Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Les trois vies d’une menorah de 1800 ans retrouvée en Israël

Christophe Lafontaine
15 décembre 2017
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Un chandelier à sept branches, gravé sur une pierre, datant du 3e siècle ap. J.-C. a été retrouvé au nord d’Israël, a rapporté ces jours-ci la presse israélienne. Récit d’un triple témoin de l’histoire de Tibériade.


Si les pierres pouvaient parler, cette dalle datant au moins du 3e siècle mise à jour sur un site archéologique à Tibériade aurait 1000 ans à raconter. En somme, un millier d’années sous les trois religions monothéistes en Galilée. Du Sanhédrin à l’époque croisée, en passant par la période musulmane. Sur la pierre de basalte (68 × 78 centimètres) est gravée une menorah vieille d’environ 1800 ans. La pierre, qui devait être scellée, servait à l’origine de porte d’entrée à un tombeau juif. Recyclée ensuite comme base d’un pilier de mosquée, elle a été retrouvée au milieu des vestiges de l’édifice musulman bâti après 635, lors de la conquête musulmane de Tibériade et détruite finalement au 11e siècle. En archéologie, on désigne souvent les remplois les matériaux de construction par le terme spolia, pluriel du latin spolium. L’objet traverse de multiples existences et cristallise par là-même de multiples mémoires. Entre rebut et souvenir, le remploi des œuvres lapidaires était chose courante. « Ils sont aussi une sorte de trophées, une façon de dire clairement : « Nous construisons notre structure sur le dos de ceux qui nous ont précédés », a déclaré dans les colonnes du Times of Israel, Katia Cytryn-Silverman de l’Institut d’archéologie de l’Université hébraïque de Jérusalem et du Département des études islamiques du Moyen-Orient. « Il y a une expression de la victoire et de l’héritage » dans leur utilisation, ajoute-t-elle. En l’occurrence ici, la victoire de l’islam. Ainsi, il ne s’agit pas d’un remploi anarchique et a priori anodin. Ni sans doute un motif de profanation. Le recyclage au contraire révèle les mentalités des contemporains de l’époque et le regard qu’ils portent sur ces œuvres ; regard qui conditionne leurs utilisations pragmatiques, leurs réutilisations symboliques, leurs disparitions volontaires ou leurs conservations intéressées….

Pièce unique

Katia Cytryn-Silverman, qui a mené des fouilles depuis 2009 sur le site – originellement voué à accueillir un centre de sport – explique au Times of Israel que la pierre tombale juive est typique de quelques tombes juives de 150 à 350 après J.-C. comme on peut en retrouver à Beit Shearim en Basse-Galilée qui servit de cimetière juif au 2e et 3e siècle. Pour rappel, sur ce site a été découvert plus de 100 grottes d’inhumation taillées dans la roche. Katia Cytryn-Silverman explique cependant, auprès du journal Haaretz, qu’il n’en demeure pas moins que cette pierre à Tibériade est unique : « aucune autre n’a été trouvée à Tibériade ou à Beit Shearim avec une menorah pour motif central. », dit-elle. De fait, treize autres portes ayant la même destination ont été retrouvées à Tibériade, sans aucune trace du candélabre juif identifié au Second Temple de Jérusalem. Après la grande révolte et la chute du Second Temple de Jérusalem en 70 et l’expulsion des Juifs de la ville sainte, le foyer de la vie spirituelle juive se transporte vers le nord du pays et Tibériade devient la capitale d’Israël et le centre des études rabbiniques. Le Sanhédrin,  l’assemblée législative pour les juifs, aurait été transféré à Tibériade à partir de 190 après s’être notamment installé auparavant à Séphoris. Le Sanhédrin interprétait et tranchait la loi des israélites à partir de ses sources écrites et orales. Son travail de codification a abouti il y a 1800 ans à la rédaction de la Mishna (compilation écrite des lois orales juives, et considéré comme le premier ouvrage de littérature rabbinique.) L’exposé de la Mishna et son développement dans la Guemara forment le corpus du Talmud. Chaque Amora (docteur du Talmud) connaissait toutes les Mishnayot (c’est-à-dire des milliers) par cœur. Cette découverte confirme que Tibériade à la période de la Mishna était suffisamment importante pour avoir son propre cimetière, alors que le cimetière principal était à Beit Shearim.

La ville de Tibériade, fut ensuite conquise par les musulmans et est devenue leur capitale régionale. Ils bâtirent la fameuse mosquée – de taille modeste – dans laquelle a été retrouvée la dalle à la menorah. La mosquée fut détruite lors d’un tremblement de terre en l’an 1068 qui a frappé la vallée du Jourdain. Comme le rappelle Katia Cytryn-Silverman au Times of Israel : « La mosquée contenait également des piliers païens et chrétiens (ndlr : byzantins) réutilisés, qui ont été présentés comme des pièces d’angle. »

Une menorah au goût de sucre

En 1099, les croisés établissent le royaume latin de Jérusalem. Tibériade fait alors partie intégrante de ce royaume. Au cours de cette période, le cœur du quartier résidentiel de Tibériade se déplace vers le nord où se trouve la ville moderne de Tibériade aujourd’hui. L’Ordre des Croisés Hospitaliers de Jérusalem, indique Haaretz, bâtit une fabrique de sucre à la périphérie de la ville sur les rives du lac, sur le site des ruines de la mosquée. La dalle à la menorah est réemployée pour servir de marche d’escalier dans l’entrepôt de sucre. Phénomène européen au départ, l’industrie du sucre était répandue dans la vallée du Jourdain et à Tibériade pendant et après les périodes des croisés. Le 5 juillet 1187, Tibériade se rendait à Saladin. Mais a priori, indique Haaretz, la sucrerie aurait continué à être opérationnelle jusqu’au 13e siècle, sans savoir si elle était encore ou non entre les mains des chrétiens.

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