Le cimetière juif de Saïda (l’antique Sidon), témoin de l’importance de la communauté juive éteinte dans cette ville dans les années 80, est largement menacé de destruction et de disparition par des travaux routiers.
Bassem el-Hout, avocat de la communauté juive du Liban, est « furieux », rapporte L’Orient-Le jour dans son édition du 28 avril 2018. L’extension de l’autoroute de Saïda (Liban-Sud) aurait commencé il y a trois semaines environ. Des pelleteuses ont non seulement démoli trois pans de l’enceinte qui protégeait le cimetière juif de la ville mais aussi provoqué l’affaissement de plusieurs tombes. De fait, un rouleau compresseur a été vu en train d’aplanir le terrain à l’intérieur du cimetière situé à la périphérie de la ville côtière, à côté d’une grande décharge et d’un abattoir…
« Les membres de la communauté (ndlr : juive), qui vivent aux Etats-Unis, au Mexique et en France, et dont les parents et les ancêtres sont enterrés dans ce cimetière, sont hors d’eux mais nous étions incapables de faire quoi que ce soit aujourd’hui », a déclaré Bassem el-Hout à L’Orient-Le Jour. De fait, l’homme de loi a fait le pied de grue toute la journée du samedi 28 avril au parquet de Saïda pour tenter de joindre la procureure générale. En vain. L’avocat a finalement pu déposer plainte mais pour l’heure les travaux continuent. « Il convient de souligner, précise L’orient-Le Jour, qu’au Liban, les terrains appartenant aux communautés (waqf) – et parmi lesquelles figure la communauté juive – sont protégés par la loi. »
C’est un libanais chrétien (grec-orthodoxe), spécialiste de la communauté juive au Liban qui a lancé l’alerte via Facebook. « D’après ce que j’ai vu, l’autoroute vers le Sud passera derrière le mur, et celle du retour du Sud vers la corniche de Saïda passera à l’intérieur du mur, c’est-à-dire à l’intérieur de la zone du cimetière juif de Saïda », a indiqué Nagi George Zeidan. Le chercheur a découvert les travaux la semaine dernière en se rendant au cimetière.
Il n’était pas là par hasard. En 2015, suite à un don d’un juif libanais expatrié dont les parents et grands-parents reposent au cimetière, l’historien s’est vu confier la tâche de répertorier les tombes et de gérer leur entretien. Objectif de l’opération commanditée : honorer les sépultures de la communauté juive de Saïda et laisser les morts reposer dans le respect. A cet effet, il y a donc trois ans, une enceinte avait été construite autour du cimetière. C’est celle-là qui fait aujourd’hui les frais des travaux routiers.
Traces et mémoires
Le cimetière s’étend en bordure de mer sur 30 000 mètres carrés et compte plus de 300 tombes (dont certaines remonteraient au 18ème siècle). Depuis 1967, le havre de paix pour les morts a eu une vie des plus mouvementées au gré des vicissitudes de l’Histoire régionale. Les tombes ont d’abord été criblées de balles pendant la guerre des Six Jours. Puis, en 1978, des familles palestiniennes fuyant le camp de Rachidiyé à Tyr ont occupé les lieux. Le cimetière aurait commencé à tomber en ruine au cours des premières années de la guerre civile libanaise (1975-1990). L’armée israélienne, cependant en 1982, après avoir envahi le Liban en profite pour ériger une clôture réhabilitant de manière fonctionnelle le cimetière. Trois ans plus tard, a eu lieu la dernière inhumation au cimetière. Ensuite, l’armée israélienne s’en est retirée. Le cimetière a de nouveau été laissé à l’abandon en proie aux herbes folles et à toutes sortes de négligences pour ne pas dire vandalisme. En 1992, lors des travaux de la première autoroute, plusieurs sépultures s’étaient déjà affaissées. Nombre d’entre elles en moins de 50 ans ont donc subi dégradations sur dégradations : ornements arrachés, pourtours en marbre dérobés, épitaphes rayées voire effacées,…
Selon Nagi George Zeidan, à Saïda, la présence juive remonterait à 47 avant JC et au XXème siècle, la plupart travaillaient dans le commerce et l’artisanat. Dans la ville même, la communauté comptait près de 1 100 personnes en 1956. Depuis 1985, plus aucune famille juive n’y habite. Au cœur de l’ancien quartier juif (Haret el-Yahoud), il y a encore des bâtiments portant les noms de familles juives comme Nigri, Hadid et Balanciano. La synagogue, construite en 1850, est aujourd’hui squattée et dans complètement délabrée. Elle aurait été construite sur les restes d’une synagogue bâtie en 833, elle-même se trouvant sur l’emplacement d’une plus ancienne synagogue contemporaine de la destruction du Second Temple.
Saïda a toujours été considérée comme faisant partie de la Terre Sainte par les juifs. Il existe d’ailleurs, à Sojod, dans les environs de Saïda, une tombe qui abriterait le corps du prophète Sophonie.
En 1860, des juifs de Deir el-Qamar et du Chouf sont arrivés en masse à Saïda après les massacres druzo-chrétiens. C’est à cette époque également qu’un nombre d’entre eux s’est établi à Tripoli et à Beyrouth, où des membres de la communauté vivaient déjà. La communauté juive de Saïda a longtemps été la plus importante des communautés juives de la côte libanaise. Selon le recensement effectué sur les habitants juifs de la région compilé par Sir Moses Montefiore, il y avait 150 familles à Saïda en 1839 et 171 en 1866. Vers la même période en 1849, Beyrouth compte 77 familles juives libanaises. Cependant, la communauté juive de Saïda commencera à décliner au début du 20ème siècle. Le port de Beyrouth se développant au détriment de celui de Saïda.
Aujourd’hui il ne reste que quelques dizaines de Juifs à Beyrouth et les seuls vestiges rappelant une présence juive dans la capitale libanaise sont la synagogue Maguen Abraham et le cimetière juif.