Une ville dont on n’a rien dit dans l’Ancien ni dans le Nouveau Testament. Ce qui ne laisse pas de surprendre tant elle est proche de Nazareth, 7 km au nord-ouest et que Jésus n’a donc pas pu ignorer. Mais nous nous trouvons là devant l’essence des évangiles : ils ne nous sont pas donnés pour raconter la vie de Jésus à la manière de biographies, mais envisagent le Salut, et seulement le Salut. De ce fait bien des épisodes de l’enfance et de la jeunesse de Jésus nous seront toujours inconnus et notre vie chrétienne aura bien assez de ses paroles et actes rapportés par les écrits pour se déterminer dans la foi.
Revenons à Sepphoris et restons-y cependant une bonne demi-journée. Car cette ville fournit l’occasion de lire quantité de textes, qui ne la mentionnent pas mais prendront là de belles couleurs.
La première occupation remonte sans doute au Bronze Récent, entre 1400 et 1200 av. J.-C., dans une Basse-Galilée riche en eau et donc en cultures, et se poursuit à l’âge du Fer. Une forteresse y a été élevée par le souverain séleucide Antiochos III le Grand 223-187, le vainqueur du Lagide Scopos en 200 av. J.-C, entraînant la suprématie séleucide sur toute la région. Lorsque le général romain Pompée conquiert le pays en 63 av. J.-C. il laisse Sepphoris sous domination hasmonéenne, et en fait la capitale administrative de la Galilée ; elle ne sera supplantée par Tibériade qu’en 20 ap. J.-C. Jusqu’à la mort d’Hérode le Grand, la cité souffrira des antagonismes entre les frères de la dynastie hasmonéenne, mais elle demeure, selon le chroniqueur Flavius Josèphe, “l’ornement de la Galilée”. Sous Néron 54-68 elle sera appelée eirénopolis, “cité de la paix”, car pendant la guerre juive, vers 66, elle en avait appelé à la protection de Vespasien, se démarquant de toutes les autres cités juives. Aux IIe et IIIe siècle elle a une allure bien romaine, plan quadrillé, cardo et décumanus, rues pavées, îlots de commerces, d’habitations et de bâtiments publics, théâtre de 4500 places, pour une population mixte, juive, chrétienne et païenne. Du Ve au VIIe siècle, entièrement reconstruite après le séisme de 363, Sepphoris est des plus florissantes, et juifs et chrétiens y cohabitent harmonieusement. Elle est le siège d’un évêché et se font jour des traditions issues d’écrits tardifs : la famille paternelle de Marie serait de Sepphoris, Joseph y aurait travaillé et la basilique édifiée plus tard par les Croisés à Saphoria aurait pour fondations mêmes la maison de Anne et Joachim, parents de Marie.
Les produits de l’agriculture abondent sur les deux marchés dont on a retrouvé les emplacements : orge et blé, olives, raisin, grenades, figues et noix et aussi huile et vin ainsi que des produits de l’artisanat : poteries et céramique, vanneries et tissus, objets en métal ou en verre. Pour élargir le commerce colporteurs et marchands partaient de cette ville vers les villages galiléens, dont certainement Nazareth.
Est-ce à elle que pensait Jésus lorsqu’il cite “une ville sise au sommet d’un mont” dans le discours des Béatitudes ? Mt 5, 14b. Inutile de préciser, et Sepphoris n’est pas la seule ville en hauteur, mais elle a fait partie du paysage familier de Jésus durant tout son temps de “vie cachée”. On retrouve cet intérêt dans le Talmud qui questionne : “Et pourquoi son nom est Zippori ? Parce qu’elle est assise au sommet d’un mont comme un zippor, un oiseau.”
Lire aussi >> Tabgha et la multiplicité des récits
Commençons par la synagogue
On n’a pas trouvé trace de la synagogue du Ier siècle mais on peut penser que celle du Ve fut bâtie, comme à Capharnaüm, sur l’emplacement de l’ancienne. En tout cas elle fera l’objet de notre première visite pour nous situer en pèlerins dans la suite de l’Ancien Testament. Il n’en reste aujourd’hui que quelques gradins et sa mosaïque presque entière qui déroule en 7 bandes horizontales des motifs traditionnels religieux que l’on pourra commenter Bible en main. Dès l’entrée deux panneaux qui concernent Abraham et introduisaient les fidèles dans le respect de l’Alliance contractée par Dieu avec le patriarche. La scène la plus connue, la ligature d’Isaac, qui nous donne l’occasion de relire Gn 22 et l’annonce au vieux couple, Abraham et Sara de la prochaine naissance d’un fils en Gn 18, 10-15. D’autres représentations dans des maisons de prière juives attestent de la possibilité, bien en vue ici, de représenter des personnages de l’Écriture ; on ne sait à quelle date exactement l’interdit portera sur tout art figuratif, mais on a pu aussi constater que les mêmes artistes ont souvent travaillé pour des églises aussi bien que pour des synagogues. D’autres bandeaux présentent quelques ustensiles liturgiques, pinces et pelle à encens, shofar, menorah et lulav (voir encadré) ; une représentation, malheureusement assez détériorée, d’Aaron dans son rôle de grand-prêtre à “lire” avec le chapitre 29 de l’Exode et une table avec des pains d’offertoire Ex 37, 10-16 à côté d’un panier de prémices selon la liturgie décrite en Ex 26. Entre les scènes bibliques et les évocations du culte au Temple, un bandeau plus “païen” représentant dans un carré le soleil sur un char – sans intention de représenter un homme-dieu – entouré du zodiaque et dans les quatre angles quatre bustes de femmes indiquant les saisons avec leurs attributs agricoles. Nous conclurons notre méditation avec le beau chapitre 24 de l’Ecclésiastique, ou Siracide, qui inscrit la Sagesse dans la géographie d’Israël et dans le projet de Dieu en faveur de son peuple choisi. Des couleurs naturelles, quelques mots écrits en hébreu et en grec, une grande simplicité d’ensemble qui permettent de situer cette histoire commune d’un Dieu avec son peuple dans le temps universel, et dont nous, pèlerins venus en ce lieu, sommes héritiers.
Toujours des mosaïques
Notre deuxième visite sera pour l’ensemble plus au sud de la “maison du Nil”, ainsi nommé à cause de la mosaïque majeure d’une grande villa. Décryptons : un bandeau de désert avec des animaux de chasse très réalistes, un bandeau de scènes égyptiennes avec le phare d’Alexandrie, un nilomètre, un cavalier annonçant la bonne nouvelle de la richesse à venir car le niveau du Fleuve est au plus haut. Ici pas de notion religieuse mais devant ce pavement de 13 m2 bien conservé prenons le temps de lire les chapitres 6 à 9 du livre de la Sagesse : “C’est le Seigneur qui vous a donné la domination, et le Très-Haut le pouvoir.” Discours placé dans la bouche du grand roi Salomon, qui date bien plus réellement de l’époque hellénistique, lorsque la vie d’Israël est confrontée aux puissantes mythologies et sciences de la Grèce. Son bien à lui, c’est la connaissance de Dieu qui lui donne “de régir le monde en sainteté et justice et d’exercer le jugement en droiture d’âme” Sg 9, 3. Un autre texte, collé au prophète Jérémie par analogie avec le nom de Baruch qui était son secrétaire (Jr 36, 4), mais qui est certainement lui aussi assez récent dans l’histoire de la rédaction biblique, trouve là une belle occasion d’être entendu : Ba 3, 9-38. “Où sont-ils les chefs des nations et les dominateurs des bêtes de la terre… ceux qui accumulent l’argent et l’or sur quoi les hommes s’appuient ?” Enfin ce que dit la Sagesse d’elle-même, et qui est le trésor de la foi juive “Mon fruit est meilleur que l’or fin, mes produits meilleurs que le pur argent, je marche dans le chemin de la justice, dans le sentier du droit pour procurer des biens à ceux qui m’aiment et remplir leurs trésors” Pr 8, 12-36.
Lire aussi >> Ouvrir les yeux sur la piscine de Siloé
D’autres mosaïques tapissent le sol de ce bâtiment qui compte une vingtaine de salles : des amazones à la chasse ou dans un banquet, un centaure tenant en ses pattes avant dressées un cartouche “au Dieu sauveur”. Les responsables du site ont par ailleurs aménagé un espace qui explique de façon très pédagogique la technique de la mosaïque.
D’autres merveilles attendent le visiteur en cette ville où les époques se sont succédées ; on ne manquera pas le théâtre romain, vraie prouesse technique car le terrain choisi n’était pas adapté ; le fortin croisé du haut duquel on aperçoit jusqu’à Cana au nord ; la maison au pavement de “Mona Lisa” ainsi baptisé en raison du délicat visage féminin qui orne une grande mosaïque dédiée à Dionysos et aux joies des vendanges ; le vaste sinnor d’eau creusé dans la roche claire qui servait de réservoir à la cité fort gourmande en eau avec ses thermes, ses fontaines et son importante population.
Beauté d’une cité au sommet de la campagne qu’elle dominait et faisait vivre. Richesses étalées que l’on peut opposer à la modestie du village de Nazareth qu’on aura visité auparavant. Complexité de la société à l’époque de Jésus et plus encore dans les siècles qui suivront. Profusion de luxe remise en perspective grâce aux textes lus. Discordes fratricides mais aussi harmonies entre plusieurs communautés. C’est un vrai concentré d’histoire, de sociologie et d’approche de la foi que nous offre Tsippori, l’antique Sepphoris. ♦
Objets à connaître
Le shofar est une corne de bélier utilisée pour annoncer le début du shabbat ou autre événement.
La ménorah, chandelier à 7 branches très présent dans la liturgie, est devenu le symbole religieux d’Israël.
Les graphies du nom
Pour une ville dont on n’a pas parlé dans les Écritures, ou justement parce qu’on n’a pas parlé d’elle dans les Écritures, Sepphoris a de multiples graphies et variantes :
Tzipori ou Zippori () d’après l’hébreu Ṣaffūrīya en arabe, Σεπφωρις, (Sépforis) en grec et par la suite Sepphoris, Sephoris, le Saforie, Saphoria, Séphorée.
Dernière mise à jour: 24/01/2024 13:55