Lara Alqasem, étudiante américaine, conteste le refus d’Israël de la laisser entrer dans le pays pour avoir soutenu le mouvement de boycott d'Israël. L’affaire met en lumière une loi controversée de 2017.
En poche, un visa étudiant valable, obtenu auprès du consulat israélien de Miami (Floride). En tête, un projet d’études à l’Université hébraïque de Jérusalem pour suivre un master en droits de l’Homme. Mais en pratique, Lara Alqasem âgée de 22 ans, s’est vue recalée à l’entrée d’Israël, le 2 octobre dernier. L’étudiante américaine est depuis retenue au centre d’immigration de l’aéroport international Ben Gurion. Même si elle est libre de rentrer chez elle, selon la porte-parole de l’Autorité de l’immigration.
Que lui reprochent les autorités israéliennes ? Son activisme propalestinien. Selon Haaretz, son nom est mentionné dans un dossier du ministère des Affaires stratégiques. Des preuves montrent son soutien au mouvement de boycott de l’Etat hébreu connu sous l’acronyme BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). Le mouvement est jugé antisémite par Israël. Pour rappel, cette campagne mondiale appelle depuis une dizaine d’années au boycottage économique, culturel ou scientifique d’Israël jusqu’à la fin de l’occupation des Territoires palestiniens. Selon le même quotidien israélien, qui dit avoir consulté le fichier sur les activités de l’étudiante, des informations montrent que Lara Alqasem a présidé au cours de ses études en Floride une branche de Students for Justice in Palestine, menant des campagnes de boycott d’Israël.
La décision des autorités israéliennes trouve son origine dans une loi israélienne qui fait polémique, adoptée à la Knesset (le parlement israélien) au printemps 2017. Le texte stipulant de bloquer l’entrée en Israël à tout ressortissant étranger « émettant en toute connaissance de cause un appel public au boycott d’Israël ». Parallèlement, le gouvernement israélien a aussi publié en janvier 2018 une liste d’une vingtaine d’organisations dont les membres sont interdits d’entrée sur le territoire. Le ministre des Affaires stratégiques, Gilad Erdan défend la loi en invoquant le droit d’Israël de se protéger et de décider qui il accepte sur son territoire.
Si Lara Alqasem, dont les grands-parents sont Palestiniens, ne conteste pas le fait d’avoir en effet milité dans le passé en faveur du boycott d’Israël, l’étudiante a assuré avoir pris ses distances avec le mouvement depuis 2017. Selon l’AFP, cependant, « l’Etat dit avoir des éléments attestant que, cette année encore, elle menait des activités pour le compte du BDS. » Puisque la jeune femme a décidé de comparaître devant un tribunal de Tel-Aviv pour contester la décision des autorités israéliennes, c’est la justice qui tranchera si Lara Alqasem sera renvoyée aux Etats-Unis ou non. Suite à l’audience qui s’est tenue le jeudi 11 octobre, le verdict est attendu sans qu’il n’y ait eu de date indiquée.
Mardi, le ministre des Affaires stratégiques, avait déclaré à la radio de l’armée que « si Lara Alqasem déclare de sa propre voix, et non par toutes sortes de contorsions de la part des avocats, qu’elle ne croit plus qu’il est légitime de soutenir le BDS et qu’elle regrette ses agissements passés, nous réévaluerons certainement notre position ». Selon l’AFP, l’un des avocats de l’étudiante a rétorqué que « ce qui importe pour Lara, ce n’est pas qu’on lui demande de déclarer le BDS illégitime, même si elle ne soutient pas le BDS ; c’est qu’on ne devrait pas lui demander de le déclarer illégitime ». En somme, une question de liberté d’expression.
Un incident qui n’est pas isolé
« Jusqu’à présent, 15 personnes ont été bloquées » en vertu de la loi de 2017, selon le ministère des Affaires stratégiques, a rapporté le Times of Israel, il y a deux jours. L’incident lié à l’étudiante américaine de 22 ans n’est donc pas isolé. Pour mémoire, en novembre 2017, sept élus français, comptaient se rendre en Israël et en Cisjordanie afin d’« alerter sur la situation des près de 6 000 prisonniers politiques palestiniens. » La délégation entendait notamment rencontrer Marwan Barghouthi, haut cadre du Fatah emprisonné depuis plus de quinze ans par Israël qui le considère comme terroriste.
Avant que la loi ne passe, en décembre 2016, la secrétaire générale adjointe du Conseil œcuménique des Eglises (COE), Isabel Apawo Phiri, avait été refoulée d’Israël au prétexte d’« un positionnement jugé anti-israélien, voire proche du mouvement BDS » avait écrit La Croix. Selon la presse internationale, il se serait agi alors du premier refus d’entrée dans l’Etat hébreu d’une personnalité étrangère pour ce motif, avait rappelé le Guardian. La théologienne protestante devait participer à une rencontre de responsables ecclésiaux sur le Programme d’accompagnement œcuménique en Palestine et en Israël (EAPPI). EAPPI est un programme du COE, lancé en 2002 avec « pour objectif d’assurer une présence internationale auprès des populations vulnérables en Cisjordanie occupée. »
Mauvaise image versus liberté d’expression
Lara Alqasem est soutenue par Tamar Zandberg, la nouvelle présidente du parti de gauche Meretz. Et des députés de l’opposition lui ont rendu visite. Autres soutiens : l’Association des présidents d’universités israéliennes et l’Université hébraïque. Cette dernière, selon le Times of israel a même demandé à être incluse dans la plainte déposée par l’étudiante à la cour de district de Tel Aviv. Le président de l’institution universitaire, Asher Cohen, a estimé au micro de la radio militaire israélienne que le fait qu’Alqasem ait voulu étudier dans son établissement était la preuve qu’elle ne soutenait pas le boycott. Il a ajouté que l’attention portée à son dossier pouvait finalement faire le jeu du BDS et donner une mauvaise image d’Israël.
Aux Etats-Unis une tribune a par été signée par 300 universitaires et publié par le Guardian pour dénoncer une atteinte à la liberté d’étudier et à la liberté académique. Les Etats-Unis ont dit soutenir cette étudiante, réitérant son droit à la liberté d’expression. « En règle générale, nous valorisons la liberté d’expression même dans les cas où nous ne partageons pas les opinions politiques exprimées et c’est le cas », a déclaré à la presse Robert Palladino, porte-parole du département d’Etat américain.