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Se faire proche des fidèles

Texte de Giampiero Sandionigi. Photos © Ben Gray / ELCJHL
30 septembre 2017
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Le pasteur Ibrahim Azar, choisi pour succéder l’année prochaine à l’évêque luthérien Munib Younan, a les idées claires : “Nous devons
aller à la rencontre de nos fidèles.
Nous ne sommes pas étrangers à leur vie.”


Dans l’Église évangélique luthérienne, au moment de choisir un nouvel évêque, s’invite le synode, constitué de clercs et de laïcs. C’est à lui qu’incombe formellement la tâche de l’élection du nouveau pasteur. Voilà déjà deux ans que Munib Younan a atteint et dépassé l’âge (65 ans) auquel, d’habitude, on abandonne toute responsabilité dans son Église. Mais cette dernière lui a demandé de prolonger, pour deux années encore, son ministère épiscopal commencé en 1998.

Le moment du choix de sa succession s’est néanmoins présenté cette année pour le diocèse luthérien de Jordanie et de Terre Sainte. Le 14 janvier, le synode a élu un successeur à l’évêque sortant. Il n’y avait qu’un candidat : Ibrahim Azar (56 ans), pasteur de l’église du Rédempteur dans le quartier du Muristan, au cœur de la vieille Jérusalem, à quelques dizaines de mètres de la basilique du Saint-Sépulcre. C’est là aussi que se trouvent la résidence et les bureaux de l’évêque.

 

L’évêque luthérien anime un accueil qui va au-delà de la seule communauté palestinienne.

 

Un appel communautaire

Azar devrait débuter son ministère épiscopal à la mi-janvier 2018, après une année passée à accompagner l’évêque sortant, comme le prévoient les statuts de la communauté luthérienne.

Il est né le 22 juin 1961 et a été ordonné pasteur en 1988. Dans l’ordre chronologique, il est le cinquième palestinien à assumer la conduite de la communauté évangélique-luthérienne locale qui, avant cela, était subordonnée aux luthériens allemands. Adolescent, le pasteur Azar a fréquenté l’école luthérienne de Bethléem. De ces années-là lui restent des souvenirs : “Je participais à la vie de ma communauté et j’étais très engagé dans les activités pour les jeunes, ainsi qu’en musique liturgique. En 1979, les membres de la communauté m’ont proposé d’entreprendre des études de théologie. Après avoir beaucoup prié et demandé conseil au pasteur et à mes parents, j’ai décidé d’accepter et je suis parti pour l’Allemagne”.

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Azar a obtenu en 1987 son diplôme de théologie à l’Université protestante Ludwig Maximilian de Monaco de Bavière. L’année suivante il était ordonné. A son retour en Terre Sainte, il fut assigné à la communauté arabophone de l’église du Rédempteur. Plus tard il épousa Nahla Élias, avec laquelle il a trois filles : Sally, Sama et Jihan.

Durant cette période, il noue un contact plus étroit avec l’évêque Younan duquel il apprend “tout ce qu’il est nécessaire de savoir” pour le ministère qui l’attend, et le pasteur Azar met ainsi ses idées en ordre. Sa perspective pastorale est déjà claire. Il lui faudra changer d’approche : “En tant que prêtres et pasteurs – observe-t-il – nous sommes habitués à attendre que les fidèles viennent à l’église pour participer au culte et aux célébrations. Mais les temps et les situations changent, même à Jérusalem et en Terre Sainte. Il faut donc penser autrement : c’est à nous, servants de l’Église, d’aller à la rencontre des gens et de vivre à leurs côtés, sans rester à attendre que les fidèles viennent à nous ; aller vers eux dans les situations qu’ils vivent. L’Église ne doit pas être ressentie comme quelque chose d’étranger mais comme un élément de la vie de chaque jour”.

Quel est le profil sociologique de la communauté luthérienne en Jordanie et Terre Sainte, avec ses 3000 fidèles ? “D’un point de vue professionnel – répond le pasteur Azar – beaucoup sont des travailleurs indépendants : un bon nombre enseigne ou est employé dans des organisations ou des écoles chrétiennes. Nous avons également des professions libérales : médecins, avocats. Dans toutes nos communautés, il y a des riches et à côté des personnes qui ont besoin d’être soutenues économiquement pour s’en sortir. Je dirai quand même que 70 % de nos chrétiens appartiennent à la classe moyenne”.

Les luthériens arabes de Terre Sainte connaissent aussi le phénomène de l’émigration, surtout parmi les familles vivant dans les Territoires palestiniens, et en particulier aux alentours de Bethléem comme à Beit Jala. De Jérusalem en revanche, seules quatre familles sont parties à l’étranger au cours des 15 dernières années, observe Azar qui ajoute ensuite : “Au final, les nouvelles naissances compensent les départs, ce qui fait que, comme luthériens, nous restons numériquement stables”.

Dans les communautés, les laïcs aident le pasteur pour le culte dominical et la préparation des activités pastorales. Comme nous l’avons souligné, il y a également des laïcs membres à plein titre du synode. “Dans ma communauté par exemple – commente l’évêque élu – je suis le seul pasteur, tous les autres membres actifs sont laïcs”.

 

 

Au-delà des frontières

L’action de l’Église évangélique de Jérusalem débuta en 1841, initiée par des missionnaires anglicans anglais et luthériens allemands. Mgr Azar explique qu’ils “commencèrent une mission parmi les juifs, puis parmi les musulmans, sans succès ni d’un côté ni de l’autre. Aussi s’adressèrent-ils à la population déjà chrétienne : il y a 150 ans, toutes nos familles venaient des Églises orientales. Les missionnaires travaillèrent dans le domaine de l’instruction des plus petits, garçons et filles, pour lesquels ils ouvrirent des écoles et des orphelinats. Rapidement naquit une nouvelle Église : la communauté évangélique, anglicane-luthérienne de langues anglaise et allemande. En 1959, nous avons donné vie à une communauté luthérienne autonome reconnue par les Autorités jordaniennes (qui, à l’époque, exerçaient leur souveraineté également sur l’actuelle Cisjordanie et sur Jérusalem Est – ndlr)”.

“Nous sommes en lien avec d’autres communautés luthériennes autour du monde, donc nous ne nous sentons pas isolés. Chaque année, des pasteurs viennent nous aider des États-Unis, d’Allemagne, souvent aussi de Finlande. Dans l’église du Rédempteur, il y a quatre groupes linguistiques de référence : aux côtés des arabophones, il y a aussi ceux qui parlent allemand, anglais et danois. Quatre fois par an, à l’occasion de célébrations spéciales, nous nous réunissons tous ensemble pour le culte en commun”.

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Les liens avec les communautés issues d’autres parties du monde facilitent aussi les initiatives de dialogue interreligieux : il y a, par exemple, une expérience de dialogue entre juifs et chrétiens lancée il y a quatre ans, avec l’appui de l’Église luthérienne allemande et, en particulier, de Nord-Westphalie. “Ce sont des occasions – note le pasteur – où nous nous retrouvons pour réfléchir ensemble entre juifs, luthériens palestiniens et luthériens allemands. Une partie importante du travail de notre Église aujourd’hui est de promouvoir des cours de dialogue interreligieux avec les juifs et les musulmans. Nous organisons des rencontres de “trialogue” où nous partageons sur les textes sacrés, la Bible et le Coran, afin de trouver les points qui nous rassemblent”.

La rencontre œcuménique à Lund (en Suède) le 31 octobre 2016 pour commémorer les 500 ans de la Réforme lancée par Martin Luther a aussi eu des retombées sur la Terre Sainte. Ce jour-là, l’évêque Munib Younan, dans ses habits de président de la Fédération luthérienne mondiale, accueillait là-bas le pape François ; ici nous avons vécu en février suivant, à Amman et Bethléem, des temps de prières similaires dans les mois suivants.

“Aujourd’hui, poursuit l’évêque, nous entretenons de très bonnes relations avec les catholiques. Les patriarches catholiques qui se sont succédés et notre évêque entretiennent de bons rapports depuis des années. Du reste, lors des deux dernières célébrations œcuméniques, qui étaient superbes, beaucoup de fidèles, catholiques et luthériens, ont participé. À chacune de ces occasions, il est apparu comme évident pour les membres de nos communautés respectives qu’il était possible de prier ensemble et que nous ne sommes pas si éloignés les uns des autres. Et même que nous nous rapprochons toujours plus et ne voulons pas rester séparés. Cela a été un moment très positif pour l’œcuménisme en Terre Sainte”.

A propos de relations entre Églises… Le 22 mars dernier – devant tous les dignitaires réunis pour la conclusion officielle des restaurations de l’édicule qui renferme la tombe du Christ ressuscité – le patriarche arménien de Jérusalem, Nourhan Manoughian, créa la surprise en proposant de permettre aux luthériens de célébrer le culte dans l’édicule au moins une fois par an après Pâques. Il n’est pas dit que les grecs-orthodoxes et les catholiques-latins (représentés par les franciscains de la Custodie) estiment possible cette dérogation au statu quo (le régime qui règle les droits et les rapports entre les Églises dans et autour de la basilique). Mais pour le pasteur Azar, la proposition du patriarche arménien fut une belle surprise : “La basilique du Saint-Sépulcre – dit-il – est la plus importante église de Jérusalem et être admis à y célébrer au moins une fois par an serait une reconnaissance de notre Église de cette terre et donnerait une vraie force à notre communauté”.

Dernière mise à jour: 25/01/2024 14:15

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