Fin octobre, les Hiérosolymitains seront appelés aux urnes pour renouveler les instances dirigeantes de la ville. Du fait de la position particulière de Jérusalem dans le conflit israélo-palestinien et son statut original aux yeux du droit international, ces élections seront particulièrement suivies en Israël et dans le monde entier.
Jérusalem, ses lieux saints, ses murailles et ses nombreux pèlerins. Tout cela est bien connu de qui a déjà arpenté les rues de la ville éternelle. Jérusalem est aussi une ville moderne et dynamique qui ne compte pas moins de 882 000 habitants (2016) selon le Bureau central des statistiques israélien. A sa tête, un Conseil municipal dirigé par un puissant maire assure le bon fonctionnement de la cité.
En 1947, la résolution 181 du Conseil de Sécurité de l’ONU prévoyait la création de deux États en Palestine. Jérusalem Est et Ouest devait être un corpus separatum, une enclave en dehors de tout État, géré par la communauté internationale. Dès 1948 pourtant, le rejet de ce plan de partage par les arabes de Palestine et les État arabes voisins provoqua une première guerre. Elle se solda par une victoire jordanienne. Jérusalem fut alors coupée en deux. Jérusalem-Ouest passa sous domination israélienne. Jérusalem-Est, dont la Vieille ville, fut annexée par la Jordanie, tout comme la Cisjordanie. Entre Israël et la Jordanie, la frontière prit le titre de “ligne verte”. Pendant une vingtaine d’années, deux maires et deux Conseils municipaux administrèrent ainsi la ville sainte.
Cette situation prit fin en 1967 quand Israël conquit la partie est de Jérusalem. L’État hébreu décréta unilatéralement que Jérusalem était réunifiée : la municipalité jordanienne fut dissoute. L’ensemble de la ville passa alors de fait sous la seule administration du Conseil municipal israélien. Si Israël légiféra en 1980 pour faire de Jérusalem sa capitale une et indivisible (loi fondamentale du 30/07/1980), le Conseil de Sécurité de l’ONU condamna cette décision comme “une violation du droit international”, affirmant “la nécessité impérieuse de mettre fin à l’occupation […] y compris [de] Jérusalem” (résolutions 476 et 481). Pourtant, aujourd’hui encore, la ville de Jérusalem est administrée par une seule municipalité et un seul maire.
Qui sont les électeurs ?
La “réunification” de Jérusalem sous contrôle israélien n’a pas figé les frontières de la ville.
En 1967, la municipalité israélienne, Jérusalem-Ouest, représentait 38 km². La municipalité jordanienne, qui incluait la Vieille ville, elle, ne représentait que 6 km², soit à peine 7 fois la surface de la Vieille ville intra-muros. Au lendemain de la guerre de Six-Jours, à la mi-juin 1967, la municipalité qui passa sous administration israélienne faisait donc 44 km². Dès le 26 juin le Conseil des ministres israélien décida d’étendre la surface de la municipalité à l’est de la ligne verte pour en porter la surface à 108 km². Finalement, après une nouvelle extension à l’ouest de cette ligne, la municipalité couvre aujourd’hui
126 km². Soit près de 3 fois la surface de la municipalité avant 1967. Pour autant, tous les habitants de cet espace ne sont pas électeurs. Jérusalem en 2016, selon le Jerusalem Institute for Policy Research (Institut de recherche politique de Jérusalem) comptait 874 000 habitants. Aux élections municipales, sont électeurs les résidents de plus de 17 ans. Ainsi, en 2013, lors des dernières échéances, ils étaient environ 576 000 à avoir le droit de s’exprimer. Les citoyens israéliens, quelle que soit leur origine (juive ou arabe), n’ont pas besoin de justifier que Jérusalem est leur “lieu de vie principal” pour être inscrits sur les listes électorales de la ville.
Les Hiérosolymitains arabes n’ayant pas la nationalité israélienne font aussi partie du corps électoral. Plusieurs organisations dénoncent néanmoins la différence de traitement dont ils sont victimes. Les Palestiniens de Jérusalem-Est disposent d’un statut de résidents permanents. Statut qui leur permet de voter aux élections municipales, mais pas aux élections nationales où la nationalité israélienne est requise. Ils doivent donc prouver auprès des autorités, si la demande leur en est faite, que leur logement hiérosolymitain est bien leur “lieu de vie principal”. L’association Human Rights Watch (Observatoire des droits de l’Homme) a ainsi recensé plusieurs cas de jeunes Palestiniens ayant perdu ce statut de résident après avoir fait des études à l’étranger. Ont aussi été relevés plusieurs cas de familles entières de Palestiniens condamnées, à titre préventif, au retrait de leur statut de résident après qu’un de leur membre a été suspecté d’avoir commis une agression contre des Israéliens.
Or, souligne l’association, cela contrevient aux dispositions du droit international. La Quatrième Convention de Genève prévoit qu’en territoire occupé nul ne peut être déplacé “dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre État”, si ce n’est temporairement “si la sécurité de la population ou d’impérieuses raisons militaires l’exigent”. Jérusalem étant en vertu du droit international un corpus separatum, la Cisjordanie où sont contraints d’émigrer les Palestiniens qui se voient retiré leur statut de résident est considérée comme un autre État. En vertu de cette convention internationale, le retrait du statut de résident est donc illégal. S’appuyant sur des chiffres du Ministère de l’Intérieur, Human Rights Watch a comptabilisé entre 1967 et fin 2016, 14 595 Palestiniens déchus de leur statut de résident.
En 2013, lors des dernières élections municipales, seuls 36 % des inscrits à Jérusalem se déplacèrent. Pour comparaison, aux élections municipales de 2014 à Marseille, où le nombre d’habitants (env. 860 000) et le nombre d’inscrits (env. 491 000) sont comparables à ceux de Jérusalem, la participation fut de 53,5 % au premier tour. Un tel taux d’abstention s’explique tout d’abord par le boycott des élections par les Palestiniens depuis 1967. Ils furent moins de 1 % à voter aux dernières élections, alors qu’ils représentaient près de 40 % du corps électoral. Une situation qui pourrait bien changer cette année. Ce fort taux d’abstention aux élections municipales semble aussi s’expliquer par un désintérêt pour la politique locale, et une défiance généralisée vis-à-vis du personnel politique. Enfin le taux de participation aux dernières élections de Jérusalem est à relativiser puisqu’au niveau national, seuls 43 % des électeurs s’étaient déplacés.
Quels enjeux ?
Dans la séparation des pouvoirs verticale israélienne, la municipalité est en charge des besoins quotidiens de sa population. En termes d’infrastructures elle gère principalement la distribution de l’eau courante, la collecte des ordures, les égouts ou encore les infrastructures routières. Elle a aussi une mission de promotion et de soutien des activités culturelles et sportives. Enfin, la municipalité a une mission d’assistance publique envers les plus faibles et les indigents. Pour mener à bien ces missions, elle dispose d’un budget qu’elle prépare et vote mais qui doit être approuvé par le ministère de l’Intérieur. Outre les revenus issus des impôts fonciers et du paiement de certains services, la municipalité est habilitée à lever des taxes locales. Le reste de ses revenus provient de dotations de l’État. Les principaux enjeux de l’élection ne sont donc probablement pas là.
Le premier enjeu est le changement de maire, dans cette ville qu’Israël revendique comme sa capitale et vers qui de nombreux gouvernants et croyants ont le regard tourné. Le maire sortant, Nir Barkat, renonce à sa charge après 10 ans. Candidat pour la première fois en 2003 à la tête de la ville sainte après une carrière d’homme d’affaires dans le secteur informatique, il est élu en 2008 et réélu en 2013 comme candidat sans étiquette. En mars 2018, il a annoncé ne pas concourir aux élections à venir, préparant les prochaines élections nationales pour le Likoud, parti de droite. Qui pour le remplacer ? A la mi-août, les candidatures ne sont pas closes. Elles devraient l’être début septembre. Les sept candidats déjà en lice ne s’en activent pas moins pour faire parler d’eux.
Le second enjeu est la participation, ou non, des Palestiniens de Jérusalem-Est. Une étude de l’Université hébraïque de Jérusalem, réalisée auprès de 612 Hiérosolymitains palestiniens en janvier, montre que nombre d’entre eux souhaitent en finir avec le boycott des élections. Alors que seuls 13 % des sondés s’opposent ouvertement à une participation aux prochaines élections, 58 % affirment le contraire. Et ce, bien qu’ils restent quasi unanimement (97 %) opposés à l’annexion de Jérusalem-Est par Israël. Dans cette perspective, 2018 marquera peut-être aussi l’entrée de Palestiniens au Conseil municipal. Pour la première fois depuis 1967 une liste rassemble Israéliens et Palestiniens, à parité, sous le nom Yerushalayim – Al Quds, les noms juif et arabe de la ville accolés. Elle est menée par Aziz Abu Sarah, un entrepreneur et activiste palestinien, et Gershon Baskin, un activiste israélien. Ce dernier écrivit dans le Jerusalem Post en janvier 2018 : “Jérusalem est comme une mosaïque avec de nombreuses pièces qui, une fois posées, donnent une image exceptionnelle. Quand un morceau de la mosaïque manque, l’intégralité est détruite et l’accent est mis sur ce qui manque.” Face à ce constat, cette liste défend notamment l’égalité de traitement des quartiers de Jérusalem-Est par rapport aux quartiers israéliens. Reste à savoir si le pari de ces candidats saura créer un élan d’un bout à l’autre de la mosaïque Jérusalem…♦
La procédure de vote
Les élections municipales en Israël sont une double élection. Le maire est élu indépendamment du Conseil municipal. Le 30 octobre 2018, les votants auront 2 bulletins à glisser dans l’urne : un bulletin uninominal, de couleur jaune, pour élire le premier édile et un bulletin-liste, de couleur blanche, pour déterminer la composition du Conseil municipal.
Pour être élu au premier tour, un candidat au poste de maire doit récolter au moins 40 % des voix.
Sinon, un second tour est organisé entre les 2 candidats arrivés en tête. Les sièges au Conseil municipal sont distribués à la proportionnelle.
Le changement, ce n’est pas gagné
Informations de dernière minute au moment de mettre en page.
– Sur sa page Facebook, Gershon Baskin a annoncé que la liste Yerushalayim – Al Quds renonçait pour ce scrutin mais espère pouvoir se présenter dans 5 ans. “Le fossé pour passer de 50 ans d’abstention palestinienne à une liste mixte est trop large à franchir”, a-t-il déclaré. Il annonce qu’une liste palestinienne unique devrait voir le jour.
– L’OLP, Organisation de Libération de la Palestine, a fait part cette année encore de son opposition à ce que les Palestiniens de Jérusalem prennent part au vote.
– Le Haut Conseil de l’Ifta, autorité religieuse musulmane basée à Jérusalem, a émis une fatwa (décret religieux) interdisant aux musulmans de participer aux élections municipales de la ville sainte. En votant, les 300 000 Palestiniens habitant Jérusalem reconnaîtraient “la souveraineté qu’Israël tente d’imposer à leur ville occupée”, a indiqué l’autorité religieuse musulmane.
– Un sondage réalisé par l’Université hébraïque révèle que 58 % des Palestiniens de Jérusalem sont favorables à la participation au scrutin, contre 14 % contre et 28 % s’abstenant.
– Considérant le faible nombre de votants en 2013, la municipalité de Jérusalem n’ouvrira que 6 bureaux de vote dans les quartiers est de la ville où résident 360 000 Palestiniens, contre 187 à l’ouest pour 550 000 résidents.
Dernière mise à jour: 14/02/2024 13:10