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L’unité turque aux dépens des kurdes

Chiara Cruciati
29 novembre 2016
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Depuis la fin du mois de juillet 2015, le gouvernement turc a interrompu le processus de paix avec le Parti des travailleurs du Kurdistan. La tentative de coup d’état de l'été dernier n’a fait qu’exacerber les esprits.


La Turquie chemine au bord d’un précipice : à l’aube du vendredi 4 novembre, la police a fait irruption aux domiciles des dirigeants du Parti démocratique du peuple, la faction de gauche pro-kurde, les avertissements des analystes et des journalistes restent lettre morte. Ankara est bel et bien au bord de la guerre civile.

De guerre ouverte, on peut justement parler au regard des évènements de la fin juillet 2015 qui voyaient le fragile processus de paix avec le Parti des travailleurs du Kurdistan s’effondrer sous les coups politiques du Président Erdoğan. En effet, le Parti démocratique du peuple (HDP) explosait la barre des 13% des voix et faisait son entré au Parlement, contraignant le président Erdoğan à former un gouvernement de coalition. L’AKP – Parti de la justice et du développement – au gouvernement ne tardait pas à lancer une campagne politique et militaire brutale à l’encontre de la communauté kurde.

Au fil du temps, cette campagne prit différentes formes : du couvre-feu aux bombardement des villes kurdes du sud-est du pays jusqu’aux attaques directes des membres du Parti démocratique du peuple et de la presse indépendante. Ainsi, pendant que le Kurdistan turc continuait de vivre sous le couvre-feu, les bancs du Parlement – destinés aux députés kurdes – se vidaient progressivement.

Pas moins de douze d’entre eux ont été arrêtés, dont les deux co-présidents Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ, reclus à l’isolement dans des prisons de haute sécurité. En date du 4 novembre, 441 membres du parti étaient détenus, au 15 juillet on en comptait plus de 6000, le soit disant coup d’Etat militaire avorté ouvrait une campagne de purges sans précédent. La plupart d’entre eux ne sont que des administrateurs locaux, leurs municipalités ont été accusées de soutenir le terrorisme et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

En amont, se trouve une stratégie gouvernementale claire fondée sur la menace de l’unité turque, une unité qu’une démocratie multi-ethnique viendrait mettre à mal, une unité qui doit passer par la proclamation d’une seule identité passant par la «turquisation» de la société. Ce nationalisme aggravé puise ses racines dans le mythe de l’Empire ottoman repris à plusieurs reprises par le président Recep Tayyip Erdoğan. Dans ce contexte, un parti comme le HDP, radicalement opposé à la réforme constitutionnelle voulue par le chef présidentiel de l’AKP, est un obstacle significatif. Le dernier obstacle restant après la tentative de putsch de la mi-juillet qui a poussé dans les bras du gouvernement les autres partis oppositions, républicains comme nationalistes, et étouffé toute voix discordante : plus de 370 associations ont été fermées sur des accusations de liens avec l’imam Fethullah Gülen (considéré comme le cerveau du coup d’Etat manqué) ou avec le PKK, et près de 200 médias ont été privés de licence d’exercer, contraints à la fermeture sans compter les 140 journalistes qui se trouvent toujours en prison.

Ce qui est à l’œuvre c’est une machine collective où se trouvent à l’unisson le politique, le judiciaire, l’économique et le médiatique : des milliers de juges et de procureurs remplacés par des proches du président Erdoğan, une seule presse opérationnelle et en l’occurrence pro-gouvernementale, des entreprises puissantes étroitement liées à la famille Erdoğan et sa garde rapprochée, enfin le gouvernement a astucieusement monté une campagne d’épuration balayant tout ce qui restait de l’opposition.

« Les cibles principales de la dernière campagne ont été Demirtaş et Yüksekdağ – explique Ikfan Akta, journaliste kurde pour le think tankal-Monitor – Demirtaş était le seul véritable rival à l’élection présidentielle d’Erdogan et il a obtenu le soutien non seulement des kurdes, mais de nombreux électeurs turcs. Le HDP jouit d’une telle influence dans tout le pays et Demirtaş est l’un des leaders les plus charismatiques de la gauche kurde ».

À ce titre, il est également le principal obstacle au rêve présidentiel d’Erdoğan, ayant empêché l’AKP d’obtenir une majorité absolue aux élections de juin 2015. En dépit de l’impasse gouvernementale et des élections anticipées de novembre – qui ont permis à l’AKP de retrouver la majorité absolue au Parlement – les 58 députés de l’HDP empêchent toute réforme constitutionnelle.

« Les arrestations des députés de l’HDP marquent le début d’une nouvelle forme de répression à long terme, non seulement militaire, mais politique, à des niveaux élevés, on ne se suffit plus des administratifs et pouvoirs locaux. Pour la gauche turque et la communauté kurde il n’y a plus d’autre option : il faut résister démocratiquement. Une opération complexe en tenant compte de la fermeture de tous les médias indépendants : 10.000 journalistes ont perdu leur emploi au cours des derniers mois ».

« On peut aussi lire l’actuelle stratégie politique de l’AKP avec le prisme plus large recouvrant l’Irak et la Syrie – souligne Aktan – Mais ce ne serait que cacher ce qui se passe à l’intérieure : la répression contre le HDP est une affaire interne. Ce n’est qu’en réduisant à silence l’opposition qu’Erdoğan obtiendra la présidentielle qu’il cherche depuis des années. Il a à son avantage une base solide et consensuelle, composée en grande partie de citoyens turcs nationalistes et terrorisés par une crise interne ». Dans ce contexte, le HDP, comme le PKK, sont l’épouvantail à agiter le plus efficace. Bien plus que l’Etat islamique.

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