Dans un contexte de crise diplomatique avec la Turquie en raison des répressions à Gaza, 50 députés du parlement israélien - appuient un projet de loi reconnaissant le génocide arménien. Qu’en est-il ?
Au mois de février, la Knesset (le Parlement israélien) avait rejeté un projet de loi visant à reconnaître les événements de 1915 en Turquie comme un « génocide contre les Arméniens ». A l’époque, le Vice-ministre des Affaires étrangères israélien, Tzipi Hotovely, avait déclaré qu’Israël ne voulait pas prendre officiellement position sur la question du génocide arménien, « vu sa complexité et ses implications diplomatiques ». Et ce, afin de ne pas nuire aux liens diplomatiques de normalisation – plutôt délicats et volatiles – avec la Turquie.
Mais les récentes altercations entre la Turquie et Israël eu égard aux événements meurtriers à Gaza pourrait, en toile de fond, changer la donne. De fait, la reconnaissance du génocide arménien par Israël pourrait cesser bientôt (voire très bientôt) de jouer l’arlésienne. Alors que la Turquie et Israël ont retiré (temporairement) leurs ambassadeurs respectifs suite aux tensions dans l’enclave gazouie, « l’initiative de la reconnaissance officielle par Israël du génocide arménien prend de l’ampleur à un rythme impressionnant », selon Radio Israël.
En effet, devant des étudiants turcs à Londres, le président turc Recep Tayyip Erdoğan – niant le génocide arménien de 1915 – a accusé Israël d’« Etat terroriste » en déclarant qu’il était en train de commettre « un génocide » dans la bande de Gaza qui a coûté la vie à près de 60 manifestants palestiniens, selon le bilan fourni par les autorités palestiniennes. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait alors répondu qu’il n’avait pas de « leçons de morale » à recevoir du président turc.
Suite aux déclarations de Recep Tayyip Erdoğan, 50 députés de la Knesset, piqués au vif, appartenant tant à des partis de la majorité – Likoud compris – qu’à des partis de l’opposition, ont signifié leur soutien à un projet de loi qui reconnaît le génocide arménien. Le texte à l’ordre du jour de la Knesset mercredi 16 mai 2018 a en effet reçu « l’aval du Likoud (ndlr : droite), de l’Union Sioniste (ndlr : centre-gauche), de Habayit Hayehudi (ndlr : droite – extrême droite), du Meretz (ndlr : gauche) et de Shas (ndlr : ultra-orthodoxe)», détaille le site d’information armenews.
Le texte prévoit également, a indiqué l’agence de presse catholique Fides, dans son édition du 18 mai 2018, d’instituer en Israël une journée de commémoration annuelle du génocide arménien.
En outre, le projet de loi vise à ce qu’Israël reconnaisse également officiellement le massacre de la population assyrienne, qui a également été perpétré par les Turcs pendant la Première Guerre mondiale. Quelque 300 000 personnes ont été alors tuées.
La proposition a été présentée par le député de centre-gauche Itzik Shmuli, membre de l’Union sioniste et le député du Likoud, Amir Ohana. « Il est temps de reconnaître officiellement la terrible injustice faite aux Arméniens. Est-il possible que l’Etat-nation du peuple juif, après tout ce que nous avons enduré, ne le reconnaisse pas ? », a écrit ce dernier sur sa page Facebook.
Pour son collègue parlementaire, Itzik Shmuli, il n’existe pas de motif « pour traiter les Turcs avec une délicatesse particulière, vue l’instigation contre l’Etat d’Israël déclenchée par le Président turc, Recep Tayyip Erdogan », rapporte Fides.
Soutiens de haut niveau
Le Président de la Knesset, Yuli Edelstein, alors en France, a déclaré qu’il fera tout son possible pour faciliter l’avancement et l’approbation de la proposition de loi. La Knesset compte 120 parlementaires. Rien n’est donc encore acté car les 50 députés favorables au projet de loi doivent encore convaincre pour espérer la majorité. Reste à savoir si les motivations sont d’ordre moral ou si elles veulent purement et simplement porter un coup plus que symbolique pour ne pas dire sérieusement sévère aux relations diplomatiques entre Israël et la Turquie…
A cette vue, deux ministres ont apporté leur soutien officiel au projet de loi. Dans une interview à Ynet (site d’informations israélien), le ministre des renseignements, Yisrael Katz a déclaré qu’ « il n’y a aucune raison morale et historique de ne pas reconnaître l’holocauste arménien en référence à la montée de la tension entre Israël et la Turquie. » Et le ministre d’ajouter qu’« Erdogan essaie d’augmenter la tension et l’incitation contre Israël, il est un membre des Frères musulmans et un ennemi idéologique d’Israël. » Mardi 15 mai, le ministre israélien de l’Education Naftali Bennet, à la tête du parti de droite HaBayit HaYehudi (le Foyer Juif), avait exhorté son pays à reconnaître le génocide arménien en réponse aux commentaires insultants du président turc Erdogan.
Jusqu’à présent, comme les Etats-Unis et l’Allemagne, Israël ne niait ni ne reconnaissait le génocide arménien. Si le texte venait à être adopté, l’Etat hébreu serait le 30ème pays à reconnaître le génocide de 1915, dans lequel l’Empire ottoman (prédécesseur de la Turquie moderne) a tué plus de 1,5 million d’Arméniens, selon les historiens.