L’arche d’Alliance a-t-elle séjourné 20 ans à Kyriat Yéarim ?
Selon la Bible, l’arche d’Alliance a été conservée pendant 20 ans à Kyriat Yéarim, à 12 kilomètres à l’ouest de Jérusalem, avant d’être emportée vers le mont Moriah. Un récit mis à mal par de récentes fouilles archéologiques menées sur la colline qui domine Abou-Gosh. Rencontre avec l’archéologue Christophe Nicolle.
Pensez-vous sérieusement qu’on ait des chances de retrouver quelque chose de l’arche d’Alliance ? C’était une caisse en bois !” En deux phrases, Christophe Nicolle anéantit les illusions. Pourtant, en février 2017, une partie de la presse s’enflammait : “Des archéologues pensent avoir localisé l’arche d’Alliance”.
Les fouilles qui devaient être conduites à Kiriat Yéarim faisaient jaser. Que recèle donc l’antique ville cananéenne, contrôlée par la tribu des Hivvites, puis intégrée au royaume de Judée et construite aux abords d’Abou Gosh ? Au sommet de la colline, on ne voit d’arche que celui de la statue de l’église. Une Vierge à l’enfant se tient au-dessus du précieux coffre.
Christophe Nicolle, archéologue du Collège de France, ne se prend pas pour Indiana Jones, l’aventurier du cinéma à la recherche de l’arche perdue. Mais il est tout heureux de participer à ce projet. Kiriat Yéarim est un des rares sites bibliques qui n’ait jamais encore été fouillé.
Et pour cause : la propriété appartient depuis 1905 aux sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition. Une congrégation d’origine française. On comprend mieux, peut-être, que l’Université de Tel Aviv se soit adjoint le concours du Collège de France. Une garantie sérieuse, s’il en est, pour faire accepter aux sœurs l’intrusion d’une soixantaine de personnes pendant plusieurs semaines et probablement plusieurs étés.
Un temple existant pour une arche en vadrouille
Aux abords de la maison qui accueille habituellement des retraitants pour un temps de pause spirituelle, les poussiéreuses chaussures de chantier ont été délaissées. Respectueuse des lieux, c’est en chausson que l’équipe prend sa pause au réfectoire des hôtes. Il est 10 h et c’est l’encas d’une journée commencée à 6 heures du matin. Les fouilles reprendront jusqu’à 13 h. A 16 h, vaisselle pour tout le monde, celle des céramiques trouvées dans la terre. Il y en a par centaines entassées dans des seaux et des cabas. Dans la journée, les directeurs du projet sont disponibles pour discuter avec les volontaires et répondre à leurs questions. Le soir, ils dispensent des ateliers et des conférences sur des sujets divers : topographie, arche d’Alliance, âge du Fer et autres.
Christophe Nicolle justifie la nécessité des fouilles à Kiriat Yéarim. La tradition y place le lieu où a été déposée l’arche d’alliance pendant une vingtaine d’années. “L’arche qui précédait les Hébreux dans leur marche, l’arche que seuls les Lévites pouvaient porter, l’arche qui a présidé à la traversée du Jourdain et à la chute des murs de Jéricho selon la tradition biblique. Elle a une telle valeur que lorsqu’on décide de lui donner un lieu où résider, on ne peut pas choisir de la déposer dans une bergerie”. C’est ainsi que les archéologues ont supposé qu’elle a pu être l’installée dans un temple existant.
Tout l’intérêt réside donc dans le choix qui est fait de cette colline, si proche de Jérusalem. Est-ce la présence de l’arche qui a fait de Kiriat Yéarim un site de première importance dans l’histoire de l’âge de Fer, à savoir entre 1050 et la fin du VIIe – début du VIe siècle av. J.-C. ? Si les archéologues n’ont jamais imaginé retrouver l’arche elle-même, ils ont bon espoir de trouver des indices fondamentaux sur l’histoire du royaume de Judée.
Chatouiller l’historicité des récits bibliques
Dans cette entreprise, l’association entre Thomas Römer, exégète et bibliste suisse, Christophe Nicolle et Israël Finkelstein archéologue attaché à l’université de Tel-Aviv est prometteuse. Leur vision du monde assyrien converge. “Beaucoup de gens fonctionnent en vase clos, mais à nous trois nous regardons la province dans son poids économique, politique, géographique, dans un ensemble », explique Nicolle qui parle d’archéologie biblique critique.
Les scientifiques sont prêts à chatouiller l’historicité des récits bibliques. Le professeur Finkelstein, il y a quelques années déjà (1), en est venu à soutenir la théorie selon laquelle les rois David et Salomon n’auraient pas existé. “Si nous voulons une nouvelle documentation sur l’époque, autre que la Bible, il n’y a que l’archéologie qui puisse la fournir. Un texte n’est jamais neutre, les faits archéologiques le sont beaucoup plus”, explique serein l’archéologue français.
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Les fouilles s’articulent autour de l’hypothèse qu’une plateforme a été construite au sommet du tell. La forme de la colline a retenu l’attention d’Israël Finkelstein. Le tell est plat sur 5 hectares alors que toutes les collines alentour sont arrondies. Photographie aérienne à l’appui, qui permettent de deviner un vaste carré de ligne, l’archéologue israélien est allé chercher Thomas Römer pour lancer le projet. L’objectif des fouilles est de vérifier l’existence de cette terrasse. Il faut trouver le mur de fondement de la plateforme. Dans les trois sondages creusés autour du couvent, les équipes s’activent.
À la frontière entre deux royaumes
Les archéologues ont choisi l’emplacement des sondages avec précaution, compte tenu de l’existence d’un terrain planté d’oliviers. Chacun à sa tâche. Ici, on manipule un niveau et une mire. Là, deux volontaires tamisent des seaux de terre. Une femme soulève de lourdes pierres, tandis qu’un homme balaye dans un coin. Le chantier de Juliette une des “supervisors”, française, est le plus encourageant. On y voit apparaître un mur des deux côtés de la berme, la digue aménagée pour la circulation au cœur du sondage.
A considérer que les deux extrémités appartiennent au même mur, il y a encore du travail à faire. Sans pour autant tirer de conclusion hâtive, Christophe Nicolle semble heureux de la découverte. Suspendus aux résultats de datation, les archéologues sont déjà satisfaits : un mur de 3 m de large, c’est plus de trois fois la taille nécessaire pour un mur de maison. Dans les autres sondages, des pans de murs ont également été trouvés. Serait-ce le fameux mur de terrassement recherché ? “Il y a une part de réflexion, et il y a une part de chance. On a eu de la chance.”
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A quelques jours de clore ce mois estival de fouilles, l’enseignant poursuit : “C’était une saison test. L’idée principale d’une plateforme est en train de se vérifier. Donc nous avions raison.” Tout au plus le professeur Nicolle remet-il le site dans son contexte. “La problématique est d’expliquer comment un site d’une telle importance a pu émerger alors que Jérusalem est à proximité”.
Son emplacement à la frontière des deux royaumes, de Judée et du Nord, sans doute. D’un point de vue historique, l’étude de la colline soulève des questions. L’intérêt est aussi de savoir la taille de l’agglomération, la date de sa création et qui y résidait. Y avait-il une rivalité entre Jérusalem et Kiriat Yéarim ? Car un détail n’a pas échappé aux archéologues, le site est actif entre 1050 et la fin du VIIe – début du VIe siècle av. J.-C. Il serait donc resté important après que, selon les récits bibliques, David ait emporté l’arche à Jérusalem (vers l’an 950 (?) av. J.-C.).
Révélation fracassante
Si Christophe Nicolle préfère ne pas s’avancer davantage sur les conjectures possibles à ce stade, Israël Finkelstein et Thomas Römer dans une interview donnée quelques jours après la fermeture du site au quotidien israélien Haaretz sont plus diserts. “Il est possible que l’arche soit restée plus longtemps à Kiriat Yéarim, et ce n’est que Josias qui l’a amenée à Jérusalem quand il a voulu centraliser toutes les activités cultuelles et politiques, puis ses scribes l’ont justifié en écrivant l’histoire de David prenant l’arche”, postulait Römer. “Cela pourrait expliquer pourquoi il n’y a plus de récit à son sujet”, car après le règne de Josias (640-609 av. J.-C.), Juda survivrait moins de trois décennies avant de tomber aux mains des Babyloniens.
D’après Römer et toujours dans le Haaretz : “Les textes bibliques qui relatent cet empire glorieux et la construction du Temple de Salomon semblent provenir de la fin du VIIe siècle av. J.-C., à l’époque du roi Josias, environ trois siècles après la supposée ère davidique”.
L’exégète s’appuie sur les résultats de l’archéologie : “Le mur de 3 m de large et 2 m de haut date du VIIIe ou VIIe siècle av. J.-C.”. Ce mur peut être celui de soutènement d’une terrasse au-dessus duquel il aurait pu y avoir un temple. “Cela renforce l’idée qu’il y avait un temple ici au VIIIe ou VIIe siècle d’avant l’ère commune, peut-être en concurrence avec le Temple en Jérusalem.” avance Finkelstein. Et le quotidien de tirer les conclusions qui s’imposent : “Si ces théories sont correctes, cela signifierait que l’arche de l’Alliance, l’un des symboles les plus associés au judaïsme, ne demeura à Jérusalem que dans les dernières décennies avant l’invasion babylonienne.” (587 av. J.-C.)
Avec de telles conclusions, on comprend pourquoi les sites qui avaient crié à la découverte probable de l’arche aient passé sous silence le résultat de ces premiers travaux. Mais le site n’a pas dit son dernier mot et les fouilles, elles, devraient se poursuivre en 2019. Affaire à suivre.
Dernière mise à jour: 29/01/2024 16:41