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L’art juif au Ve siècle, un style figuratif et prospère

Christophe Lafontaine
12 juillet 2018
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Des fouilles menées en Israël indiquent la richesse figurative que les villageois de Huqoq ont accordée au Ve siècle à leur synagogue. Un signe contredisant la théorie d’un déclin juif à cette époque.


Le Ve siècle, période d’expansion pour le christianisme, n’aurait pas nui à la richesse visuelle de l’art juif en Terre Sainte. Contrairement aux idées reçues. De fait, « les mosaïques qui décorent le sol de la synagogue de Huqoq révolutionnent notre compréhension du judaïsme à cette époque », a déclaré Jodi Magness, la directrice des fouilles sur le site de Huqoq en Galilée inférieure, et professeur à l’Université de Caroline du Nord-Chapel Hill. Alors que l’on pensait que l’art juif de l’époque évitait les sujets figuratifs.

Dernier exemple en date dans ce vieux village juif, une mosaïque qui  représente deux hommes portant un piquet chargé de raisins, vient d’être mise au jour par une équipe d’archéologues (spécialistes et étudiants) placée sous la conduite de Jodi Magness. La découverte de cette mosaïque est la dernière d’une longue série commencée en 2012 dans ce village cité deux fois dans la Bible. Dans le livre de Josué (19, 34) et dans le premier livre des Chroniques (6, 60).

Ces mosaïques remontant au Ve siècle sont bien conservées dans leur détail comme dans leur ampleur. Elles représentent notamment Samson (juge d’Israël) et les renards (Livre des Juges 15, 4), Samson portant la porte de Gaza sur ses épaules (Livre des Juges au chapitre 16), le déluge et l’arche de Noé, le passage de la mer Rouge durant lequel les soldats de Pharaon sont avalés par un gros poisson, similaire à celui ayant mangé Jonas dans une mosaïque déterrée l’été dernier. En même temps qu’une mosaïque illustrant la construction de la tour de Babel. Il s’agirait de la première représentation connue de l’histoire de Jonas trouvée dans une ancienne synagogue en Israël.

D’autres mosaïques aux thèmes profanes – saisons, putti (amours), arborent des inscriptions en hébreu, des figures humaines (l’une d’entre elles serait un portrait d’Alexandre le Grand), animales (notamment un éléphant, animal qui n’apparaît pas dans la Torah), ou mythologiques (le dieu du soleil Hélios est représenté dans un quadrige entouré des signes du zodiaque). Ces fouilles d’une très grande richesse sont sous la codirection de l’Autorité des antiquités israéliennes et de l’université de Tel Aviv.

Un communiqué publié le 9 juillet 2018 par l’Université de Caroline du Nord explique que « l’art juif ancien est souvent considéré comme aniconique ou dépourvu d’images, mais ces mosaïques, colorées et remplies de scènes figurées, témoignent d’une riche culture visuelle ainsi que du dynamisme et de la diversité du judaïsme à la fin de l’époque romaine et byzantine. » Ces découvertes de pièces colorées, variées, de grande taille, indiquent que les villageois ont minutieusement décoré leur synagogue. Signe de prospérité sous la période d’effervescence chrétienne en Terre Sainte au début du Vème siècle, contredisant une opinion largement répandue selon laquelle la culture juive dans la région aurait décliné pendant cette période.

Prospérité ou revendication ?

Selon Jodi Magness, qui a été interviewée par le Times of Israel, « les sources rabbiniques indiquent que Huqoq a prospéré pendant les périodes tardives romaines et byzantines (IVe-Ve siècles). » Soulignant de plus que ce village du nord d’Israël est mentionné dans le Talmud de Jérusalem (IIe-Ve siècles après J.-C.) dans le cadre de la culture du moutardier.

Il est aussi possible, comme l’a confié Jodi Magness à Live Science, que les mosaïques aient également servi de tactique politique. « Les juifs et les chrétiens revendiquaient le même héritage, prétendant tous deux être le vrai Israël [à cette époque] », a déclaré Jodi Magness. « Une façon de prétendre à cet héritage est de décorer votre édifice religieux avec des scènes comme celles-ci. »

La mosaïque récemment découverte qui montre deux porteurs de raisins fait partie, a déclaré Jodi Magness dans le communiqué officiel de son université, « de la collection de mosaïques la plus riche et la plus diversifiée jamais trouvée dans une ancienne synagogue. » Pour la petite histoire, le ministère du Tourisme d’Israël utilise cette même représentation pour son logo.

Cette mosaïque se trouve le long de l’aile nord de l’édifice religieux de Huqoq et fait partie d’une série divisée en deux rangées de panneaux illustrés et portant des inscriptions en hébreu.

Les deux porteurs de raisins représentent deux des douze éclaireurs envoyés par Moïse pour explorer la Terre Promise. Faisant directement référence au passage du Livre des Nombres (13, 20-23) où Moïse veut savoir si beaucoup de gens vivent à Canaan, si le sol y est fertile et si le fruit a du goût.

«  Rassemblez vos forces et prenez les fruits du pays », aurait-il dit. « Or c’était le moment des premiers raisins », poursuit le livre. Puis, deux versets plus loin, il est dit que les explorateurs « allèrent jusqu’à la vallée d’Eshkol où ils coupèrent un sarment et une grappe de raisin. Ils la portaient à deux au moyen d’une perche. Ils avaient aussi cueilli des grenades et des figues. » Outre, ce panneau de tesselles, une autre mosaïque évoque un passage du Livre d’Isaïe au chapitre 11, verset 6, représentant un jeune homme conduisant un animal avec une corde. Une inscription accompagne la scène « un petit enfant les conduira ». Elle conclut la séquence suivante du livre biblique précité : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble. »

Enfin, un morceau de phrase en hébreu se terminant par l’expression « Amen selah », qui signifie « Amen pour toujours », a été découverte à l’extrémité nord de l’aile est de la synagogue.

Autre trouvaille significative, les chercheurs ont découvert dans la synagogue des colonnes recouvertes de plâtre coloré et peint, intactes avec des motifs végétaux rouges, oranges et jaunes datant de la même époque. Ce qui est franchement rare.

Pour l’heure, les mosaïques ont été retirées du site pour conservation et les zones excavées ont été remblayées. Les fouilles devraient se poursuivre à l’été 2019. Cela promet.

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