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Nous voulons que notre peuple reste ici, sur sa terre

Nizar Halloun
18 janvier 2017
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La communauté syriaque orthodoxe de Jérusalem est éprouvée par la réalité géopolitique qui conduit la situation des chrétiens de Terre Sainte à se dégrader lentement. Mais pas inexorablement pour Mgr Mor Severios Malki Mourad son pasteur.


Vêtu de sa soutane rouge carmin, sur laquelle se détache en médaillon une icône de la Vierge Marie, couvert de son bonnet de moine constellé de croix brodées, Mgr Mor Severios Malki Mourad ouvre grand la porte à Terre Sainte Magazine. “Si j’avais su que c’était toi je serais revenu plus tôt”, dit-il alors qu’il m’accueille à son retour de voyage.

C’est pour parler de l’évolution de la communauté syriaque que nous rencontrons l’exarque patriarcal syriaque orthodoxe de Jérusalem. Sa nomination date de 1996, il y a 20 ans. Il avait tout juste 30 ans, ce qui faisait de lui le plus jeune évêque syriaque. Des années qui ont été denses en Terre Sainte et qui ont fait peser sur ses épaules de lourdes responsabilités.

À entendre l’évêque, la situation en Terre Sainte les 5 premières années de son service (1996-2001) était relativement tranquille. D’après lui 2001 fut une année charnière avec le début de la seconde révolte palestinienne. “Le secteur du tourisme était en pleine forme, les pèlerins venaient en nombre. En 2001 éclata la révolte, puis débuta la construction du mur. Bethléem fut séparée de Jérusalem, la situation se compliqua sensiblement. Après 5 ans d’intifada, la liberté de circulation se trouvait drastiquement limitée, touristes et pèlerins cessèrent de venir. Notre monastère fut touché de plein fouet. La Terre Sainte comptait comme jamais sur le tourisme.” Le tourisme, l’oxygène des communautés locales duquel dépendent surtout les plus petites d’entre elles.

Des liens forts avec la diaspora

“Les syriaques de la diaspora ayant obtenu des nationalités étrangères nous rendaient visite. Ils venaient d’Europe et des États-Unis. Aussitôt naturalisé, la première visite était consacrée à la Terre Sainte. C’est un soutien financier important pour le monastère.” Contrairement à la position officielle de l’Église copte, l’Église syriaque ne barre pas le chemin à ses pèlerins au contraire, “l’invitation est ouverte, souligne l’archevêque. C’est un des moyens d’encourager la présence chrétienne dans la région, dont les syriaques font partie. Nous ne pouvons pas interdire aux gens de venir se faire bénir, c’est une décision personnelle, individuelle.”

Entre Bethléem et Jérusalem la communauté syriaque de Terre Sainte compte environ 5 000 fidèles. La situation n’a pas ou peu changé depuis 20 ans, confie l’archevêque. L’émigration parmi les syriaques reste très faible, moins d’1 %. Comme pasteurs “nous avons actuellement 4 moines-prêtres et 2 prêtres mariés, l’un à Bethléem et l’autre à Amman. Durant les périodes de fêtes nous accueillons également de nombreux prêtres, diacres et moines, qui nous aident dans les services religieux.” À Bethléem et Jérusalem, les syriaques ont des scouts et des associations communautaires comme les autres Églises. Cependant l’école Mar Ephrem, qui accueille 500 élèves, a la particularité d’inclure dans son programme scolaire l’enseignement du syriaque.

Le plus grand défi du quotidien est la perte d’espoir qui touche l’ensemble de la population, déplore l’évêque. La situation est difficile pour une petite communauté répartie entre Jérusalem et Bethléem et séparée par un mur. La Terre Sainte se trouve dans une violence latente, est-ce un calme relatif ? “Aujourd’hui, la situation est plus calme qu’en Syrie ou Irak. Là-bas c’est une guerre dans tous les sens du terme. Mais généralement, le lieu le plus difficile c’est ici en Terre Sainte. La guerre s’arrêtera peut-être ailleurs mais ici la situation est minée par de nombreuses difficultés au quotidien, ce qui en fait le lieu le plus difficile. La situation est électrique, dit-il pour dire extrêmement tendue. En tant que chrétiens nous sommes, semble-t-il, plus susceptibles et sensibles. Nous ressentons plus fortement les difficultés et nous ne pouvons pas les supporter longtemps. À la moindre pression et persécution, on émigre. Nous devons être patients et apprendre à supporter.”

“Je suis personnellement totalement contre l’émigration, nous voulons que notre peuple reste ici, sur sa terre, les racines chrétiennes se trouvent en Orient. Qui gardera l’Église et ses propriétés si ce n’est ses fidèles ?” Pour lutter contre l’émigration, il faut prendre davantage de mesures pratiques et concrètes, loin des discours identitaires et d’attachement à la terre, souligne-t-il. Les Églises doivent se charger, avec le soutien de gouvernements, de créer des projets de résidence pour les nouveaux mariés, des hôpitaux, des entreprises créatrices d’emplois durables, et assurer la gratuité scolaire.

La priorité est spirituelle

La relation de l’Église syriaque à la Terre Sainte est avant tout spirituelle. “Le Christ a pris chair ici, les prophètes, les apôtres, et notre mère Marie, ils étaient tous d’ici. Nos parents, nos ancêtres ont vécu ici, et pour rien au monde nous ne pourrions laisser cette terre parce que c’est ici que notre foi a commencé et ici que toute chose prendra fin.
En Orient tout a commencé et en Orient tout se terminera. Nous avons donc le devoir de garder et sauvegarder l’héritage chrétien, qu’il soit spirituel ou matériel. Nous appelons Jérusalem, la Jérusalem céleste, nous devons donc en prendre soin.”

L’Église syriaque orthodoxe est, de toutes les Églises orientales, la plus attachée à l’œcuménisme dans lequel elle s’est investie très tôt. Et des bonds de géant ont été accomplis par elle qui appelle les autres Églises à l’unité. Le défunt patriarche Jacques et le patriarche Zakka ont signé avec saint Jean-Paul II un accord pastoral unissant les Églises dans les sept sacrements de l’Église. Le patriarche Éphrem et le pape François ont appelé de leurs vœux une date commune pour la fête de la Résurrection. “Ici à Jérusalem, nos relations avec les autres Églises locales sont très bonnes. Nous nous réunissons régulièrement pour réfléchir sur les défis qui sont les nôtres et trouver ensemble des solutions. Malgré ces bonnes relations un problème demeure, c’est le statu quo. Dès que nous essayons d’aborder le sujet l’atmosphère s’électrise. Le statu quo éloigne, plus qu’il ne les rapproche, les Églises les unes de autres.”

Le bémol que Mgr Malki apporte à l’œcuménisme tient à l’histoire et à la place des syriaques dans la basilique du Saint-Sépulcre. Voilà des siècles qu’ils sont en conflit avec les arméniens apostoliques au sujet de la chapelle qu’ils occupent. C’est la chapelle où se trouve le tombeau dit de Joseph d’Arimathie. “Le statu quo nous empêche de restaurer notre chapelle. Nous et les arméniens avons des documents qui prouvent qu’elle nous appartient. Résultat, ni nous ni eux ne pouvons restaurer quoique ce soit sans un consensus. Nous nous sommes mis d’accord il y a 5 ans, le patriarche arménien et moi, pour refaire les dalles de la chapelle. Et finalement nous avons pu le faire. Nous avons pour projet de tout refaire et il faut pour cela continuer le dialogue.”

Croire en l’avenir

Malgré tout, l’espoir et l’espérance sont toujours présents, souligne l’archevêque, parce que “notre Seigneur est toujours présent. La situation des chrétiens est aujourd’hui fragile et s’affaiblira peut-être encore mais il n’y aura pas extinction. À certaines périodes de l’Histoire les chrétiens ont déjà été peu nombreux ici. Tous les 100 ans il y a comme une persécution qui frappe durement les chrétiens, comme en Syrie et en Irak ; peut-être les 100 ans à venir seront-ils florissants. L’Histoire c’est comme le mouvement de la mer, il y a le flux et le reflux.”

On entendra donc encore parler des syriaques orthodoxes de Terre Sainte. Et c’est déjà une bien bonne nouvelle.


Un Syrien en Terre-Sainte

Mor Severios Malki Mourad est l’évêque métropolitain de Jérusalem depuis 1996. Il réside au monastère Mor Marqos. Il est originaire de Al-Malikiyeh, dans la province d’Al-Hasaka, au nord-est de la Syrie. “C’est là que je suis né et ai fait mes études élémentaires. Avant cela nos ancêtres viennent de Turquie et sont descendus en Syrie”, explique Mgr Mourad.

C’est au séminaire syriaque Mar Ephrem au Liban qu’il poursuit ses études secondaires. Mais “en 1982, à cause de la guerre, le couvent fut déplacé à Damas. Là-bas j’ai été nommé secrétaire du patriarche Zakka et directeur du nouveau séminaire où je suis resté 11 ans.

Suite à un service de 3 ans au Brésil, en 1996, je suis retourné à Damas. C’est là que le 15 septembre j’ai été ordonné évêque pour être envoyé à Jérusalem où je n’avais encore jamais mis les pieds, précise-t-il. Certains tâtent le terrain avant de venir, ce ne fut pas mon cas (rires). J’ai fait mon entrée à Jérusalem le 20 octobre 1996, je suis donc à Jérusalem depuis 20 ans.”

En arrivant Mgr Severios savait bien qu’il arrivait dans le lieu où le Seigneur a vécu et il se rappelle : “ici, nous entrons dans un lieu spirituel, le lieu le plus saint au monde. C’est une émotion spirituelle très particulière et un sentiment fort de renouvellement dans le service de Dieu et de son peuple. Le service rendu à Dieu est important où qu’il soit, souligne-t-il, mais ici en Terre Sainte il revêt une nature singulière et plus sainte.

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