Le centre Al-Liqa’, la rencontre comme idéal
A deux pas du mur du camp de réfugiés de Aïda, tagué de slogans en arabe et de drapeaux palestiniens, se trouve le Centre d’études religieuses et du patrimoine de la Terre Sainte. Il a ouvert ses portes il y a 30 ans déjà. Le nom Al-Liqa’- qui se traduit « la rencontre » – et le message du Centre se fondent sur l’idée de la rencontre entre Dieu et l’Homme et celle des hommes entre eux, explique le directeur Youssef Zaknoun. “Ce n’est pas un Centre politique ou religieux mais un Centre abordant les questions religieuses et politiques dans une approche théologique chrétienne au premier degré.”
A l’ombre de l’Église, tout en conservant une indépendance intellectuelle, le Centre regroupe des religieux et des laïcs, chrétiens et musulmans, universitaires, écrivains, poètes et intellectuels de tous bords et issus de différentes villes de Terre Sainte. Il a pour mission d’être un centre de recherches et d’études œcuménique et interreligieux discutant tous les sujets qui touchent de loin ou de près à la Terre Sainte. Unique en son genre, il étudie les problématiques des Églises locales dans l’optique de l’échange et de la recherche académique.
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“Le Centre œuvre en premier lieu à promouvoir le dialogue islamo-chrétien mais également à débattre de sujets d’actualité touchant à l’Église locale, explique monsieur Zaknoun d’une voix claire et posée. Cette attention particulière accordée à la relation entre chrétiens et musulmans vise à mettre en place un dialogue interreligieux sans cesse renouvelé et indispensable.”
Conscient du rôle primordial de l’éducation dans ce domaine, le Centre est à l’initiative de programmes taillés sur mesure pour construire le dialogue et le vivre ensemble. C’est dans les écoles qu’il cherche à rejoindre les enfants, les jeunes adultes et les enseignants.
Tradition chrétienne locale
“Comme Jésus l’a enseigné et l’a vécu dans sa propre vie, explique le directeur, le chrétien n’est pas isolé de son environnement. Quand bien même il vit avec le fardeau d’un passé injuste, subissant les circonstances difficiles de la réalité quotidienne.” L’opposition – qui peut surprendre – tient au poids de la tradition locale chrétienne. Ici, quand la vie fait trop mal, on préfère souffrir en silence et s’en remettre à Dieu.
Mais selon la “philosophie” du Centre, le chrétien ne doit pas séparer sa foi des problèmes de son temps. Sa place est au cœur du monde, et ce n’est pas en contradiction avec les enseignements de l’Évangile. Telle était l’idée de départ du groupe fondateur. C’est l’essence de la théologie de la libération qui propose non seulement de sortir les pauvres de leur pauvreté, mais surtout qu’ils soient les acteurs de leur propre libération.
“Les chrétiens de cette terre sont Palestiniens. Les douleurs de ce peuple sont les leurs. Le chrétien palestinien est une partie intégrante de son peuple, tant dans ses douleurs que dans ses rêves. La grande majorité des chrétiens en Palestine se sentent profondément palestiniens”. Et Youssef de poursuivre : “En Palestine comme en Israël, les chrétiens jouent un rôle incontournable dans l’éducation et la santé, la centaine d’écoles en Terre Sainte en est la preuve.”
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“Al-Liqa’’est un Centre d’étude et de recherche et non pas une ONG – tient à souligner Zaknoun – et un de ses rôles est de prendre le pouls des problématiques de l’heure, de débattre des sujets brûlants d’actualité qui concernent les Églises et les chrétiens du pays.” Trois fois par an une publication fait paraître des articles de fond écrits en arabe et en anglais. Les contributeurs qu’ils soient écrivains, poètes, académiciens, intellectuels ou membres de l’Assemblée nationale palestinienne ont une participation active.
Points communs
Ils abordent les problèmes et les problématiques de la société à divers niveaux : ce qui concerne la vie des jeunes au sein de l’Église, les changements et l’autocritique de l’Église, le rôle important des laïcs dans la société et la politique ; à ces champs d’études “il faut ajouter : la justice, l’égalité, la justice sociale, la paix, la liberté, la dignité humaine, l’État, la nation, l’ordre, la démocratie », énumère Zaknoun.
« Mais, s’arrête-t-il pour rassurer, nous avons deux axes principaux : d’une part, la théologie et l’Église locale, les questions nouvelles et les défis ; de l’autre, le dialogue entre les chrétiens et les musulmans autour de questions importantes qui touchent à la vie commune des deux communautés. Nous cherchons les points communs, ce qui unit les personnes et non ce qui les sépare.”
“Les sujets de prédilection de mon prédécesseur à la direction Jiryes Khoury (voir encadré) étaient les chrétiens arabes, leur rôle dans l’Histoire, et la perception de cette communauté comme non-minoritaire dans la région. Pour Jiryes, rappelle Zaknoun, les chrétiens sont fondateurs et composants actifs dans la construction de leurs nations respectives, tant culturellement qu’intellectuellement. Il tenait à mettre en avant le rôle des chrétiens dans la civilisation arabe musulmane tout au long de l’Histoire.”
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Les chrétiens ne sont pas les seuls victimes et tributaires des drames du Moyen-Orient. L’ensemble de la population de Syrie et d’Irak a payé et paie aujourd’hui encore un prix très lourd. “Dans cette perspective l’arabité, dans sa définition politique, a échoué laissant un système démuni de valeurs communes.”
Cap sur la jeunesse
L’objectivité et l’esprit critique sont l’essence de tout centre de recherche. Les communautés et forces politiques en Terre Sainte exercent une influence continue sur les idées, laissant place à tout l’héritage des opinions communautaires. “Le chrétien se doit de penser d’une manière libre. La foi chrétienne dans son essence offre à chacun la liberté de penser et de s’exprimer. Nous nous devons de réfléchir, de regarder le passé, d’observer la réalité et d’apprendre.”
Les prochaines années, Al-Liqa’ mettra le cap sur la jeunesse et ses interrogations. “Toutes les questions sont valides, qu’elles portent sur la question identitaire arabe, palestinienne, ou encore chrétienne. Pourquoi les jeunes s’éloignent-ils de l’arabité ? par exemple… Est-ce parce que l’arabité et le nationalisme ont échoué en Irak et en Syrie ? Est-ce que l’arabité et les partis de gauche ont échoué dans la réalisation de l’unité et l’intégration d’une pensée politique, de la promotion de la justice sociale ? Nous nous pencherons aussi sur la question de l’immigration des jeunes chrétiens, qui elle, n’est pas nouvelle. Il y a aussi le rôle des médias, des réseaux sociaux, et leur impact sur la société. L’état des communautés chrétiennes dans le monde et le phénomène de l’extrémisme de groupes musulmans. Ce sont des choses qui effraient, mais nous devons en parler avec objectivité et honnêteté. Al-Liqa’doit être toujours davantage, un outil qui promeut une pensée libre, des valeurs humaines et civilisées.”
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Prenant en considération la situation politique en Terre Sainte et dans l’ensemble du Moyen-Orient, Zaknoun estime urgent de promouvoir et d’appuyer les valeurs de pondération, de patience, et la réflexion. A l’opposé de ceux qui veulent semer la peur, la terreur et la panique dans les esprits, il veut avec Al Liqa’ travailler autant que possible à ancrer les chrétiens sur leurs terres.
“Il faut garder en tête que nous n’allons pas résoudre tous les problèmes du monde, souligne-t-il avant de conclure : notre rôle est de participer à la construction d’une pensée humaniste chrétienne appelant au vivre ensemble entre les communautés et les individus. Notre travail consiste à affermir les valeurs qui constituent la dignité humaine de chacun : l’égalité, la justice, la paix.”
Un tournant pour le Centre
Le Centre Al-Liqa’ vient de vivre une page triste de son existence : le décès de son fondateur Jiryes Khoury. Début septembre, Youssef Zaknoun a pris le relais, il est désormais le directeur du Centre mais également celui du Centre cardinal Martini au sein de l’université de Bethléem, faculté où il enseigne la philosophie.
À la tête du conseil d’administration se trouve un personnage que tous honorent en Terre Sainte tant chrétiens que musulmans, Mgr Michel Sabbah, patriarche latin émérite de Jérusalem. Le Conseil est œcuménique dans sa composition, entouré par des laïcs et religieux de différentes dénominations.
Dernière mise à jour: 21/01/2024 23:52