Le choix de son successeur le 5 février va marquer la fin des dix années de mission de Mgr Zerey comme vicaire patriarcal grec-catholique pour le diocèse de Jérusalem. Pour terrasanta.net il dresse un bilan sans angélisme.
Le 5 février devrait se tenir au Liban le synode qui verra l’élection du nouveau vicaire patriarcal grec-catholique pour le diocèse de Jérusalem. Mgr Joseph-Jules Zerey, atteint par la limite d’âge depuis deux ans, pourrait – à l’arrivée de son remplaçant dans quelques semaines ou mois – faire valoir son droit à la retraite. Dix ans après son arrivée, il fait pour Terre Sainte Magazine un bilan sans angélisme de son expérience et de la situation des chrétiens de Terre Sainte.
Qu’avez-vous découvert comme évêque de Jérusalem ?
J’ai d’abord redécouvert, plus que jamais, ce qu’est le cœur de la vie d’un évêque et d’un prêtre : la joie d’un temps de prière intense. C’est essentiel. Si nous n’avons pas cet échange d’amour, tout le reste laisse à désirer. Ensuite, j’ai appris que si l’évêque n’était pas en communion avec ses prêtres et ses diacres pour le service d’un diocèse, c’en est fini du diocèse. Enfin, j’ai senti la souffrance d’un peuple et rencontré des difficultés diverses. Les soucis des paroisses, des pauvres, nos écoles, surtout celle de Beit Sahour (champs des bergers), pour laquelle j’ai dû frapper à gauche et à droite en vue de combler le déficit. Il a fallu aussi faire face à des malentendus et procès. C’est usant, je préfère annoncer Jésus-Christ.
Avez-vous réussi à obtenir cette communion avec vos prêtres ?
J’aurais voulu faire davantage. Mais à cause de mes limites et de mon manque d’humilité, je ne suis pas encore arrivé à ce que j’espérais.
Vous avez dit que la prière était le cœur et que, sans cela, tout le reste laissait à désirer. Mais qu’est-ce que »le reste » pour un évêque de Jérusalem ?
Le reste, c’est d’être au service des paroisses, des pauvres, des mouvements apostoliques et des écoles. Mais en Terre Sainte, l’évêque a un rôle prépondérant dans la collecte de fonds. La première et quasi unique source de revenus de notre diocèse était, à mon arrivée, notre foyer pour pèlerins de la Vielle Ville de Jérusalem. Si bien qu’à chaque fois que des événements surviennent dans le pays qui entrainent la diminution des pèlerinages, nos finances sont fragilisées. Or, c’est avec ces revenus que nous payons nos prêtres, que nous couvrons les déficits de nos paroisses et de nos écoles. Celle de Beit Sahour avait fini par avoir un déficit de 200 000 dollars chaque année. Nous avons des prêtres célibataires et des prêtres mariés, donc certains ont une famille. Un prêtre est payé 1 000 dollars par mois (800 euros). A mon arrivée, ils ne touchaient que 800 dollars, je les ai augmentés deux fois mais je ne peux pas faire davantage dans la situation actuelle de nos finances.
Les chrétiens en Terre Sainte n’ont pas l’habitude de donner pour leur Eglise. J’ai essayé d’encourager à la générosité pour aider les étudiants qui ne peuvent pas payer leurs frais de scolarité, mais la réponse a été… timide. Il faut éduquer nos fidèles à être plus généreux, ne serait-ce que de cinq, dix shekels (1-2 euros). Dieu bénit au centuple dès que l’on commence à se détacher de l’argent. Aussi ai-je dû aller frapper aux portes. Mais c’est fatiguant de mendier tout le temps. Je le dis avec un peu d’emportement parce que je suis saturé de cela.
Avez-vous trouvé d’autres sources de revenus que le Foyer ?
Le diocèse a monté un projet à Ramallah. Nous avions un terrain près de la paroisse. Avec le père Joseph Saghbini, alors économe général, nous avons fait bâtir un immeuble de rapport. Nous avons construit un bâtiment de bureaux de six étages, avec huit magasins en bas. Nous avons contracté un emprunt de plus d’un million et demi de dollars. Nous louons déjà sept magasins sur huit, et il reste quelques bureaux libres. Nous avons encore 640 000 dollars de crédit à la banque sur ce projet.
D’autre part, le père Elie Nammour, économe général et curé de la paroisse de Jérusalem a beaucoup travaillé sur la question du déficit de l’école de Beit Sahour. Nous ne nous sommes pas contentés de chercher seulement des donateurs, beaucoup de dépenses superflues ont été supprimées.
Selon vous, de quoi vos fidèles ont-ils le plus besoin ?
Cela dépend des régions. Jérusalem est très ouverte, c’est plus facile. Les gens ont moins de problèmes. En Palestine, il y a deux situations : la région de Bethléem et Beit Sahour et la région de Ramallah. Ramallah, économiquement parlant, est mieux lotie que Beit Sahour et Bethléem. A Bethléem, beaucoup de gens ont un travail lié au tourisme. Donc les pèlerinages sont vitaux, les gens ne vivent que de ça. Toute attaque, toute agression dans les rues de Jérusalem paralyse tout le pays. A cause de la situation politique, économique et sociale, certaines régions manquent de protection sociale pour les retraités, pour les malades, de services de santé… Je souffre de voir des gens qui quittent le travail à l’âge de la retraite avec un petit pécule qui ne leur servira à vivre que quelques années parce qu’il n’y a pas de pensions mensuelles comme en Europe.
L’autre problème est ce grand mur de séparation. La circulation est difficile quotidiennement pour les travailleurs. Notre problème, en Terre Sainte, c’est qu’il y a environ onze millions de personnes et malheureusement, ce pour quoi Jésus est venu n’existe pas : il n’y a pas d’amour entre nous. Nous sommes tout le temps à nous entretuer, nous juger. Que cette belle ville de Jérusalem soit la capitale de tout le monde ! C’est immense ! Mais les cœurs ne sont pas prêts à cela.
Le 5 février prochain aura lieu le Synode qui élira votre successeur. Allez-vous conseiller ce Synode?
Je prie beaucoup pour mon successeur. Durant le synode, je répondrai aux questions qui me seront posées éventuellement.
Sur quels critères l’élection se fera-t-elle ?
Je ne sais pas. J’espère en tous les cas que le nouvel évêque sera plus jeune. J’avais déjà soixante-huit ans quand je suis arrivé ici, et du fait de soucis de santé, j’ai manqué de dynamisme. Mais il y a aussi des difficultés qui m’ont fait beaucoup de peine, des malentendus avec des proches, la peur…
La peur de quoi ?
L’inquiétude, la peur, l’angoisse devant les besoins et mes responsabilités. J’aurais dû avoir plus confiance en Dieu. Dieu ne répond pas en 24 heures. Il ne répond peut-être qu’après un ou deux ans… Peut-être même après dix ans.
Que conseillerez-vous à votre successeur ?
La première chose est d’être un homme de prière, toujours en conversion et de découvrir l’amour infini de Jésus, et l’aimer tellement que tout le reste n’est plus important. Le Seigneur est là. Après m’avoir laissé au milieu de la tempête, il me dit »homme de peu de foi ».
Il y a deux ans, les écoliers d’une de nos écoles étaient en excursion. Une petite fille est tombée et suite à sa blessure, est handicapée pour la vie. C’est une chose dont j’ai beaucoup souffert. A un ami prêtre que je rencontrai providentiellement, j’ai fait part de ma souffrance. Il m’a répondu du tac au tac : « Pourquoi vous souciez-vous mon père ? Le Saint-Esprit s’occupera d’elle comme il l’a fait pour Marie, vous ne savez pas ce qui va advenir pour elle. » Ça a modifié toute ma vie spirituelle. J’ai découvert plus que jamais que le Saint-Esprit accomplit des missions impossibles.
Originaire d’Egypte, pensez-vous qu’il y ait encore de la place pour un vivre ensemble entre musulmans et chrétiens au Proche-Orient ?
Ce qui arrive, ce n’est pas l’Islam modéré que nous connaissons. Les personnes égorgées en Syrie et en Irak, cela dépasse ma compréhension. Qu’est ce qui arrive ? Je ne sais pas. Y a-t-il des pressions étrangères? Je ne sais pas. J’ai toujours aimé mes amis musulmans et mes élèves musulmans quand j’étais recteur de collège au Caire. Ce n’est pas l’Islam que je connais et que je respecte. On fait dire ce que l’on veut à un texte. Même dans les textes bibliques, on peut toujours trouver un fanatisme. Il y a de la violence dans l’Ancien Testament. Jésus nous dit dans le Sermon sur la Montagne d’aimer nos ennemis, et de les aimer malgré tout. Pourtant des gens, très proches, consacrés, me répondent : « Mais Jésus a également pris le fouet ! » Quand on veut justifier la violence, on peut la trouver partout.
Pourquoi les chrétiens d’Orient devraient-ils rester ?
Le chrétien, s’il n’a pas compris qu’il doit être apôtre là où il est, quitte à donner sa vie, n’a pas encore compris ce que la foi suppose. De par le sacrement de Confirmation, nous sommes envoyés, malgré la souffrance, malgré la pauvreté. A-t-on compris ce que signifie être chrétien ?
L’étonnante prière de Mgr Zerey
Mgr Zerey accorde une grande place à la prière. Chaque matin, durant 35 minutes, il prie 7 pages qu’il a écrites.
Après Marie qu’il invoque sous divers vocables, l’évêque s’adresse à la Trinité, »pour dire’Je t’aime »’. Commence alors une litanie, d’Abraham aux prophètes. Suivent les saints du Nouveau Testament, les Pères de l’Eglise, les saints pour qui il a une amitié particulière, comme st Jean-Baptiste, st Joseph, st Jean-Baptiste de la Salle, »parce que j’ai toujours été éducateur ». Suivent les grands saints, les saints Papes, jusqu’aux saints de nos jours.
Cette prière se poursuit pour ses proches morts, amis chrétiens et musulmans, clercs. Il confie alors à Dieu les vivants, à commencer par l’ensemble du clergé, le personnel et les partenaires du patriarcat, comme ses ingénieurs et avocats. La prière se poursuit pour ses parents, amis et les bienfaiteurs, les fidèles, les habitants de Jérusalem, puis, plus étonnant, les gouvernements d’Israël et de Palestine, la police, pour la paix en Terre Sainte et au Proche-Orient.