Aux pires heures de la guerre en Syrie, j’ai été régulièrement en contact avec Alep. La technologie a du bon. Alors qu’il est interdit depuis Israël de téléphoner en Syrie, Internet et la multitude des applications qui permettent d’être reliés se jouent des frontières. Dès qu’il y avait un peu de réseau et suffisamment d’électricité, frère Ibrahim Al Sabagh, franciscain et curé des Latins d’Alep (sur la photo à gauche) donnait des nouvelles. Quand ses mots ne suffisaient pas, quand il voyait la presse occidentale ne s’émouvoir du sort que d’une partie des habitants de la ville – comme si certaines vies syriennes avaient moins de valeur que d’autres – il envoyait des photos. Elles témoignaient des effets des missiles que lui et sa communauté recevaient, montrant sans fard la boucherie de cette guerre sans fin. Combien de fois ai-je reçu de ces messages sous une journée ensoleillée et innocente. Combien de fois mon confort a été difficile à vivre et plus encore le constat de mon impuissance ?
À vol d’oiseau 520 kilomètres séparent Jérusalem d’Alep et seulement 229 de Damas. C’est tellement proche eu égard aux temps de transport auxquels nous habituent la modernité. C’est un pays frontalier de celui où je me trouve. Alep était sous les bombes, à la porte à côté, et je me couchais au chaud et en sécurité. Je n’ai pas toujours trouvé le sommeil très vite.
Et pourtant combien de fois ai-je eu l’outrecuidance de demander à mes correspondants des choses folles. Je ne trouve pas les mots. “Merci pour les photos des célébrations avec les enfants (je m’adresse à Sr Brygida, Franciscaine missionnaire de Marie sur place tout le temps de la guerre ou à Roula secrétaire de la paroisse), mais pourriez-vous m’envoyer des photos de franciscains avec les gens dans les ruines, en haute définition pour que nous puissions les imprimer ?“ Elles étaient sous les bombes, dans l’angoisse de la guerre, il fallait tenir pour trouver la force de rester et d’espérer, elles souffraient comme toute la population et j’attendais qu’elles m’envoient des photos. La communication a ses raisons qui ignorent le cœur.
J’écrivais des messages de soutien qui me semblaient ridicules, j’assurais de ma prière. J’avais le ventre noué. Et toujours elles ont fait de leur mieux et nous avons reçu des photos fortes. Comme celle-ci, quand le père Ibrahim en janvier dernier s’est rendu du côté d’Alep d’où il recevait les missiles pour constater les dégâts et poser les premiers jalons d’une reprise du dialogue entre Syriens blessés par cette guerre qui n’est pas complètement la leur.
J’ai eu mes photos. Me consolerai-je un jour, face à ceux qui l’ont vécu, d’avoir vu, d’avoir su et de n’avoir pas fait davantage pour faire cesser cette guerre ? Et que pouvais-je faire avec mes petits bras musclés ? Rien sans doute. Mais avoir davantage la foi, celle qui ne sert pas qu’à déplacer des montagnes mais à obtenir la paix. Ce dossier est un hommage à tous ceux qui vivent encore sous cette guerre.♦
Dernière mise à jour: 16/01/2024 14:18