L’économie israélienne au péril de l’ultra-orthodoxie
Comme économiste, je peux vous dire que cette situation est intenable. Aucun État ne peut vivre avec 30 % de sa population dépendant du reste de la société.” Jacques Bendelac, économiste et auteur de Israël, mode d’emploi, n’a pas besoin de réfléchir longtemps quand on lui demande l’impact économique de la croissance de la population haredi. L’économie israélienne est florissante : un chômage dérisoire, une croissance de 3 % en 2017, un secteur high tech reconnu dans le monde entier pour son dynamisme et ses innovations. Mais les ultra-orthodoxes, en marge de la société israélienne, sont aussi en marge de sa réussite économique. La faute à une participation au marché du travail faible, 66 % des haredim contre 89 % pour les autres juifs israéliens. Un chiffre d’autant plus édifiant qu’il ne tient pas compte des disparités entre hommes et femmes.
Les hommes haredim reçoivent en effet des bourses pour étudier dans les écoles talmudiques pour adultes mariés, kollelim, elles-mêmes subventionnées par l’État. Ils seraient ainsi deux sur trois à consacrer leur vie à l’étude. Mais leurs revenus ne se bornent pas à cela. “Ils empochent la majeure partie des allocations familiales puisqu’ils ont beaucoup d’enfants, explique Jacques Bendelac. Les foyers haredim comptent en moyenne 6,7 enfants, quand les autres foyers juifs n’en ont en moyenne que 2”. Cela ne permet pas à une famille haredi de sortir de la pauvreté. “Même pour ceux qui travaillent, la situation est difficile, ajoute l’économiste. Les épouses haredim, qui travaillent de plus en plus, ne gagnent en moyenne que la moitié du revenu mensuel moyen.” Faute de qualifications, elles occupent des postes faiblement rémunérés, et le font souvent à temps partiel. Mais dans cette communauté, la pauvreté est choisie, les ultra-orthodoxes n’ayant aucun attrait pour l’opulence et le confort. Alors, où est le problème ?
En termes économiques, la communauté haredi représente un manque à gagner non négligeable. Représentant actuellement 10 % de la population, elle représente un coût de plusieurs milliards de shekels à l’État alors qu’elle consomme très peu et ne paye pas d’impôts, faute de revenus suffisants. Autant de recettes en moins pour le budget israélien. Ce coût est renforcé par les concessions politiques obtenues par les parlementaires haredim, présents au gouvernement et dans plusieurs municipalités. “Des lois municipales interdisent certaines activités le shabbat, comme l’ouverture de commerces ou les transports en commun, détaille Jacques Bendelac. Ce sont des freins pour les non-haredim qui veulent profiter de leur jour chômé pour se divertir, consommer…”
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Perspectives d’avenir
Une population constituée de plus d’un quart de haredim risque donc de freiner la dynamique de l’économie. Pour Jacques Bendelac, la participation des ultra-orthodoxes au gouvernement va entretenir l’isolement économique des hommes en noir : “Un gouvernement de droite comme de gauche a et aura besoin des partis ultra-orthodoxes pour former une majorité. Or, toute coalition se monnaye.” Autrement dit, la limitation des subventions des étudiants des kollelim, qui constituerait une incitation à travailler en réduisant les revenus de ceux-ci, risque de se faire attendre.
L’économie est pourtant apte à intégrer cette population nombreuse et peu diplômée. La main-d’œuvre manque en Israël, avec plus de 100 000 emplois vacants dans de nombreux secteurs, du high tech au commerce, en passant par l’agriculture et les services à la personne. “On importe de la main-d’œuvre étrangère de Turquie, de Roumanie, d’Ukraine, pour construire des trains, faire la cueillette dans les champs… Environ 60 000 personnes sans compter les Palestiniens. Israël a donc les moyens d’absorber progressivement cette population.”
Certaines entreprises décident d’ailleurs de favoriser le recrutement d’ultra-orthodoxes en prenant en compte leurs exigences religieuses. Dans les colonnes des Échos en mars 2016, un entrepreneur du high tech confiait à N. Hamout : “Nous avons fait le choix de recruter en priorité des ultra-orthodoxes, des employés loyaux, qui apprennent vite et ne vont pas surfer sur Facebook. Ce n’est pas si compliqué de respecter leurs valeurs et leurs codes culturels.” Les exigences de ces travailleurs sont souvent simples à mettre en œuvre, comme la non-mixité des bureaux.♦
Dernière mise à jour: 08/02/2024 13:30