En 2006, le ministère israélien de la Défense a pris la décision de poursuivre la construction de la barrière de séparation sur la commune de Beit Jala. Mur qui empêche l’accès aux terres possédées par les 58 familles chrétiennes du lieu-dit de Crémisan. Aussi, les habitants, encouragés par leur municipalité, ont saisi la Cour Suprême d’Israël. Une affaire très contestée qui concerne la communauté chrétienne locale. Nous en avons discuté avec le directeur de la Société Saint-Yves (le Centre catholique pour les Droits de l’homme), l’avocat palestinien Raffoul Rofa.
Qui a saisi la Cour Suprême et pourquoi ?
La Cour Suprême a été saisie deux fois par les propriétaires des terres, représentés par un avocat privé. En 2010 le couvent et le monastère ont rejoint l’affaire et la Société Saint-Yves a représenté les sœurs salésiennes du couvent de Crémisan. À la suite de la première décision de la Cour Suprême, il y a eu un second appel contre le ministère de la Défense, qui voulait commencer à construire le mur. Les propriétaires des terres, guidés par un avocat privé, ont à nouveau saisi la Cour, à côté de Saint-Yves. À cette occasion, notre société a présenté une pétition à la Cour Suprême. La Cour a été saisie car la construction du mur de séparation porte atteinte aux droits les plus fondamentaux des Palestiniens, y compris le droit d’autodétermination, le droit de résidence, le droit à l’emploi, le droit à l’éducation – dans le couvent il y a une école fréquentée par les enfants de Crémisan et des villages voisins – et beaucoup d’autres. Le mur est construit sur des propriétés privées et il viole la liberté de mouvement.
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La Cour a-t-elle été saisie directement ?
Non, les propriétaires des terres et leur avocat se sont tournés d’abord vers un tribunal administratif qui siège à Tel Aviv, responsable des questions de confiscations et expropriations de terres en Israël. Ensuite ils ont fait appel à la Cour Suprême, en s’opposant à la décision du tribunal de première instance qui voulait quand même édifier un mur de séparation à Crémisan.
Combien de temps a-t-il fallu à la Cour pour arriver à la décision finale ?
L’affaire concernant Crémisan a occupé les juges pendant environ 10 ans. Tout a commencé en 2006, avec la décision du tribunal administratif et l’appel à la Cour Suprême lorsqu’il y a eu l’ordre militaire de commencer à confisquer les terres dans le but d’y construire le mur. La saisine finale suite au premier appel date de 2015. Même si des procédures judiciaires étaient encore en suspens, les bulldozers et l’armée sont arrivés en août à Beit Onah pour commencer les travaux. C’est pourquoi il y a eu le deuxième appel en 2015. En 2016 on a eu la saisine finale à la suite du deuxième appel.
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Qu’est-ce que Saint-Yves a demandé à la Cour Suprême avec sa pétition ?
En premier lieu, nous avons demandé aux juges de prononcer une injonction pour empêcher le ministre de la Défense de commencer à construire le mur de séparation. On a demandé aussi de pouvoir voir le projet complet pour connaître le tracé du mur, parce que personne ne le connaissait vraiment. Troisièmement, nous avons demandé à la Cour d’accorder le droit de faire appel pour quiconque était affecté négativement par le mur.
Quelle a été la décision finale de la Cour Suprême ?
La Cour a accordé au ministère de la Défense le droit de poursuivre la construction du mur de séparation, selon le plan initial. La décision spécifiait que le couvent et le monastère – il y a aussi un monastère proche du village – devaient rester reliés l’un avec l’autre, avec les terres agricoles et aussi avec le village. Le village même doit avoir la possibilité d’accéder aux terres agricoles. Comment ? À travers une ouverture de 225 m à proximité du couvent et du monastère. En outre, la Cour accorde la possibilité de faire appel pour toute personne affectée négativement par le mur. Il y a seulement un problème : le mur est là maintenant. La Cour a dit que le parcours de ce mur n’est que temporaire. Jusqu’au moment où on verra le nouveau mur, personne ne sait ce qui adviendra. Pendant la délibération de la Cour, l’avocat représentant le ministère de la Défense a dit que ça pourrait prendre 10 ans. Entre-temps, partis du village de Bir’ona, ils poursuivent la construction de l’autre mur.
Comment la Cour Suprême a-t-elle justifié le choix de construire quand même le mur de séparation ?
Tout d’abord en disant qu’il n’est que temporaire, comme je disais. Mais aussi pour des raisons de sécurité, en disant que le mur est nécessaire pour assurer la sécurité de l’État d’Israël. La Cour essaye de trouver un équilibre entre sécurité et Droits de l’homme. Même si le dernier incident remonte aux années 1980.
La situation pourra-t-elle changer ? Est-il possible de saisir à nouveau la Cour Suprême ?
On a tout essayé. On a écrit plusieurs lettres pour faire connaître notre cas, même à Obama et au pape François, et on a montré les réponses aux juges. On a écrit aussi à la Haute-Cour de Justice, qui a donné son avis consultatif en 2004 contre la construction d’un mur que la Cour considère illégal, en demandant sa destruction. Je pense que pour cette raison aussi ils ont décidé de garder le monastère et le couvent ensemble, toujours en disant que ce trajet du mur n’est que temporaire. Cependant non, nous ne pouvons plus saisir la Cour Suprême car nous avons épuisé toutes les procédures juridiques possibles. Le fait que ce tracé du mur est temporaire nous laisse un entrebâillement pour des possibles délibérations futures. Mais changer complètement la situation est impossible.
Mais la Cour Suprême a quand même accordé aux habitants de Crémisan la possibilité de la saisir en cas de violation des droits.
Oui, et ils pourront le faire. Par exemple, la Cour Suprême a affirmé que l’accès aux terres agricoles sera “facilité”, mais depuis la construction du mur de séparation les propriétaires des terres n’ont pas pu y accéder. Les portes agricoles n’ont pas été ouvertes. Comme j’ai déjà dit, les juges doivent trouver un équilibre entre sécurité et Droits de l’homme. Nous nous trouvons cependant devant le mur sans accès facilité aux terres agricoles, bien que ce soit un droit des propriétaires. Dans ce cas, les propriétaires peuvent saisir directement la Cour Suprême, mais seulement pour gagner l’accès interdit, pas pour se débarrasser du mur.♦
Les saisines de la Cour Suprême, contestées et contestables
La décision controversée prise par la Cour Suprême concernant Crémisan nous permet de mieux comprendre le rôle de cette institution israélienne fondamentale. La Cour d’Israël est appelée à juger des affaires très difficiles et plutôt anormales, étant donné les circonstances juridiques particulières auxquelles cette institution est confrontée. Dans l’exemple de cette saisine plusieurs systèmes juridiques se croisent : il s’agit d’une décision d’une institution israélienne qui s’applique sur un territoire en dehors d’Israël, de plus sur des terres privées. À Crémisan, le droit international s’applique aussi, en tant que village en Territoire occupé.
Cette saisine est contestable par le droit international, comme le souligne l’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice qui considère le mur comme illégal. Elle l’est aussi en tant que violation de l’Accord signé entre le Saint-Siège et Israël. Cependant, ce que décide Israël prévaut. Pourquoi ? Selon le droit israélien, en partie d’inspiration britannique, dans les tribunaux la loi locale prévaut sur l’internationale. Et alors, cette saisine est conforme au droit israélien ? Israël, en tant que démocratie, protège les libertés fondamentales.
Dernière mise à jour: 15/01/2024 14:33