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Alep et Damas, histoires de solidarité et d’espoir

Terrasanta.net
22 avril 2018
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Les récents bombardements américains en Syrie ont ravivé la peur d'une escalade du conflit. Echos de l'engagement de l'Église auprès de la population, à travers les frères de la Custodie.


Il y a une grande amertume dans les mots de frère Ibrahim Alsabagh, responsable de la paroisse latine d’Alep, face aux raids menés en Syrie entre les 13 et 14 avril par les forces aériennes des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France, en représailles à l’utilisation d’armes chimiques par les forces gouvernementales syriennes. « Pour nous, c’est un signe que la guerre en Syrie ne se terminera pas facilement, a déclaré le père Ibrahim – parce qu’il y a une volonté très forte de la part des différents acteurs internationaux de se battre sur ce territoire. Ainsi la guerre continuera encore longtemps ».  Plus dur encore, le commentaire de frère Bahjat Karakach, curé des catholiques latins au monastère de Saint-Paul, dans la vieille ville de Damas, où l’attaque des puissances occidentales a visé un centre de recherches dans la banlieue de Barzeh. Frère Bahjat rappelle que les Etats-Unis ont attaqué l’Irak sous prétexte de détruire les arsenaux d’armes chimiques de Saddam Hussein en 2003, mais les informations fournies, même devant l’ONU, se sont révélées être un mensonge.

Les communautés catholiques latines des deux grandes villes syriennes, Damas et Alep, confiées aux frères de la Custodie, sont entrées dans la septième année de guerre. Frère Bahjat évoque la peur que les gens ressentent dans le quartier de Bab Touma : « Les journées au centre de la ville ont été vécues dans une grande tension. Alors que les forces gouvernementales tentaient de reconquérir le territoire de la Ghouta orientale, contrôlée par les rebelles, de nombreux obus de mortier ont explosé dans les quartiers du centre. Les gens ont réduit au minimum leurs déplacements. À la mi-mars, un homme a été tué alors qu’il avait récupéré du lait et des couches pour son jeune fils près de notre église ». Par conséquent, beaucoup n’osent pas sortir, même pas pour aller à l’église des frères où sont distribués des produits de première nécessité.

La guerre a aggravé les inégalités, causé d’immenses dégâts matériels, mais aussi des blessures internes, et des déchirures entre les uns et les autres.

La paroisse pour guérir les blessures

Dans leur engagement constant pour accompagner les communautés chrétiennes, les frères mineurs aident aussi à surmonter les divisions. Frère Bahjat s’attend à un avenir gouverné par un État laïc, mais il sait que beaucoup de travail devra être fait à ce sujet. « La guerre n’a fait que laisser le conflit idéologique se manifester et creuser les différences qui existaient déjà », observe-t-il. Il espère ouvrir un centre culturel où, à travers l’art et la culture, les relations humaines pourraient être rétablies. Une paroisse permet à l’autre de se raconter, de détruire les préjugés. L’initiative sera liée à Saint-Ananie, un sanctuaire important dédié à celui qui fut évêque de Damas au Ier siècle après J.-C.  Il est un modèle, un saint qui ouvrit les portes de sa communauté à une personne qui pouvait apparaître comme « dangereuse ». Et c’est finalement là que Saul converti par Ananie devint l’apôtre Paul.

Elena Bolognesi (Editions Terra Santa) apporte un témoignage de la vie de la communauté d’Alep. Après un voyage difficile le long des routes secondaires entre dévastation et barrages militaires, elle a atteint la ville en mars. Elle avait dans le passé longtemps visité la Syrie.

« J’ai trouvé un pays à bout. Autrefois, Alep était une ville pleine de mouvement, tandis qu’aujourd’hui dans les quartiers dévastés par la guerre, il n’y a plus de trafic et avec le manque de courant la nuit, les rues sont désertes ». On estime que seulement un tiers de la population d’avant-guerre est resté dans la ville. Après qu’en décembre 2016, les quartiers de l’Est ont été « libérés » de la présence des milices rebelles, un nouvel exode des aleppins a eu lieu vers les banlieues et le nord du pays. « Cependant, dans l’enfer qu’était Alep, et qu’il est encore, – raconte Elena – j’ai eu l’impression d’une communauté chrétienne extraordinairement vivante et active (il y a neuf communautés chrétiennes différentes, six catholiques et trois orthodoxes). J’ai trouvé des gens très actifs dans l’aide humanitaire. »

Aux côtés de frère Ibrahim, s’est réuni un groupe de jeunes laïcs qui se sont dépensés avec générosité  pour toutes les personnes dans le besoin, les chrétiens – catholiques et orthodoxes – comme les musulmans. Et cette aide continue pour tous ceux qui frappent à la porte de la paroisse des frères ». Chaque mois, plus de trois mille colis alimentaires sont distribués et de nombreuses familles dépendent totalement de ces produits. Il y a aussi les aides financières pour l’électricité qui se fait encore rare qui est achetée par ceux qui la produisent avec des générateurs privés. En outre, il existe des aides pour la reconstruction de bâtiments détruits ou endommagés. C’est pourquoi le père Ibrahim a créé une équipe spéciale d’ingénieurs et d’architectes, professionnels qui ont perdu leur emploi avec le conflit. Le chômage est très élevé en raison de la destruction des usines dans ce qui était le principal centre industriel du pays.

Des aides qui ne sont pas que matérielles

Ce ne sont que quelques exemples des nombreuses formes d’aide. Mais la paroisse a gardé vivante son attention pastorale, par exemple en organisant « l’oratorio », qui a réussi à impliquer jusqu’à 860 enfants qui, peut-être pour la première fois de leur vie, se sont sentis comme des enfants normaux. Les contacts entre frère Ibrahim et frère Bahjat en Italie, où ils ont étudié, sont très importants pour le soutien économique des communautés.

Le livre de frère Ibrahim, « Un instant avant l’aube », mûri pendant les bombardements et traduit en plusieurs langues, recueille des chroniques de guerre, mais aussi d’espoir. « Avec le père Ibrahim, nous préparons la suite de ce livre – explique Elena Bolognesi -, les chroniques d’une reconstruction fatigante, à la fois matérielle mais aussi des personnes. Les décombres sont des plaies intérieures. Ce second livre, qui sortira en juin, nous dira ce que cela signifie de tenter de reconstruire ».

Pour frère Ibrahim, il est important que les gens fassent l’expérience de la gratuité de l’Eglise, afin d’éviter de créer des relations entre les débiteurs et les créanciers. « L’Eglise est une mère, pas une banque », souligne-t-il. C’est pourquoi les aides qu’ils distribuent sont totalement gratuites et répondent à tous les besoins. (F.P.)

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