Volée dans les années 70 dans le nord de Chypre occupé par les Turcs, une mosaïque du VIe, représentant l’apôtre André, symbole « du patrimoine volé » de l’île, a été restituée à Chypre, lundi 23 avril 2018.
Après quatre décennies, c’est un morceau de l’héritage culturel et chrétien de Chypre qui retourne finalement à ses propriétaires d’origine. Une mosaïque byzantine représentant saint André barbu et grisonnant, avait – comme beaucoup d’autres – disparu des radars. Elle provenait d’une église qui avait été pillée dans le nord de Chypre au moment où les Turcs occupèrent en 1974 le nord de l’île qui fut alors divisée en deux parties, grecque et turque.
Initialement, elle fut placée dans l’abside de l’église de « Panagia (ndlr : mère de Dieu) Kanakarias » à Lytrangomi, située sur la péninsule de Karpass à l’est de Leonarisso et à une soixantaine de kilomètres du Cap Saint-André à l’extrémité nord-est de l’île de Chypre. La région fait spécialement mémoire de saint André qui, de retour de Palestine, s’y serait arrêté. Il aurait frappé un rocher d’où aurait jailli une source à l’origine de nombreux miracles et guérisons.
Aujourd’hui, la ville de Lytrangomi (Boltaşlı en turc), est de facto sous contrôle turc. La République turque de Chypre du Nord, auto-proclamée, est uniquement reconnue par Ankara. A la fin de 1976, tous les Chypriotes grecs de Lythrangomi ont quitté maisons et village et se sont installés dans le sud de Chypre qui se trouve aujourd’hui sous contrôle de la République de Chypre, membre de l’Union européenne. Le patrimoine religieux chrétien dans ce village comme dans la partie nord de l’île en a alors beaucoup souffert entre pillages, profanations et destructions…
Ainsi, la redécouverte de la mosaïque de saint André a de quoi réjouir les chrétiens de l’île. C’est le primat de l’Eglise grecque-orthodoxe de Chypre, qui porte le titre d’Archevêque de Nouvelle Justinienne et de tout Chypre, qui a annoncé la nouvelle de cette restitution. Dans un discours prononcé pour l’occasion, le 23 avril 2018, relayé sur le site officiel de son Eglise, Chrysostome II insiste sur le niveau artistique et la rareté d’une telle mosaïque. En effet, elle contient une forte valeur archéologique. Car, remontant aux années 525-550 ap. J.-C. selon l’Eglise de Chypre, elle fait partie des quelques mosaïques rescapées de la période iconoclaste de l’Empire byzantin des VIIIe et IXe siècles. Pendant une centaine d’années, les empereurs byzantins interdirent le culte des images et ordonnèrent la destruction systématique des représentations du Christ ou des saints quelles qu’elles furent : mosaïques, d’icônes ou d’enluminures de livres.
En 2014, l’experte en art Maria Paphiti, Chypriote grecque basée à Londres, a localisé la mosaïque de saint André après qu’un marchand d’art lui a demandé de vérifier l’origine de l’objet. Lorsque le marchand a été informé que la mosaïque appartenait à l’Eglise de Chypre, il a donné son accord – après de longues négociations – à sa restitution, sous réserve que ses dépenses soient couvertes.
Maria Paphiti a alors obtenu l’aide de deux hommes d’affaires chypriotes, Roys Poyiadjis et Andreas Pittas, qui ont pris en charge le coût du rapatriement de la mosaïque. A savoir 50 000 Euros.
L’archevêque Chrysostome II a voulu honorer, lundi 23 avril, les trois protagonistes de ce plan de sauvetage culturel, lors d’une cérémonie au palais archiépiscopal de Nicosie. Il leur a décerné la médaille de Saint-Paul, la plus haute récompense de l’Eglise de Chypre. Le président de la République de Chypre, Nikos Anastasiades, était présent.
Défense du patrimoine chrétien
Dans une courte allocution, Roys Poyiadjis, originaire de Famagouste (aujourd’hui, en partie turque) s’est dit heureux de participer à ce rapatriement : « je pense qu’il est de notre devoir national et de notre responsabilité de protéger nos objets culturels de toute tentative de remettre en question notre héritage, car je pense que nous en sommes les gardiens. »
Même son de cloche pour le chef de l’Eglise orthodoxe de Chypre qui voit dans cette mosaïque le symbole du « patrimoine volé » de Chypre. De fait, dès 2007, quelques mois après son intronisation, Chrysostome II avait demandé l’autorisation aux troupes d’occupation et à la communauté turque chypriote de pouvoir restaurer les églises orthodoxes au frais de son Eglise. « Nous voulons mettre fin à l’état de dégradation de nos églises, sensibiliser la communauté internationale, récupérer les œuvres d’art qui nous ont été volées et les rapporter ici (ndlr : Chypre sud) pour les restaurer et assurer leur conservation », avait-t-il déclaré. Les œuvres qui ont pu être sauvées, rapatriées sont aujourd’hui, pour beaucoup, exposées au Musée byzantin de la Fondation Makarios, à Nicosie. Et l’archevêque de la plus vieille église orthodoxe avait ajouté : « nous voulons que notre civilisation soit respectée. Pour notre part, si les Turcs estiment que certaines mosquées de chez nous sont en mauvais état, nous sommes prêts à les restaurer, mais je ne pense pas qu’il y en ait car elles sont toutes entretenues. »
Chrysostome II, en se rendant au Vatican en 2007, avait demandé l’appui du pape Benoît XVI. Un recensement à l’époque (confirmé en 2012), faisait état dans le nord de Chypre, occupée par les Turcs, de 520 édifices sacrés dans le nord de l’île (églises, chapelles, monastères). Parmi ces édifices, dont certains arméniens et maronites, 133 églises, chapelles et monastères ont été désacralisés et transformés en dépôts militaires, étables ou discothèques. 78 convertis en mosquées, 28 utilisés à des fins militaires ou aménagés en hôpitaux et 13 comme dépôts ou magasins. Environ 15 000 icônes ont été enlevées illégalement circulant sur le marché clandestin international de l’art.
En ce qui concerne l’église de Lytrangomi la plupart des mosaïques qui ont été pillées, ont pu être retrouvées et rapatriées entre 1983 et 2015. La dernière en date étant celle de saint André. Il ne manque plus que celle représentant saint Marc.