Menacée de boycott, l’Eurovision 2019 est prévue en Israël. A Tel Aviv la capitale laïque ? Ou à Jérusalem la pieuse ? That’s the question. Plongée au cœur d’un psychodrame politico-religieux.
Ce n’est pas parce que Netta Barzilai (25 ans), sacrée gagnante de l’Eurovision 2018 a rencontré la semaine dernière le Prince William à Tel Aviv, que pour autant l’édition 2019 du célèbre concours de la chanson sera servie sur un plateau d’argent. Disons que l’organisation en Israël de cette grand-messe de la chanson semble plus se prendre les pieds dans le tapis qu’autre chose. Les raisons sont multiples et variées et portent un accent de drame où Israël est à la fois le protagoniste et son propre Shakespeare.
D’abord, vient la question du lieu. Puisque le 12 mai dernier, la « diva » israélienne a remporté à Lisbonne le 63e Concours Eurovision de la chanson pour le compte de son pays, avec une chanson appelée « Toy », au ton complètement déjanté – la chanteuse Netta imitant des cris de poule – Israël a été désigné prioritairement comme l’hôte organisateur de la prochaine édition du concours. Ce qui a été confirmé le 21 juin 2018, par l’Union Européenne de Radio-Télévision (UER) qui chapeaute la compétition annuelle. Jusque-là, rien d’anormal.
La ville hôte sera connue en septembre 2018
Reste à savoir quand et dans quelle ville aura lieu la compétition. « La ville hôte doit être annoncée ainsi que les dates officielles des deux demi-finales et de la grande finale au mois de septembre », précise un communiqué de l’UER. Cela dit, les paris ont commencé à peine quelques minutes après la victoire de Netta. Elle-même avait immédiatement déclaré au public : « J’aime mon pays Israël, rendez-vous l’année prochaine à Jérusalem. » Et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, après l’avoir félicitée, lui avait très vite emboîté le pas.
C’est la quatrième fois qu’Israël, qui fut le premier pays situé en dehors du continent européen à participer au concours, s’empare de la victoire à l’Eurovision après celles de 1978, 1979 et 1998. Le concours avait alors eu lieu deux fois à Jérusalem – et non pas à Tel-Aviv, la capitale de l’Etat hébreu – une première fois en 1979, une seconde fois en 1999.
En soi, rien n’empêche ni oblige Jérusalem d’accueillir l’Eurovision – puisque le concours ne se déroule pas forcément dans les capitales, reconnues ou non. Mais suite à la reconnaissance unilatérale de Jérusalem comme capitale d’Israël par les Etats-Unis, le choix de Jérusalem provoquerait inéluctablement un regain de tensions autour du statut de la ville sainte. D’autant que légitimement, l’une des principales vocations de ce genre d’événements est de promouvoir l’image du pays. Or, aisément, on peut imaginer une instrumentalisation politique de la manifestation – et donc de fortes réactions – en clamant que Jérusalem est la capitale d’Israël. Alors que la ville n’est pas reconnue comme telle par la communauté internationale.
Après plusieurs déclarations des ministres de Benjamin Netanyahu en faveur de Jérusalem, le premier ministre israélien a finalement décidé que son gouvernement n’interférerait pas dans le processus de sélection de la ville organisatrice de l’Eurovision 2019 en Israël. Obéissant ainsi aux consignes de l’Union Européenne de Radio-Télévision de ne pas politiser l’événement. Pour l’heure, depuis le 24 juin, quatre villes sont en lice pour accueillir le concours : Tel Aviv, Haïfa, Eilat, et Jérusalem. Selon le journal Haaretz, les responsables de l’UER ne sont pas fondamentalement opposés à la tenue du Concours à Jérusalem. Mais ils souhaitent qu’un processus de sélection honnête et transparent soit suivi.
Risque de boycott
Les Européens auraient cependant dit aux Israéliens, d’après le Times of Israel, que leur objectif est « d’éviter que des pays boycottent le lieu [choisi]. » « Si des pays refusent de participer, l’édition 2019 n’aura pas lieu à Jérusalem », citait mi-juin de son côté le média israélien Maariv. Car on se souvient qu’à peine la victoire d’Israël actée, des appels à boycotter la 64e édition de l’Eurovision en Israël, ont été lancés. Une pétition populaire partie d’Islande et rassemblant à ce jour plus 26 000 signatures dénonce notamment les « violations des Droits de l’Homme commises par Israël contre le peuple palestinien. » Pour mémoire, le 12 mai Netta gagnait le concours de l’Eurovision. Deux jours plus tard, le 14 mai, l’ambassade des Etats-Unis en Israël était transférée de Tel Aviv à Jérusalem. Au même moment plus de 60 Palestiniens étaient tués sur la frontière entre Israël et Gaza. D’où la réaction de l’Islande. Puis, « des appels similaires sont venus du Royaume-Uni, de Suède, de Malte, d’Australie et de l’Etat espagnol » indique le site du BDS, un mouvement de boycott d’Israël connu sous l’acronyme BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). Pour les mêmes raisons, deux eurodéputés irlandais ont manifesté leur soutien à ce mouvement. De fait, l’Etat hébreu est en butte à une campagne globale de boycott économique, culturel et scientifique contre l’occupation des Territoires palestiniens. Et le combat se poursuit de plus belle. « La campagne #BoycottEurovision2019 continue d’aller de l’avant à travers l’Europe, avec le soutien de personnalités publiques et d’artistes de premier plan en Irlande, en Islande et ailleurs. Nous demandons aux membres de l’Union européenne de radio-télévision (EBU) d’écouter les exigences de ce mouvement grandissant de boycott et de déplacer le concours hors d’Israël », annonce un communiqué du BDS en date du 27 juin signé sur son site officiel.
Ne pas violer le shabbat
Si le terrain géopolitique est menaçant, celui de la religion n’est pas moins glissant. Quand la ville de Jérusalem avait organisé le concours en 1979, des juifs orthodoxes avaient dénoncé le fait que l’événement se tenait un samedi, jour de shabbat. Même chose en 1999. Le débat fit rage autour de la présence de Dana International (alias Sharon Cohen), une chanteuse transsexuelle, gagnante de l’Eurovision 1998 au nom de l’Etat hébreu… No comment. Pour l’an prochain, une bronca se fait déjà entendre. Le grand-rabbin ashkénaze de Jérusalem, Aryeh Stern, comme le ministre de la Santé, l’ultra-othodoxe Yaakov Litzman du parti YaHadout HaTorah (Judaïsme unifié de la Torah) ont poussé l’Etat à empêcher que l’on « viole » le jour du shabbat. Si la finale de l’Eurovision se tient généralement un samedi soir, c’est-à-dire peu de temps après la fin du jour de repos pour les Juifs, on devine que les préparatifs et répétitions du spectacle puissent avoir lieu, la veille et le jour J. Pendant le shabbat. Sous cet angle, Tel Aviv la laïque ou la station balnéaire d’Eilat paraissent plus appropriées que la ville sainte.
Dernier rebondissement : un plagiat !
Cerise sur un gâteau qui risque à force de devenir indigeste, la chanson « Toy », avec laquelle Netta Barzilai a décroché la première place à l’Eurovision, est soupçonnée d’être un plagiat. La nouvelle est toute fraîche. Or, le règlement du concours stipule formellement que les chansons présentées doivent toutes être originales. Selon la presse israélienne, Doron Medalie et Stav Beger, co-auteurs de la chanson lauréate ont reçu il y a deux semaines une lettre des studios d’Universal Music évoquant une violation de copyright. La chanson aurait partiellement copié le tube Seven Nation Army (2003), des White Stripes. Selon Ynet, cela concernerait les harmonies et le rythme. Si le plagiat est confirmé, la chanteuse pourrait être disqualifiée et Israël pourrait finalement ne pas recevoir la compétition l’année prochaine, a rapporté la chaîne de télévision Hadashot. Autrement dit, l’Eurovision 2019 en Israël, sera ou ne sera pas. Du Hamlet à la sauce israélienne.