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Il faut sauver Lifta, ce village palestinien fantôme

Christophe Lafontaine
25 octobre 2017
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Le 16 octobre 2017, le World Monuments Fund (Fond Mondial pour les Monuments) a annoncé que le village arabe de Lifta (Jérusalem), abandonné depuis 1948 figure sur la liste 2018 des monuments mondiaux en danger.


Il faut sauver Lifta, hameau arabe abandonné depuis 70 ans, à l’ouest de Jérusalem. C’est en substance ce qu’a déclaré officiellement à New York le 16 octobre 2017 le World Monument Fund (WMF), qui a placé dans son édition 2018 ce dernier village fantôme de la Palestine mandataire (et qui se trouve aujourd’hui en périphérie immédiate de Jérusalem). Il fait désormais partie de la liste des monuments mondiaux « confrontés à de grandes menaces, comme des conflits, des catastrophes naturelles, le changement climatique ou l’urbanisation, ou offrant des possibilités uniques de préservation », précise l’ONG américaine. Dont il ne faut pas confondre l’action avec celle menée par l’Unesco en faveur du patrimoine mondial. Il faut savoir que le WMF est un organisme privé (et donc indépendant) à but non-lucratif. Fondé en 1965, il a pour but de préserver les monuments de la planète les plus en danger. En 1996, le World Monuments Watch (Surveillance des Monuments Mondiaux) fut lancé. Il s’agit d’un programme mondial dont la mission est d’identifier des sites culturels en péril et d’offrir une assistance technique et financière directe en vue de leur préservation. Tous les deux ans, le WMF publie ainsi – à partir de propositions souvent locales – la liste du programme World Monuments Watch qui est établie par un panel d’experts internationaux issus des domaines de l’architecture, de l’archéologie ou encore de l’art. Cette année pas moins de 170 sites dont l’origine remonte de la préhistoire au XXème siècle étaient candidats au Watch 2018. 25 ont été retenus répartis sur 30 pays. Dont Lifta qui entre ainsi dans la ‘monumentale’ aventure du WMF. Depuis le lancement du programme, l’ONG a apporté une contribution de 105 millions de dollars pour plus de 800 sites répartis dans 135 pays et territoires.

Contre un projet de réaménagement

Lifta a été choisi car « les ruines [du] village palestinien à Jérusalem sont menacées par un plan de développement qui fait face à une opposition populaire », explique l’ONG sur son site qui veut réveiller les consciences et mettre la pression sur la scène internationale. De fait, un projet immobilier israélien, vieux de 20 ans comprenant la construction d’habitations de luxe, d’un hôtel et de commerces refait régulièrement surface. S’il est pour l’heure, suspendu, notamment pour raisons archéologiques, il est toujours officiellement soutenu par la municipalité de Jérusalem. Et, parce que les promoteurs du plan de réaménagement continuent de demander l’approbation des autorités locales, « le Watch 2018 appelle au rejet du plan de réaménagement et à la protection de Lifta en tant que lieu rare de patrimoine, de loisirs et de mémoire au profit de tous les citoyens de Jérusalem. » De fait, ce plan de réaménagement détruirait la plupart des structures survivantes au temps et aux ronces et participerait à nier (et du même coup faire oublier) l’histoire de ce village traditionnel (qui serait habité depuis l’Antiquité), basée sur l’agriculture et les sources d’eau locales. Dans la Bible, Lifta, est connue sous le nom de Nephtoa (Josué 15, 8-9) et on y parle déjà de sa source.

A mi-hauteur de collines, à une altitude d’environ 650 mètres, enveloppé d’une sobre douleur, cet émouvant testament de pierres moussues est le dernier village palestinien d’avant 1948 encore debout. Lifta, qui en arabe signifie littéralement « couloir du printemps » s’étend en terrasse sous l’autoroute de Jérusalem qui conduit à Tel Aviv. Position stratégique s’il en était, lors de la guerre israélo-arabe. Ses habitants, les Liftawis ont dû quitter le village au moment de la création de l’Etat d’Israël et n’ont jamais eu le droit d’y revenir s’y installer. Ainsi que leurs descendants. Depuis, Lifta est devenu un symbole de la Nakba, la « catastrophe » pour les Palestiniens où 750 000 d’entre eux ont dû quitter Israël après la déclaration d’indépendance. Plus de 400 autres villages ont à cette époque (et pour certains, avant) été saisis par le nouvel Etat et rasés. Lifta, est le seul survivant, mais n’a jamais été repeuplé.

Entre 1948 et 1953, l’Agence Nationale Juive (JNA) installe des familles juives du Yémen et du Kurdistan irakien à Lifta. Mais les hauteurs du village sont désormais inhabitées.

Aujourd’hui, autour d’une piscine naturelle creusée dans la roche s’égrènent 75 maisons en ruine. Elles témoignent d’un rare exemple de l’architecture rurale palestinienne, avec ses ruelles étroites et ses voûtes. Force est de constater que les maisons, solitaires et silencieuses, sont en état de délabrement avancé et risquent, à chaque jour qui passe, de s’effondrer.

En raison de la présence de sources sacrées dans la tradition juive, le village de Lifta est régulièrement visité par des groupes juifs religieux mais aussi d’autres habitants des environs qui y viennent pour se baigner dans la piscine ou se  promener.

A la croisée des mémoires et donc des crispations, Lifta, patrimoine hérité des conflits de 1948 va finalement pouvoir profiter de l’expertise et du soutien financier du World Monument Fund. Profitant ipso facto d’un coup de projecteur planétaire. De fait, le WMF a pour vocation d’aider à mobiliser d’autres mécènes, dans leur pays d’origine ou sur le plan international. Le PDG de l’ONG, Joshua David, explique ainsi qu’« en mettant en place une coalition internationale, le World Monuments Watch protège à la fois les sites et le patrimoine historique commun qu’ils incarnent ».  Et d’ajouter : « nous sommes peut-être davantage réputés pour l’excellence de nos pratiques de conservation, mais ce sont les conséquences humaines de notre travail qui nous tiennent le plus à cœur. Des sites comme les 25 figurant au Watch 2018 sont des lieux où nous nous rassemblons en tant que citoyens du monde et dans lesquels nous renouvelons notre engagement envers la justice, la culture, la paix et la compréhension. »

A la rescousse du patrimoine du Proche-Orient

C’est ainsi que le Watch 2018 reconnaît également cette année d’autres sites menacés dans la région du Proche-Orient. Parmi eux le souk d’Alep en Syrie, célèbre pour ses passages serpentant sous ses devantures voûtées, grouillant de vendeurs de tapis, de savons et d’épices. En 2012, le souk, symbole du commerce et des liens sociaux, est parti en fumée lors d’une bataille opposant les forces du gouvernement syrien et les factions rebelles. Selon l’ONG WMF, la reconstruction du souk est une dimension essentielle des efforts de reconstruction post-conflit.

En Egypte, c’est la synagogue Eliyahu Hanavi qui a retenue l’attention du WMF pour 2018. Elle est l’un des derniers vestiges de la communauté juive d’Alexandrie.  Bâtie à l’origine en 1354, puis bombardée par les Français en 1798 et reconstruite en 1850, la synagogue est tombée en ruines ces dernières années. En juillet 2017, le gouvernement égyptien a approuvé un plan de sauvegarde de 2,2 millions de dollars afin de restaurer l’édifice.

La liste 2018 du WMF inclut également le minaret al-Hadba de la grande mosquée Al-Nouri à Mossoul en Irak, un monument emblématique détruit par l’Etat islamique, en juin 2017 et la vieille ville de Ta’izz au Yémen, ravagée par des conflits armés. Célèbre pour ses raffinés palais, ses mosquées et ses madrasas, Ta’izz a été la capitale du Yémen de 1229 à 1454. Au cours des deux dernières années, les bombardements et les combats ont ravagé plusieurs édifices historiques, dont le musée national de Ta’izz et sa collection de manuscrits ainsi qu’une mosquée du XVIe siècle.

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