Les éditeurs du monde entier pourraient bien lui en vouloir énormément. Ceux du moins qui publient des guides de Terre Sainte. Selon toute vraisemblance en effet, le frère Dominique-Marie Cabaret va rendre caduques tous les chapitres consacrés à la via Dolorosa et dans cette fameuse rue spécialement le paragraphe sur l’arc de l’Ecce Homo.
On vous a dit : c’est un arc de triomphe élevé par l’empereur romain Hadrien en 135 pour sa nouvelle ville d’Aelia Capitolina ? Eh bien non. frère Dominique-Marie sourit comme un enfant espiègle. Il est en train de jouer un tour à l’histoire de Jérusalem. Et une fossette se dessine sous son œil rieur.
Le religieux dominicain de 48 ans, arrivé en 2012 à l’École biblique et archéologue française (Ebaf) de Jérusalem, vient rappeler aux Israéliens que l’archéologie française en Palestine (1) n’est pas morte.
Genèse d’une thèse
Tout est né d’une discussion avec le frère Jean-Baptiste Humbert. Un jour que les religieux devisaient sur leurs passions communes, à la croisée de la topographie et de l’histoire, frère Jean-Baptiste partagea une de ses intuitions. Il en faut pour être un grand scientifique. “L’axe d’orientation de la piscine du Strouthion est celui du second mur Est de la ville.”
Le “second mur” c’est celui des trois murs dont parle l’historien juif Flavius Josèphe quand il retrace la prise de Jérusalem par les Romains en 70 de notre ère. Le Strouthion, c’est cette piscine aujourd’hui située au sous-sol du couvent des sœurs de Sion au début du chemin de croix. Le tracé dudit second mur fait jusqu’à ce jour l’objet d’hypothèses variées et toujours pas vérifiées.
Lire aussi >> Archéologie : à la recherche du prétoire de Pilate
Quelque temps plus tard, lors d’une visite à l’Ecce Homo, frère Dominique-Marie reconsidéra l’aspect de l’arc. Guide de pèlerinages en Terre Sainte depuis quinze ans et devenu professeur de topographie à l’Ebaf, il a lu tout ce qui a été écrit sur ce secteur de la ville. Et ce jour-là, sur place il avait en tête l’article d’Yves Blomme (2) qui – déjà en 1979 – était intitulé “Faut-il revenir sur la datation de l’arc de l’Ecce Homo ?”.
Car frère Dominique-Marie n’est pas le premier à contester que l’arc de l’Ecce homo soit un arc de triomphe, une hypothèse d’ailleurs récente. Jusque dans les années 1950 en effet, les historiens et archéologues y voyaient la porte d’entrée de l’Antonia, la forteresse d’Hérode.
Reste d’une porte fortifiée
Pour le dominicain ce n’est pas ça non plus. Ses recherches – qu’il mène depuis deux ans maintenant dans le cadre d’un doctorat en archéologie – l’ont amené à repenser toute l’histoire de ce quartier considérablement remanié par Hérode du fait de l’agrandissement qu’il fit de l’esplanade du temple.
Selon frère Dominique-Marie donc, cet arc serait ce qui reste d’une porte fortifiée, ouverte à l’époque hérodienne (c. 20 av. J.-C.) dans un mur asmonéen construit au IIe siècle av. J.-C. Hérode aurait procédé à l’ouverture de cette porte précisément parce que ses travaux d’embellissement du temple avaient conduit à faire disparaitre la porte qui permettait de sortir de la ville vers l’Est et le Mont des oliviers.
Lire aussi >> À la (re)découverte d’Hérode le Grand au Musée d’Israël
Pour étayer son hypothèse, le dominicain balaie quatre siècles d’urbanisme dans un quartier qui va de l’esplanade du Temple à la porte de Damas. Et ses travaux dans ce secteur le conduisent à d’autres hypothèses. Alors qu’on avait tendance à penser qu’Hadrien avait détruit la ville juive de Jérusalem pour bâtir son Aelia Capitolina dans une facture toute entière romaine, on s’aperçoit qu’il aurait bien pu conserver des éléments d’urbanisme asmonéen. Ainsi de la distribution des quartiers à partir de la porte de Damas par un trident – ou patte d’oie. La confusion qui règne dans le souk masque cet ordonnancement mais, tant la lecture des cartes de la ville qu’une vue aérienne le montrent clairement (voir photo ci-dessus).
Frère Dominique-Marie devant son ordinateur ouvre une succession de documents qui appuient ses conclusions. Et devant ces visuels son enthousiasme est communicatif.Car le plus extraordinaire avec l’archéologue c’est qu’il justifie ses dires de façon ultra convaincante et ce sans déplacer un caillou de la vieille ville.
Rigueur scientifique
C’est là qu’on s’aperçoit que le profil du dominicain n’est pas banal. Bac scientifique en poche, le jeune homme fait une école d’ingénieurs puis travaille deux ans à l’Aérospatiale avant d’entrer dans l’Ordre des frères prêcheurs. En formation entre la Suisse et Toulouse, le voilà embarqué dans une thèse de théologie dogmatique sur la Trinité. Excusez du peu.
Quand il arrive à Jérusalem, il y a quatre ans, on lui confie la procure (ou économat), et il arrive à l’archéologie par goût personnel pour l’histoire et la géographie et aussi parce que l’Ordre aimerait bien que de jeunes frères prennent la relève dans ce domaine. Mais la rigueur scientifique sublime avec lui l’archéologie. Alors que toute fouille est impossible de nos jours dans le quartier musulman – sauf à Israël lors de rares démonstrations de puissance – le frère Dominique-Marie étaye sa thèse de données mathématiques.
Lire aussi >> Qumrân n’est pas un monastère d’Esséniens
Il y a les données astronomiques qu’il va chercher à l’observatoire de Paris pour vérifier l’alignement du soleil le 16 mars de l’année 122 av. J.-C. Il y a la vérification des mesures en coudées royales égyptiennes utilisées par les asmonéens et abandonnées sous Hérode au profit du pied romain. Il y a les degrés d’orientation de tel ou tel monument. Cela se corse quand on en vient à parler de l’équation des ellipses à deux centres ou du théorème de Thalès.
Effet domino
Et fort de tous ces éléments, c’est sur un logiciel de dessin assisté par ordinateur qu’il reporte tout, jusqu’à faire apparaître sous les yeux du profane des tracés, des plans, des axes qui ne doivent rien au hasard. Un triangle, un rectangle, des segments de tailles proportionnelles. La ville a été tracée au cordeau et cela apparaît avec une clarté toute géométrique. Un tracé qui n’est pas que rigoureux mais qui tend à faire ressortir la centralité du temple.
Un aspect sur lequel frère Dominique-Marie ne veut pas s’étendre parce que ce n’est pas son sujet, dit-il. Mais un aspect qui fait comprendre que sa thèse pourrait bien devenir un best-seller pour les passionnés d’histoire antique et juive de la ville, tant elle aura de retentissements et d’ondes de choc.
Le visage du dominicain se fronce. Les effets domino de ce qu’il va annoncer pourraient être assez importants dans le cercle des connaisseurs. Il n’a donc pas le droit à l’erreur. Aussi, tous les chiffres, tous les axes sont vérifiés et recalculés et calculés encore. Et jusqu’à présent tout concorde. Et même, chaque nouveau calcul, chaque nouvelle question entraîne son lot de découverte corollaires qui tendent à corroborer l’ensemble.
Frère Dominique-Marie aimerait bien finir sa thèse cette année. Nous avons bien de la chance car elle sera écrite, et une fois soutenue, publiée en langue française. Faire un nouveau doctorat ? Il n’y pensait pas. Il n’est pas collectionneur dit-il. C’est le Vatican qui l’exigeait pour enseigner dans la faculté canonique qu’est l’École biblique et archéologique de Jérusalem. Bienheureuse obéissance !
(1) Qu’on ne se trompe pas sur l’expression et sur l’usage de Palestine ici. C’est une école vieille de 150 ans à laquelle
on fait référence.
(2) Revue biblique 86 (1979), p. 244-271 .
Dernière mise à jour: 21/01/2024 19:58