Nommé il y a un an, l’Administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem passe au crible - pour l’agence SIR - la citoyenneté au Moyen-Orient, l’exode des chrétiens et la baisse des pèlerinages.
C’est une sorte de premier bilan accordé à l’agence de presse SIR, le 27 juin dernier. « Le Moyen-Orient – affirme Mgr Pizzaballa – ne sera plus le même. » « Il faudra des générations pour reconstruire les infrastructures, mais aussi un tissu social stable et solide » ajoute celui qui fut nommé il y a un an – le 24 juin 2016 – Administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem. Expliquant que la guerre en Syrie et en Irak a « tout soufflé », y compris « les relations entre les différentes communautés », l’ancien Custode de Terre Sainte partage son désarroi : « des villes comme Alep, en Syrie, des villages chrétiens dans la plaine de Ninive, un temps occupés par l’Etat Islamique, sont en grande partie détruits. A Bethléem, en 2016, environ 130 familles chrétiennes ont émigré soit 500 personnes, toutes avec des enfants en quête d’un avenir meilleur. » Face à ce constat, Mgr Pizzaballa maintient pour autant que « le christianisme au Moyen-Orient ne disparaîtra pas. Notre force n’est pas dans le nombre, mais dans le témoignage. »
Pour ce faire, avertit-il, dans une région en proie aux conflits, la question du droit des citoyens sera « déterminante. » Elle représente « le défi à venir » pour les pays concernés. Ainsi, Mgr Pizzaballa invite la communauté internationale à « accorder une attention particulière à cette question surtout maintenant » et précise que les aides qui seront déployées devront « être subordonnées au respect d’une seule règle : tous les citoyens sont égaux. »
Réfutant sans ambages le concept d’une « laïcité positive qui n’existe pas au Moyen-Orient », Mgr Pizzaballa énonce qu’il ne s’agit pas de créer « des réserves indiennes pour les Chrétiens, les Sunnites, les Chiites, les Yézidis, les Kurdes et ainsi de suite. » Car martèle-t-il : « le modèle de la coexistence au Moyen-Orient, fondée sur l’identité entre la foi et la communauté est en faillite. » Selon lui, il faut au contraire fonder cette coexistence sous le prisme de la citoyenneté en écrivant de nouvelles lois et constitutions.
Le ton donné est donc clair : « la reconstruction du Moyen-Orient sans tenir compte de cet aspect serait un échec et le prélude à de futures crises. » C’est pourquoi, il appelle les chrétiens à « travailler et à insister » sur ce point-là. Pour l’ancien Custode de Terre Sainte, « la présence chrétienne oblige toutes les sociétés du Moyen-Orient, majoritairement musulmanes à s’interroger sur cette question dans une perspective différente de la vision musulmane. » Signifiant par là que tous les habitants ont les mêmes droits. Et la liberté de conscience avant tout.
De la considération des chrétiens en Terre Sainte
Par ailleurs, Mgr Pizzaballa juge dans son interview la situation en Terre Sainte « bloquée. » N’éludant pas les difficultés d’une solution de deux Etats pour deux peuples, il ne voit pas d’autre issue. Et rappelle la nécessité pour les chrétiens de garder l’accent sur le dialogue sur une terre où « d’une part Israël se sent le plus fort et d’autre part les Palestiniens faibles et divisés. » observe-t-il. La tâche de l’Eglise est donc à ses yeux de « construire des relations toujours plus positives avec Israël pour montrer que nous sommes une réalité territoriale avec qui l’Etat doit compter. » Regrettant cependant que les choix soient très souvent faits sans tenir aucune attention aux chrétiens. De fait, concernant l’avenir de Jérusalem, Mgr Pizzaballa s’étonne qu’il ne soit fait référence qu’aux juifs et musulmans. A ce sujet, « il est vrai que pour les 15-20 dernières années, je ne me souviens pas d’un seul discours de l’Eglise catholique de Jérusalem » souffle-t-il. Et de poursuivre que « les protestants et les orthodoxes sont beaucoup plus présents dans les discussions sur la Ville Sainte. Il serait cependant important de dire un mot à ce sujet. »
D’autre part, si « le mur est une blessure profonde dans l’histoire, la géographie et la vie du pays », et s’il semble « presque digéré », Mgr Pizzaballa prévient qu’il ne faut « pas continuer à prétendre que la blessure ne soit pas là. » Par voie de conséquence, l’Administrateur apostolique ne voit pas d’autre action que « d’en parler, d’une manière claire et respectueuse, non partisane. » Englobant également au rang des « problèmes », les colonies, les frontières et le statut de Jérusalem.
Aussi évoque-t-il la montée des extrémismes. Si l’Etat Islamique n’est pas physiquement présent en Terre Sainte, Mgr Pizzaballa prétend toutefois qu’il nourrit « les idéologies extrémistes. » Et pointe aussi du doigt la croissance de l’extrémisme juif « qui préoccupe les minorités, en particulier les chrétiens. »
Pas une Eglise au Moyen-Orient qui ne soit en ordre
Homme d’Eglise avant tout, l’Administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem a également expliqué qu’il était « impensable de croire que la crise que traverse le Moyen-Orient ne touchait pas l’Eglise. » Pire : « il n’y a pas une Eglise à travers le Moyen-Orient qui ne soit en ordre. » Toutes confessions confondues.
Faisant allusion à sa mission d’administrateur, il détaille deux types de problèmes rencontrés au Patriarcat latin. D’une part, « la vie interne de l’Eglise » et d’autre part « ses dettes » reconnaît-t-il. Mgr Pizzaballa explique s’être employé cette année à rencontrer les prêtres « un par un » pour les comprendre et les écouter. Fruit de cette maturation : « les deux tiers des prêtres ont été déplacés y compris les évêques » avance-t-il se réjouissant qu’un an plus tard « les tensions aient fondu. » Le défi numéro 1 consiste donc « à aller de l’avant » reprenant l’expression coutumière du Pape François et de « payer les dettes. » A ce sujet, lucide, l’ancien Custode prévient : « Personne ne nous donnera de l’argent, par conséquent nous devrons vendre une partie des actifs » de l’Eglise. « Nous trouverons une solution », conclut-il à ce sujet. A la question de savoir combien de temps durera sa mission, Mgr Pizzaballa répond que « la raison d’être d’un administrateur ne peut pas durer éternellement. » Après une année à cette charge, la plus haute autorité catholique de Terre Sainte rappelle bien son rôle : « Mon travail consiste à préparer les conditions pour que le futur Patriarche puisse fonctionner dans un environnement interne de sérénité. » Qui sait si la mission durera plus d’un an encore ?
Nul doute, en tous les cas, que cette sérénité recherchée pourrait contribuer à relever un autre challenge pour l’Eglise de Terre Sainte. Celui de faire face à la baisse des pèlerinages liée aux tensions du Moyen-Orient qui font craindre aux pèlerins un danger pour leur sécurité. Mgr Pizzaballa soutient que « la Terre Sainte est sûre » et que les pèlerinages sont sources de créations d’emploi pour les chrétiens locaux. Puisque l’administrateur apostolique participait ces derniers jours à la quatrième Assemblée nationale des journalistes catholiques à Grottammare en Italie à l’occasion de laquelle il a accordé son interview à l’agence SIR, il a souligné « le rôle des journalistes ». Leur demandant de continuer à « parler de Jérusalem et de la Terre Sainte ». Que ce soit à travers le conflit ou les bonnes choses qui s’y vivent. Et de conclure qu’« il n’y a pas d’évangélisation sans communication. L’évangélisation ne peut être séparée de Jérusalem. »