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Liban: les maronites soucieux du départ du Premier ministre

Christophe Lafontaine
6 novembre 2017
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Le départ soudain du Premier ministre libanais ouvre une nouvelle période de crise politique au pays du Cèdre. L’Eglise maronite craint pour la stabilité et la sécurité d’un pays aux fragiles équilibres.


Il dit avoir peur pour sa vie. Le Premier ministre libanais Saad Hariri a annoncé sa démission, samedi 4 novembre 2017. Il a surpris toute la classe politique dans un discours télévisé formulé en Arabie Saoudite et retransmis par la chaîne satellitaire Al-Arabiya. Les raisons pour lesquelles il a présenté sa démission ne sont pas clairement établies. Dans son discours, il a toutefois ouvertement accusé le Hezbollah chiite et son allié iranien de « mainmise » sur le Liban et les pays de la région. Et « ces dernières décennies, le Hezbollah a imposé une situation de fait accompli par la force de ses armes », a ajouté le Premier ministre démissionnaire. Pour rappel, le puissant mouvement armé du Hezbollah chiite avec lequel Saad Hariri est en conflit, fait partie de son gouvernement. Par ailleurs, le Hezbollah est un allié capital du régime de Bachar al-Assad dans la guerre en Syrie. Il est soutenu par Téhéran et est le seul parti libanais à avoir gardé ses armes après la fin de la guerre civile au Liban (1975-1990). Bête noire d’Israël, le Hezbollah refuse d’abandonner son arsenal. 

« Déclaration de guerre »

Ce départ à l’improviste place donc le Liban sous tension et constitue une véritable onde de choc régionale suscitant des rumeurs alarmistes et déstabilisant un pays en convalescence économique et politique. Meurtri par la guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006, le pays faisait figure jusqu’à samedi d’Etat stable dans une région déchirée par les conflits syrien et irakien notamment. Une stabilité qui a attiré 1,5 million de réfugiés syriens qui représentent désormais près d’un quart de la population libanaise.

Au cours de son homélie dominicale à Bkerké prononcée hier, le patriarche maronite, Mgr Bechara Raï, a déploré – indique L’Orient-Le jour –  la démission du Premier ministre libanais et a mis en garde contre « un plan de déstabilisation visant le pays. » « Des décisions doivent être prises pour éviter, au Liban une crise politique et sécuritaire », a conclu le prélat.

« En termes politiques – a expliqué le 4 novembre à l’Agence Fides le Père Rouphael Zgheib, prêtre maronite et Directeur national des Œuvres pontificales missionnaires au Liban – la démission de Saad Hariri et les modalités selon lesquelles elle a été communiquée semblent constituer une véritable déclaration de guerre. L’équilibre qui s’était créé au Liban après l’élection du Président Aoun est remis en question. Espérons pour le pays que ne se rouvrent pas les portes du chaos et de la paralysie institutionnelle. » Le prêtre maronite interprète par ailleurs cette démission comme un calcul électoral. Selon lui, relaie l’agence vaticane, depuis quelque temps, le Parti de Saad Hariri envoyait des signaux d’impatience face à la perspective de se rendre aux urnes pour les élections législatives normalement prévues en mai 2018 alors que le Hezbollah insistait sur la nécessité de respecter cette date. Cette démission précipitée permettrait, toujours selon le prêtre, à Saad Hariri de prendre ses distances vis-à-vis du gouvernement d’unité nationale et de ré-émerger comme une force alternative face à l’alliance (des partis) qui comprend le Hezbollah chiite. Pour bien comprendre, le gouvernement réunissait des forces politiques proches de l’Iran et du Hezbollah et d’autres de l’Arabie Saoudite. A 47 ans, le fils de l’ancien Premier ministre assassiné en 2005, Rafik Hariri, composait avec les deux camps. « Sa démission semble être une tentative de sortir du coin et d’éviter les pressions », a déclaré le prêtre maronite.

Protégé et proche de l’Arabie saoudite, pays depuis lequel il a annoncé sa démission, et critique du Hezbollah pro-iranien, Saad Hariri a été chargé il y a un an, le 3 novembre 2016 de former un nouveau gouvernement par le président de la République Michel Aoun. Le dirigeant sunnite avait déjà été aux affaires, à la tête d’un gouvernement d’ « accord national », de 2009 à 2011. Le système de partage du pouvoir au Liban entre communautés prévoit que le poste de chef de l’Etat revient à un chrétien maronite, actuellement Michel Aoun, celui de Premier ministre à un sunnite et celui de président du Parlement à un chiite. Le président libanais Michel Aoun acceptera ou rejettera la démission du premier ministre Saad-al-Hariri seulement lorsque celui-ci sera rentré au Liban pour expliquer sa décision, d’après les sources du palais présidentiel. 

Une invitation saoudienne en suspens

Cette actualité politique pourrait vraisemblablement faire annuler la visite annoncée ces prochaines semaines en Arabie Saoudite du patriarche maronite Bechara Rai. L’invitation avait été faite le 1er novembre par  Walid Bukhari chargé d’affaires de l’ambassade saoudienne au Liban. Il était prévu que le Patriarche rencontre notamment le Roi Salman et le Prince héritier, Mohamed bin Salman. Cette visite – avait alors déclaré à ce propos à l’Agence Fides Mgr Camillo Ballin, Vicaire apostolique pour l’Arabie septentrionale – pourrait marquer « le début d’une nouvelle attitude de l’Arabie Saoudite envers les autres religions. » La visite annoncée du Patriarche des maronites en Arabie Saoudite serait alors de haute importance du point de vue ecclésial. De fait, le Cardinal Rai est invité en tant que représentant des Patriarches et Chefs des Eglises d’Orient. Par le passé, parmi les Patriarches d’Orient, seul le Patriarche grec-orthodoxe d’Antioche Elias IV a eu la possibilité de se rendre officiellement en Arabie Saoudite en 1975. « En Arabie Saoudite – indique à Fides Mgr Ballin – vivent 1,5 millions de catholiques, en particulier des philippins et des indiens. » L’Arabie Saoudite ne permet la construction ni d’églises ni de lieux de culte non musulmans sur son territoire. Ryad ne dispose pas de rapports diplomatiques avec le Saint-Siège, cependant, le 6 novembre 2007, le Roi Abdallah bin Abdulaziz Al Saud fut reçu au Vatican par Benoît XVI, devenant ainsi le premier souverain saoudien à rencontrer un Pape.

« Maintenant – indique à Fides le Père Rouphael Zgheib – les nouveaux développements mettent en danger cette visite. Un voyage du Patriarche en Arabie Saoudite en ce moment risque d’apparaître comme un choix de camp et ceci n’est certainement pas l’intention du Patriarche, qui avait déjà déclaré être disposé à visiter l’Arabie Saoudite pour ouvrir de nouveaux ponts envers tous. Sa principale intention était de nature pastorale et religieuse mais par chez nous, la religion est toujours entremêlée avec la politique. Maintenant, toutes les cartes ont été redistribuées et chacun doit refaire ses calculs. »

Saad Hariri a été reçu par le Pape François au Vatican le 13 octobre dernier.

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