Jusqu’à présent la communauté ultra-orthodoxe était exemptée de service militaire, obligatoire pour tous en Israël. La Cour suprême a annulé cette exception mardi 12 septembre. Le gouvernement a un an pour se retourner.
Huit voix contre une. A la majorité, la Cour suprême israélienne est revenue mardi 12 septembre 2017 sur un texte qui exemptait les ultra-orthodoxes du service militaire. Il s’agit d’un amendement de 2015 à la loi sur le service militaire. Cette loi de 2014 appelée « partage du fardeau », votée sous la pression du parti centriste laïc Yesh Atid – alors au gouvernement – prévoyait une hausse sensible de la conscription des hommes ultra-orthodoxes. Toutefois, ceux qu’on appelle aussi les haredim (craignant Dieu) avaient réussi à faire reculer le gouvernement, d’où l’amendement voté en 2015 en leur faveur. Celui-ci devait théoriquement leur garantir une vie religieuse à l’abri des obligations militaires jusqu’en 2023. Mais les juges qui composent la Cour ont décidé cette semaine que ce texte était plus favorable aux étudiants en religion qu’aux autres. Jugeant de fait que l’amendement spécifique aux ultra-orthodoxes « violait le principe de l’égalité », la plus haute instance judiciaire du pays a donc invalidé le texte. Obligatoire dès l’âge de 18 ans en Israël, sauf exception, le service militaire est de deux ans et huit mois pour les hommes et de deux ans pour les femmes.
Depuis la création de l’Etat d’Israël et sous décision de son père fondateur David Ben Gourion, les ultra-orthodoxes bénéficiaient d’exemptions généralisées en raison de leur statut d’étudiants de yeshivas, les écoles religieuses. Ces hommes sont entièrement consacrés à l’étude de la loi et de la religion juives. Ils observent strictement les règles du judaïsme dans tous les aspects de la vie quotidienne et spirituelle. Ils considèrent donc la conscription comme une source de tentations pour les jeunes, sortis du monde clos de la prière et de l’étude religieuse. Il n’a pas été rare dans le passé de voir, parfois, les haredim enrôlés de force. Ce qui a pu engendrer des tensions, comme en mars 2017. L’arrestation de haredim refusant de rejoindre Tsahal avait alors provoqué des manifestations de la communauté ultra-orthodoxe à proximité de Tel-Aviv.
Or, dans un pays où l’armée occupe une place centrale, l’exemption des ultra-orthodoxes au service militaire a régulièrement nourri un motif de ressentiment de plus en plus important de la part des autres citoyens israéliens. D’autant que la communauté ultra-orthodoxe, reconnue pour avoir de grandes familles nombreuses, représente environ 10% de la population et pourrait constituer le quart de la population israélienne d’ici à 2050, selon les projections démographiques.
« Il n’y a pas de citoyens de première et de seconde classe »
Le chef de file de Yesh Atid, le centriste et laïc Yaïr Lapid, membre du précédent gouvernement de Netanyahu, a applaudi sur sa page Facebook la décision de la Cour suprême. La conscription est faite « pour tout le monde, pas juste pour les imbéciles qui n’ont pas de parti dans la coalition », a-t-il écrit. Le ministre de la Défense Avigdor Liberman a annoncé mercredi qu’il soutenait le jugement rendu mardi par la Haute cour de Justice. « Il n’y a pas de citoyens de première et de seconde classe, a-t-il dit. Chaque jeune qui atteint l’âge de 18 ans doit se présenter pour un service national ou militaire. » Devant la Knesset, il a précisé : « je parle des Juifs et aussi des musulmans et des chrétiens. J’attends de tous les citoyens d’Israël qu’ils s’identifient à l’Etat. » En revanche, Yisrael Eichler, du parti Yahadout HaTorah, a affirmé – cité par le Times of Israel que la décision entrait dans le cadre d’une « guerre totale contre le judaïsme ». Le ministre de la Santé Yaacov Litzman à la tête du parti religieux Agoudat Israel a accusé sur la radio publique la Cour suprême de tenter de renverser le gouvernement et un de ses juges « d’être tout le temps » contre les ultra-orthodoxes. Le ministre de l’Intérieur Aryé Dery du parti religieux Shas a estimé quant à lui sur Twitter que la Cour suprême était « complètement déconnectée de nos traditions » et a promis que « les étudiants de yeshiva continueront à s’investir dans leur études et à protéger par leur mérite spirituel les autres habitants du pays. » Il a ajouté que Shas « agira de toute ses forces pour (…) protéger le cadre existant. »
A noter que « la majorité des juges a statué que l’annulation [de l’amendement] prendrait effet seulement un an après la date du jugement », a précisé l’instance suprême. Sous peine d’une égalité stricte entre citoyens. Ce délai est censé permettre à la coalition gouvernementale de Netanyahu de trouver une formule alternative qui puisse être acceptable à la fois pour la Cour, l’armée et pour les partis ultra-orthodoxes, dont le soutien est décisif pour gouvernement du Premier ministre.
Pour mémoire, des arrangements avaient été conclus après les élections de mars 2015, au sein de la coalition au pouvoir. Pour ce faire, les deux formations ultra-orthodoxes, Shas et Judaïsme unifié de la Torah, avaient posé une liste d’exigences pour s’associer au Likoud et au Foyer juif au sein du gouvernement de Netanyahu. La question du service militaire figurait au premier plan. Mais, d’après les observateurs, une crise gouvernementale semble peu probable. Le quotidien Jerusalem Post souligne que Netanyahu a déjà eu maintes fois l’occasion de trancher dans des crises similaires touchant à la conversion, à la prière mixte au Mur des Lamentations ou au travail le jour de shabbat, et qu’il a « toujours choisi (le camp des) ultra-orthodoxes. » De son côté un éditorialiste du journal Maariv a écrit : « Je suis persuadé que la ministre de la Justice Ayelet Shaked (..) a déjà un projet de loi qui passera l’examen de la Cour suprême ».
Pour confirmer, Eliezer Moses, du parti Judaïsme unifié de la Torah, a déclaré à la chaîne publique One TV, que la décision de la Cour est « un jugement lamentable » mais a promis de ne « pas démanteler le gouvernement » en retirant son soutien à Benjamin Netanyahu avant les élections législatives prévues dans deux ans.
Les principaux responsables des partis ultra-orthodoxes se sont rencontrés mercredi dernier pour définir une stratégie commune.