Grâce à des fonds internationaux, une opération de deux ans a été lancée pour restaurer le monastère de Saint-Hilarion et l’église de Jabaliya, tous deux d’époque byzantine dans la bande de Gaza. Un enjeu de société.
Gaza fait trop souvent la une des journaux pour son actualité politique et humanitaire. Actuellement, « la marche du retour » en est l’exemple le plus éloquent. Pourtant, il y autre chose que les images de guerre, de prison à ciel ouvert ou de terrorisme. En réalité, on a beaucoup à apprendre sur Gaza. Derrière, la barrière frontalière qui sépare la bande côtière palestinienne d’Israël, se trouve tout un pan de civilisations. Le territoire, sur la route côtière reliant l’Egypte et la Syrie, a en effet vu passer entres autres les pharaons égyptiens, les Philistins, les Perses, les Grecs, les Romains et les Byzantins, les Omeyyades, les Abbassides, Ayyoubides et Croisés, Mamelouks, Ottomans, etc.
Et ainsi, l’enclave palestinienne recèle un trésor culturel inestimable (et notamment chrétien) trop peu connu, trop peu protégé, constamment menacé. En cause, le temps, les vents, le sable, l’eau, les moutons, la négligence, la sururbanisation, les conflits à répétition. Rien que pour cette dernière décennie, on en dénombre trois (2008, 2012, 2014).
Il s’en est fallu de peu pour que l’un des plus importants témoins des premiers temps de la chrétienté en Terre Sainte ne disparaisse. Situé à plus de 10 kilomètres au sud de Gaza, le long du cordon de dunes littorales, à Nusseirat, le plus ancien et plus grand monastère de toute la Terre Sainte, est en passe de bientôt remporter une course contre la montre. Le monastère de Saint-Hilarion (IVe et VIIIe siècle) a en effet obtenu les fonds nécessaires à sa restauration, annonce dans son édition du 15 avril 2018, al-Monitor qui se veut le site d’actualités le plus complet sur le Moyen-Orient. Dans deux ans, c’en sera donc fini des mesures préventives de fortune, des toits de tôle et des sacs de sable déchirés et affaissés servant à maintenir les fondations. Faute de financement adapté, toutes les protections étaient faites dans l’urgence et non dans une optique de préservation durable.
Inscrit sur la liste indicative de l’Unesco des sites de Palestine dignes de figurer au Patrimoine mondial, ce monastère de premier ordre, dont les fouilles ont commencé au cours des années 90, fait aussi partie de la liste 2012 du World Monuments Fund (WMF, Fonds mondial pour les monuments) des cent sites les plus menacés au monde.
L’église byzantine de Jabaliya, à 4 km au nord de la ville de Gaza et découverte en 1996, aura l’heur de connaître le même sort. Conçue comme lieu de repos pour les pèlerins en voyage en Terre Sainte, le site est réputé pour sa riche mosaïque animalière, florale et colorée. Malheureusement, le pavement a été endommagé par le passage des chars de combat et par des frappes aériennes pendant la guerre de 2012.
C’est l’ONG Première Urgence Internationale (PUI) qui, disposant d’un bureau permanent à Gaza, gère depuis janvier ce grand projet avec l’appui financier du British Council’s Cultural Protection Fund en lien avec le ministère britannique pour le numérique, la culture, les médias et le sport (DCMS). Le plan de sauvetage est mené en partenariat technique avec l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem (EBAF) à l’origine des fouilles sur les lieux. Deux universités suivront le projet : l’Université de Palestine et l’Université islamique de Gaza.
« Notre travail de restauration de ces sites archéologiques va restituer à la société civile gazaouie, spécialement les jeunes, un lieu clé pour mieux connaître son histoire. Au-delà de son aspect symbolique, l’abandon au cours des années, ainsi que plusieurs opérations militaires, ont rendu extrêmement urgent ce travail de préservation pour éviter que le patrimoine soit endommagé d’une façon irréversible », déclare dans un communiqué Rossella Urru, cheffe de mission pour Première Urgence Internationale à Gaza.
Le British coucuncil explique que les travaux consisteront à réhabiliter et protéger les sites contre d’éventuelles dégradations futures, grâce à la création de toitures et de murs protecteurs. Les sols en mosaïque et la tombe de Saint Hilarion seront également restaurés.
Qui plus est, le directeur général du ministère du Tourisme et des Antiquités à Gaza, Jamal Abu Rida, a déclaré à al-Monitor que le ministère a conclu un accord avec la municipalité pour empêcher la mise en chantier d’immeubles autour du monastère.
Impact humanitaire sur le long terme
Le budget de la restauration du monastère et de l’église byzantine est d’environ deux millions d’euros (£ 1,755,000) indique sur son site le British Council. Les travaux de rénovation devraient durer exactement 26 mois. Pas moins de 75 travailleurs y seront employés : des experts internationaux et locaux, des archéologues, des universitaires, des étudiants et des diplômés des départements d’histoire des universités palestiniennes de la bande de Gaza.
Première Urgence Internationale veut aussi optimiser son impact humanitaire sur le long terme. Bien sûr l’aspect protection et restauration est fondamentale. Mais l’ONG souhaite que les Gazaouis puissent recevoir une formation – gratuite, théorique et pratique – sur la restauration des monuments. Ce qui permettra de préserver et promouvoir le patrimoine Palestinien. Jehad Abu Hassan, membre de PUI à Gaza explique au Journal des Arts que « le projet permet de réhabiliter un patrimoine qui représente un potentiel économique et culturel pour Gaza et d’offrir une formation aux Gazaouis. » Cinquante étudiants en fin d’études ou récemment diplômés en archéologie ou architecture pourront bénéficier de ce programme « sur toutes les étapes de projets, plâtre, réhabilitation de la crypte, des bains, la taille des pierres, la restauration de mosaïques… ». « A la fin on espère avoir une équipe capable de faire les travaux de façon indépendante et restaurer d’autres sites à Gaza », conclut-il. Des sessions découvertes des lieux sont également organisées auprès de groupes scolaires et de familles. L’objectif : sensibiliser l’opinion publique locale à la préservation de ces sites.
Un site exceptionnel
Tell Um Al Amr, le nom arabe du monastère byzantin de Saint Hilarion a été construit après l’arrivée des premiers moines en Palestine. Il tire son nom d’un moine ermite du IVe siècle, considéré comme le fondateur du monachisme en Palestine. La vie d’Hilarion est connue par le récit de saint Jérôme écrit entre 386 et 391. Hilarion, d’origine grecque, serait né à Tabatha (visible sur la mosaïque de Madaba – VIe siècle), au sud de Gaza, en 291. Au début du IVe siècle, Gaza et sa région étaient sous la tutelle romaine. Il a étudié à Alexandrie, où il est devenu chrétien à 15 ans. Il était un disciple de Saint Antoine d’Egypte – le Grand – et vivait avec lui dans le désert. De retour en Palestine en 306 après J.-C., il commença une vie solitaire. Après avoir établi le premier monastère palestinien en 329, qui s’est développé rapidement, Hilarion, cherchant la solitude, a émigré d’abord à Thèbes, en Egypte, et finalement s’est installé et est mort à Chypre vers 372. Ses restes furent ramenés à Gaza.
A l’origine, le monastère couvrait 15 000 m2 et le site s’étendait sur plus de 10 hectares. Le complexe comprenait au sud une église et sa grande crypte, une chapelle, des baptistères, des cellules et un réfectoire pour les moines, et au nord une hôtellerie et des bains pour les pèlerins. L’église monastique a été trois fois entièrement reconstruite.
Sous la période omeyyade (VII-VIIIe siècle) puis abbasside, l’ensemble a probablement connu une seconde vie autour des bains et du puits.
Aujourd’hui, surgissent du sol des murs de pierre, des sols de marbre, des escaliers, des colonnes et chapiteaux corinthiens, des fonts baptismaux et des mosaïques aux teintes bleues, rouges, vertes, jaunes et ocres merveilleusement intactes et qui représentent des motifs géométriques, floraux, mais aussi animaliers (paons et autres oiseaux, équidés et félins, …). A l’automne 2003, une inscription citant Hilarion a été retrouvée et quelques jours plus tard, sa tombe. Le site archéologique est le seul ouvert au public dans la bande de Gaza Il est visité par environ 1 000 étudiants par mois. L’église de Jabaliya, elle, n’est pas accessible au public.