurs dates et leurs significations. Sur le plan personnel, je considère la Bible comme le texte fondateur de ma culture en tant que Juif, en tant qu’Israélien et, plus largement, en tant que membre d’une plus vaste civilisation judéo-chrétienne.
Comment définiriez-vous votre approche de la Bible ?
Comme une «vue du centre». Les minimalistes soutiennent qu’une grande partie – si ce n’est l’intégralité – du texte biblique concernant l’histoire de l’Israël ancien fut mis par écrit aux périodes perse et hellénistique (entre le Ve et le IIIe siècle av. J.-C., ndlr.) et n’a par conséquent aucune valeur dans une reconstruction objective de l’Histoire. Contrairement à eux, je soutiens que de nombreux textes ont été rédigés au VIIe siècle av. J.-C., avant la chute de Jérusalem et que certains d’entre eux, en particulier ceux qui concernent le Royaume du Nord, sont même quelque peu antérieurs. En règle générale, je préconise une approche critique du texte sans toutefois en rejeter la valeur pour la compréhension du passé.
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Quelles «idées claires» faut-il avoir en tête, selon vous, pour lire la Bible de façon critique ?
Il faut être conscient qu’il s’agit de textes écrits des siècles après nombre des événements qu’ils décrivent et savoir que les auteurs avaient des objectifs théologiques, politiques et culturels en rapport avec leur propre époque – et non avec l’époque à laquelle les événements étaient censés s’être déroulés. En quelque sorte, ces auteurs étaient plutôt des théologiens que des historiens au sens moderne du terme. Il faut aussi savoir qu’il n’y a pas de règle concernant l’historicité des textes : chaque référence doit être vérifiée de manière indépendante, en tenant compte de l’exégèse biblique critique, de l’archéologie et des autres textes du Proche-Orient ancien.
Au sein des études bibliques, existe-t-il selon vous suffisamment de «ponts» entre la littérature et l’archéologie ?
Le principal problème est que la plupart des chercheurs en études bibliques ne sont pas assez conscients de l’importance de l’archéologie pour l’étude du texte biblique, et que parallèlement, trop d’archéologues n’ont aucune formation en études bibliques. La solution serait dans une plus grande reconnaissance de cet état de choses des deux côtés et une coopération intime entre spécialistes des deux domaines. Deux récents articles que j’ai écrits avec le professeur Thomas Römer, directeur du Milieu biblique au Collège de France, sur les cycles de Jacob et d’Abraham dans la Genèse, démontrent la valeur d’une telle collaboration.
Quelles sont vos dernières découvertes majeures sur le terrain ?
Elles proviennent de Megiddo et du désert du Negev. À Megiddo, par exemple, nous avons récemment découvert les vestiges d’un édifice monumental, appartenant à une phase relativement ancienne de l’âge du Fer, et qui a pu servir de temple. Ceci met en lumière l’histoire des activités cultuelles sur le site aux âges du Bronze et du Fer. En fait, les trouvailles révèlent certaines transformations dans les pratiques cultuelles du Royaume du Nord, et sont par conséquent importantes pour la compréhension de questions plus vastes relatives à l’Israël des temps bibliques.
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Quels sont les plus gros défis auxquels l’archéologie est confrontée dans votre pays à l’heure actuelle ?
L’archéologie en général, et l’archéologie en Israël en particulier, ont récemment pris une direction nouvelle. Les trouvailles archéologiques appartiennent à deux catégories : ce que l’on peut voir à l’œil nu et ce que l’on découvre sous un microscope. Cette dernière, la micro-archéologie, a longtemps été négligée, alors qu’elle est indispensable à la reconstitution d’une image plus complète du passé. Certaines des questions les plus fondamentales, comme celles de la datation exacte, de la reconstruction du climat des périodes antiques, des mouvements de population, ou des caractéristiques du commerce ancien peuvent trouver une réponse en utilisant les méthodes de la micro-archéologie : par exemple la datation par le radio-carbone, l’analyse de l’ADN ou celle de résidus moléculaires contenus dans des vaisselles céramiques antiques.
Votre livre La Bible dévoilée (2002) est un best-seller. Quels types de réactions a-t-il suscité, en Israël et à l’étranger ?
Comme vous pouvez l’imaginer, il y a eu de bonnes et de moins bonnes réactions. La plupart des gens ont réagi en fonction de leur approche personnelle de la Bible, aux niveaux religieux et culturel. Ce qui me dérange c’est que parfois, aussi bien en Israël qu’à l’étranger, certains jugent mon travail de recherche sur ce qu’ils entendent ou lisent dans les médias et non en lisant mes publications ; mais j’imagine que je ne peux rien y faire.
Votre voix peut-elle se faire entendre aujourd’hui en Israël ?
Israël est une société démocratique et pluraliste, toutes les voix peuvent s’y faire entendre, même s’il n’est pas toujours aisé de faire entrer les théories critiques dans les programmes de l’enseignement secondaire.
Vous projetez d’écrire un livre sur Jérusalem. Mais tout n’a-t-il pas déjà été écrit à ce sujet ?
Pas du tout, car l’activité archéologique y est très importante et il ne se passe pas un jour sans que des découvertes de terrain viennent remettre en question ce que nous savons de son passé. Par ailleurs, le travail archéologique sur d’autres sites peut aussi porter un certain éclairage sur l’histoire de Jérusalem comme la datation des strates archéologiques de bourgades de la région de Juda. Notre compréhension des textes bibliques relatifs à Jérusalem mérite également d’être réévaluée. La plupart des chercheurs voient par exemple la description de la construction du mur d’enceinte de la ville de Jérusalem dans le chapitre 3 de Néhémie comme un texte authentique datant de la période perse, alors que je la vois comme une addition postérieure, datant de la période hasmonéenne.
Vous voyagez souvent en France et votre épouse est française. Comment décririez-vous l’intérêt des Français pour la Bible ?
Il me semble fort et j’y vois plusieurs explications : d’abord une authentique curiosité intellectuelle concernant l’Histoire et la religion ; ensuite, bien que la France soit une société laïque, un profond intérêt pour ses racines judéo-chrétiennes ; enfin, les Français, de même que de nombreux Européens, s’intéressent à ce qui se passe au Moyen-Orient aujourd’hui. Comprendre le passé leur permet, à juste titre d’ailleurs, de détenir certaines clés pour comprendre le présent.
Israël Finkelstein, éléments biographiques
Ancien directeur de l’Institut d’archéologie de l’université de Tel Aviv et directeur des fouilles de Megiddo, cet archéologue israélien de 67 ans le martèle à l’envi : la Bible hébraïque n’est pas une chronique historique. C’est une collection de textes compilés entre le VIIe et le IIe siècle av. J.-C., soit plusieurs siècles après les événements qu’ils décrivent, avec un objectif clair, redorer le blason du royaume de Juda (royaume hébreu du sud) et de sa capitale Jérusalem, à une époque où le royaume d’Israël (royaume du nord), qui avait longtemps été le plus puissant des deux, n’existe plus. Dans un pays où le passé devient souvent un enjeu politique, Israël Finkelstein se tient loin d’une archéologie qui se contenterait de fournir des «illustrations» au texte biblique, tout en refusant également de céder à la provocation et à la controverse facile.
Dernière mise à jour: 21/01/2024 19:58