L'ONG israélienne Emek Shaveh organise des visites guidées pour dénoncer le projet de téléphérique à Jérusalem. Elle conteste un projet idéologique, polluant pour le paysage et peu pertinent.
Un projet idéologique, dévisageant le paysage et dont la pertinence est incertaine. Voilà en substance les critiques adressées par Yonatan Mizrahi au projet de téléphérique à Jérusalem. L’ONG israélienne Emek Shaveh dont il est directeur milite contre la récupération politique des vestiges archéologiques. A la liste de ses visites militantes, il a récemment ajouté un nouveau parcours sur les lieux destinés à être traversés par le câble. Si l’objectif officiel du téléphérique est de fluidifier le trafic de Jérusalem, l’association entend montrer qu’il n’est pas le seul. Le maire, Nir Barkat, membre du Likoud (droite), a reconnu en 2016 que ce moyen de transport devait servir « aussi à comprendre à qui appartient vraiment cette ville ».
Le téléphérique devrait permettre de transporter 3000 personnes par heure de Jérusalem-Ouest à la Vieille Ville. Un projet d’extension est déjà envisagé avec une station au Mont des Oliviers. Le tracé exact du futur câble reste pourtant incertain. Il partira de l’actuelle First Station, nom donnée à l’ancienne gare ferroviaire de Jérusalem, située du côté israélien de la Ligne verte définie en 1949, au Sud-ouest de la Vieille Ville. Parti plein Est, une fois arrivé au bas d’Abu Tor, où il marquera un arrêt (?), il opérera un virage à 90° pour traverser la vallée de l’Hinnom, aussi connue sous le nom de Géhenne. Arrivé au Mont Sion, il s’arrêtera non loin du cimetière catholique. De là, il descendra vers la Porte des Immondices pour arriver aux abords du Centre Kedem. La majeure partie de l’itinéraire est du côté palestinien de la Ligne Verte, ce que dénonce Emek Shaveh. La dernière station est de plus dans une colonie israélienne du village palestinien de Silwan (Siloé). « Cela créera une liaison directe entre cette colonie et la partie israélienne », regrette Yonatan Mizrahi.
C’est aussi le narratif de la ville présenté aux touristes qui va être bouleversé, signale le militant. « Actuellement, si vous rentrez par la porte de Jaffa ou la porte de Damas, vous vous retrouvez clairement dans une ville arabe », explique-t-il. Or, le flux de visiteurs empruntant le téléphérique arrivera à proximité de la Cité de David, vestiges de l’antique cité de Jébus conquise par le roi biblique. En orientant l’entrée dans la Vieille Ville par la porte des Immondices qui donne sur le quartier juif et l’esplanade du Mur occidental « Il y a donc une volonté de souligner le caractère juif de la ville », selon le militant.
Des doutes quant à la pertinence du projet
L’aspect idéologique du projet n’est pas la seule réserve émise par l’association Emek Shaveh. L’implantation exacte des piliers qui soutiendront le câble n’est pas encore connue. Or, il survolera la vallée de l’Hinnom, déclarée parc naturel et à ce titre préservée de l’extension des constructions, « y compris du câble… » note au passage le guide. Elle constitue une bande de verdure (à la douce saison), où sont visibles de nombreux vestiges de tombes datant de diverses époques. Elle offre aussi une vue dégagée sur les murailles orientales de la Vieille Ville. Quel impact aura la construction du téléphérique sur ce paysage unique ? Difficile de l’évaluer, mais il sera nécessairement affecté, s’inquiète Yonatan. Des piliers pourraient aussi s’élever dans le jardin du domaine de Saint-Pierre-en-Gallicante, lieu d’emprisonnement du Christ après son arrestation, ou à proximité de maisons palestiniennes. Yoni espère que l’inscription de Jérusalem au patrimoine mondial de l’Humanité de l’UNESCO empêchera la construction du téléphérique. « Le krak des Chevaliers à l’est de la Syrie a dû renoncer à se doter de telles infrastructures pour préserver le paysage à la demande de l’organisation internationale », indique le militant, qui veut y voir un cas de jurisprudence.
Yonatan Mizrahi se demande aussi si ce nouveau moyen de transport sera réellement utilisé. « Une navette gratuite relie déjà les deux extrémités du futur téléphérique, mais est peu, voire pas utilisée ». Certains se plaignent d’un moyen de transport peu fiable, notamment en termes d’horaires, et pas assez régulier. Le directeur de Emek Shaveh souligne de son côté que le départ du téléphérique est situé à un emplacement peu pertinent : «Les ultra-orthodoxes de Mea Shearim ont plus vite fait de se rendre au Mur à pied ». Le militant pose aussi une autre question : « Autorisera-t-on les Palestiniens de Silwan à utiliser ce moyen de transport qui arrivera dans leur village ? »
Yonatan Mizrahi et son association reconnaissent que des solutions de transport doivent être trouvées. Une nécessité car le tourisme augmente et le trafic autour de la vieille ville est congestionné. L’association entend bien peser de tout son poids dans les prochaines élections municipales de l’automne 2018, mais elle est toujours à la recherche de solutions alternatives. De leur côté, les partisans du téléphérique défendent un projet rapide à mettre en place, constructible en 15 mois disent-ils. Ce moyen de transport silencieux et peu polluant répondrait au mieux aux enjeux du site. L’équilibre est des plus difficiles à trouver entre le respect de l’atmosphère originale de la Ville trois fois sainte, la nécessité de répondre aux besoins des populations locales comme des touristes, et les contraintes imposées par un territoire accidenté et riche de vestiges d’une histoire multimillénaire.
Yonatan Mizrahi lui hésite encore, va-t-il définitivement inscrire cette visite, sous cette forme au programme d’Emek Shaveh ? « Tout public peut suivre notre tour pour se faire une idée. Quant à nous, définitivement nous sommes contre ce projet plus politique que d’infrastructure. »