À la lumière chatoyante des vitraux de Chagall, les pèlerins peuvent prendre le temps de redécouvrir les 12 tribus d’Israël.
Quand l’art moderne se nourrit de la tradition et des symboles pour une plongée dans l’histoire biblique.
L’hôpital Hadassah d’Ein Karem est le petit frère de celui éponyme situé sur le mont Scopus à Jérusalem et bâti en 1939. La guerre de 1948 incita les Israéliens à construire un hôpital éloigné de la ligne de démarcation, donc beaucoup plus à l’ouest de la ville.
Sur les collines boisées d’Ein Karem on construisit donc dans les années 1960 un nouvel hôpital et sa synagogue. À cette dernière la présidente du centre médical Hadassah, le Dr Miriam Freund, voulut donner un relief particulier en la dotant de vitraux. Qui mieux que Marc Chagall pour ce projet, rêva-t-elle. Aussi se rendit-elle à Paris pour le convaincre : “Maintenant, le peuple juif vient à vous, c’est votre chance de créer quelque chose qui perdurera à travers les âges.” Chagall se sentit honoré et accepta l’invitation qui lui permettait de retrouver ses propres racines.
Invitation à la prière
L’artiste russe, proche du hassidisme, ne pouvait pas ignorer la tradition biblique selon laquelle le peuple hébreu était structuré, depuis la sortie d’Egypte, en une confédération de 12 tribus établies d’après la descendance des 12 fils de Jacob, ce même Jacob qui fut nommé Israël après avoir lutté avec un ange (Gn 32, 23-33). 12 vitraux entendaient évoquer ces 12 patriarches sur la foi desquels repose le judaïsme.
L’artiste avait durant des décennies illustré la vie juive, son esprit et ses coutumes, réalisant de nombreuses peintures et vitraux. Son art n’avait rien des mesures de la forme grecque : d’une sorte de chaos fluide parcouru par l’âme naissaient des signes et des symboles. C’était la poésie de la Bible que Chagall voulait écouter et transmettre. Comme les vieux maîtres l’artiste savait que le sujet du vitrail résidait dans le jeu entre verres et lumière. Il fallait émouvoir pour dépasser le jeu pour lui-même et le risque de s’enfermer dans la stérilité décorative. Le vitrail devait faire ressortir le besoin de prier, l’œil faisant place au cœur comme organe de la perception. Il devait rappeler le premier ordre que Dieu donna lorsqu’il créa le cosmos : “Que la lumière soit” Gn 1, 3. Tout vitrail devrait être plus allusif que figuratif.
Chagall avait déjà conçu des vitraux avec d’autres maîtres verriers, en 1957 pour l’église du plateau d’Assy et en 1958 pour la cathédrale de Metz. Jérusalem attendait quelque chose d’original du maître juif. Il fallait enluminer le livre qui l’avait illuminé. Au pays de la Bible seul un sujet biblique convenait. Chagall se laissa inspirer par les prophéties de Jacob à ses fils (Gn 49) et les ultimes bénédictions de Moïse (Dt 33). “Le vitrail, ça a l’air tout simple : la matière, la lumière. Pour une cathédrale ou une synagogue c’est le même phénomène : une chose mystique qui passe par une fenêtre” répétait le maître.
Les 12 fenêtres de la synagogue étaient orientées par 3 sur les 4 points cardinaux. Nb 9, 15-16 affirme que le jour où l’on dressa la Demeure, la nuée la couvrit et la nuit elle prenait l’aspect du feu. La Demeure c’était la synagogue et la nuée qui la couronnait c’était l’anneau céleste où le soleil pérégrinait. Céleste couronne, les 12 vitraux que Chagall élevait dans le ciel de Judée afin que le soleil les tire chaque matin de la nuit et les bénisse de ses rayons, renouvelant le geste de Jacob, le père des 12 tribus, tel était le projet.
La synagogue est l’image du cosmos sur la terre où Dieu vit en tant que source de lumière. En Israël Chagall devait cependant relever plusieurs défis : la monumentalité des vitraux (3,4 m de haut sur 2,5 m de large) disposés en couronne, et l’interdiction de représenter la figure humaine.
Une forêt de symboles
Après un combat initiatique avec un ange Jacob fut nommé Israël : “Car tu as lutté avec le divin et l’humain, et tu as vaincu.” (Gn 32, 29)
Plus tard, sur le point de mourir, Moïse convoqua les fils d’Israël pour leur révéler leur avenir, et à travers eux celui de la nation tout entière. Les bénédictions de Jacob et de Moïse devaient se transmettre de génération en génération. Les 12 fils du patriarche devinrent ainsi les représentants éponymes des 12 tribus et le légendaire point de départ d’un processus qui devait aboutir, un jour, à la création de l’État d’Israël.
L’homme se devinait à travers les symboles du bestiaire biblique, lion, taureau, loup, âne, serpent, biche, qualifiant le caractère des enfants d’Israël. Les poissons, la mer, les cieux, le soleil, la lune, les collines et les tentes évoquent la vision de Moïse. Partout des prunelles grandes ouvertes expriment le pouvoir essentiel du regard.
Chagall n’avait pas oublié les puissants symboles fondateurs de la Bible : l’étoile, la corne de bélier (shofar), le chandelier à 7 branches (menorah). Dans le vitrail de Siméon, il reprend aussi la thématique des oiseaux qui s’éloignent et se dispersent, récurrente dans l’imagerie et le folklore yiddish. Et en tant qu’artiste il exploita admirablement la symbolique des couleurs.
Méditant sur les 12 fils de Jacob il écrivait : “Quand tous ces vitraux seront ensemble ce sera comme une couronne. Chaque couleur doit encourager les fidèles à prier ; tout le temps que je travaillais, j’ai senti ma mère et mon père regarder par-dessus mon épaule ; et derrière eux étaient présents les juifs, les millions d’autres juifs, disparus d’hier et d’un millier d’années.”
Lire aussi >> Quand le divin reflète l’humanité
Dans les Évangiles Jésus promet aux 12 apôtres qu’ils siégeront sur 12 trônes pour juger les 12 tribus d’Israël (Mt 19, 28 et Lc 22, 30). Pour les visiteurs chrétiens, les vitraux de Chagall ont une dimension eschatologique et évoquent le jugement final qui marquera la réconciliation d’Israël et des Gentils. Le nombre des sauvés selon l’Apocalypse sera de 144 000 (Ap 7, 4).
Ce chiffre est la résultante de 12 x 12 x 1000, les 12 tribus d’Israël, les 12 apôtres et la multitude. Promesse de salut universel.
S’il est vrai que l’œuvre de Chagall est un livre d’images, ses images sont héritées du monde biblique. L’artiste a inventé un peuple innocent de l’Écriture : les fils de Jacob sont encore vivants et ont un message à transmettre au monde globalisé. C’est dans le vitrail, matière transfigurée par la lumière, que l’artiste a marqué son originalité.♦
Hadassah l’autre nom d’Esther
Au début du Livre d’Esther on apprend que son nom de naissance est Hadassah (Est 2, 7) et qu’elle est la fille d’Abihayl (Est 2, 15) de la tribu de Benjamin. Orpheline de père et de mère, Hadassah fut adoptée par son oncle Mardochée puis devint la femme du roi perse Assuérus. Elle intervint auprès de son roi de mari pour faire annuler le décret du ministre Haman qui statuait sur l’élimination des juifs.
Horaires de visite
La synagogue de l’hôpital Hadassah est ouverte au public de 8 h 30 à 15 h 30 du dimanche au jeudi. Elle est fermée les vendredis et samedis.
Quand une cérémonie est organisée elle peut toutefois être inaccessible.
Le prix d’entrée est de 15 shekels / adulte (réduction pour les groupes).
nb : les cartes de crédits ne sont pas acceptées.
Dernière mise à jour: 14/02/2024 13:50
📺 Le monde en prière pour la paix !
Rosh Hashana : ce soir les Juifs célèbreront l’année 5784 !
