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Mostra de Venise: prix du meilleur acteur à un Palestinien

Christophe Lafontaine
18 septembre 2017
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Le Palestinien Kamel el-Basha a remporté la médaille du meilleur acteur au festival du film de Venise, pour « L’Insulte » sorti en salle le 14 septembre au Liban. Un succès éclipsé par la brève arrestation de son réalisateur.


« L’Insulte » est sorti en salle au Liban le 14 septembre 2017. Un drame réalisé par le franco-libanais Ziad Doueiri. Le film a été un  succès à la Mostra de Venise. L’acteur palestinien Kamel el-Basha a de fait remporté samedi 9 septembre, la coupe Volpi du 74ème Festival international du cinéma de Venise. A savoir le prix de la meilleure interprétation masculine pour son rôle dans « L’Insulte ». L’acteur est né à Jérusalem-Est. Il est diplômé de la Jerusalem’s School of Visual Theater et travaille principalement à Jérusalem-Est, dans des productions en arabe. Entré en 1987 au Théâtre national palestinien, qui s’appelait encore « al-Akhawati » (Les conteurs), ce comédien en est devenu le directeur artistique de 2008 à 2012. L’acteur tout récemment primé a notamment dédié sa récompense au peuple palestinien : « Je suis fier de ce projet et je n’aurais pas été ici aujourd’hui sans le soutien du peuple palestinien pendant 30 ans. »

Le long-métrage de Ziad Doueiri, produit par Ezekiel et coproduit par Rouge international, réunit un grand nombre d’acteurs connus, notamment Adal Karam, Camille Salamé et Rita Hayek. Le film évoque un simple litige qui éclate en dispute et mène les protagonistes devant les tribunaux. Tony, chrétien libanais, arrose les plantes de son balcon. De l’eau s’écoule malencontreusement sur la tête de Yasser, palestinien et contremaître du chantier attenant. Une violente dispute éclate. Questionnant le thème de la justice, ce film à charge sur le système judicaire libanais retrace la longue bataille judiciaire entre un Palestinien et un Libanais, qui va se transformer en affrontement national. De blessures secrètes en révélations, l’affrontement des avocats porte le Liban au bord de l’explosion sociale. Vingt-sept ans après la fin  la guerre civile (1975 à 1990), le film ravive les divisions qui ont déclenché le conflit. Le film aborde le thème de la réconciliation, dans un pays où il n’y jamais vraiment eu – après le conflit – d’enquête officielle, de travail de mémoire ou de commissions nationales de réconciliation.

Preuve de son succès, « L’insulte » a été sélectionnée par le ministre libanais de la Culture, Ghattas Khoury pour représenter le pays aux Academy Awards de Los Angeles. Et tenter ainsi de remporter l’Oscar du meilleur film étranger en 2018.

Une insulte … au réalisateur ?

Ce succès a cependant été terni quelques jours avant sa sortie en salle. Le réalisateur libanais Ziad Doueiri, qui est aussi détenteur de la nationalité française, est rentré d’Italie dimanche soir, en prévision de l’avant-première de son film mardi 12 septembre. Peu après sa descente de l’avion, il a été placé en détention dans l’enceinte de l’aéroport de Beyrouth. Après plus de deux heures, il s’est fait confisquer ses deux passeports, avant de se voir convoquer le lendemain, lundi 11 septembre, devant un tribunal militaire.  « Je suis profondément blessé. Je viens au Liban avec un prix de la Mostra de Venise, et la police libanaise a autorisé la diffusion de mon film. Je ne sais pas qui est responsable de ce qui s’est passé », a alors déclaré ce dernier à l’AFP. Le réalisateur des longs-métrages West Beirut, Lila dit ça, a comparu lundi matin devant le tribunal, avant d’être finalement relâché suite à un « non-lieu », ses deux passeports en main, jugeant que les faits qui lui étaient reprochés étaient prescrits.

Selon le journal libanais L’Orient Le jour, qui cite l’avocat du réalisateur, ce dernier «  était accusé d’avoir violé l’article 285 du code pénal libanais qui interdit toute visite en territoire ennemi sans autorisation préalable. »  L’avocat fait  référence au précédent film du réalisateur, « L’attentat », en partie tourné en Israël. Il faut savoir que les ressortissants libanais n’ont pas le droit de s’y rendre à moins d’une autorisation préalable ; les deux pays étant officiellement toujours en guerre. Le Liban revendique notamment le Golan, territoire du sud toujours occupé par l’armée israélienne.
D’après l’avocat du réalisateur, ce dernier avait bien adressé une demande au ministère de la Défense. Une sollicitation cependant restée lettre morte.

« L’Attentat », avait été interdit au Liban à sa sortie en 2013. Un tel choix avait valu à ce film d’être interdit de projection dans la totalité des Etats arabes. Sur décision de la Ligue arabe. Adapté du best-seller de Yasmina Khadra, « L’Attentat » est l’histoire d’un chirurgien israélien d’origine arabe dont la femme est l’auteure d’un attentat suicide. Le médecin à la carrière exemplaire part enquêter dans les territoires palestiniens pour tenter de comprendre les raisons qui ont poussé son épouse à commettre un attentat-suicide à Tel Aviv.

Une insulte … à la liberté d’expression ?

La brève interpellation de Ziad Doueiri a été considérée par certains libanais comme une atteinte – on oserait dire une « insulte » à la liberté d’expression au Liban. Sur les réseaux sociaux, des citoyens et des hommes politiques ont manifesté leur soutien au réalisateur. Pour autant, des journalistes, notamment du journal plutôt de gauche, al-Akhbar (littéralement « Les Nouvelles »), avaient réclamé ces derniers jours des « excuses » au réalisateur pour son avant-dernier film tourné en partie en Israël, y voyant une « normalisation » des relations avec l’Etat Hébreu.

« C’est une insulte au peuple libanais, parce qu’on le bâillonne, on le prive de sa liberté de parole », a pour sa part déclaré à L’Orient-Le Jour, Ziad Doueiri. Contacté par téléphone, par le journal français Télérama, quelques heures avant l’avant-première de « L’Insulte » au Liban, le réalisateur reste sur le même ton catégorique : « Ce qui pose problème en réalité, c’est que « L’Attentat » prend en compte à la fois le point de vue arabe et le point de vue israélien. Mais au Liban, évoquer Israël est une question complexe et extrêmement taboue, au même titre que la guerre d’Algérie en France ou la question des Amérindiens aux Etats-Unis. » Et d’ajouter, « je suis le seul réalisateur libanais à donner une voix aux deux parties afin de comprendre la complexité des enjeux. Les autres cinéastes ont peur des conséquences juridiques et sociales. » Or, pour le réalisateur, rappelle l’hebdomadaire culturel français, cette posture est dangereuse pour la vie démocratique du Liban. Interdisant un débat sur l’histoire commune avec Israël. « Je pense que le cinéaste doit prendre des risques, il doit franchir des portes fermées. C’est une de nos raisons d’être. » Telle est la conclusion de Ziad Doueiri.

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