Une mosaïque byzantine, représentant l’apôtre Marc, dérobée dans une église de Chypre après l’invasion turque en 1974 a été retrouvée. Le 19 novembre, l’Eglise orthodoxe de l'île a pu de nouveau la contempler.
En avril dernier, c’est une mosaïque de Saint André qui faisait son grand retour à Chypre. Après plus de quarante années d’exil, elle est actuellement exposée au musée byzantin de Nicosie. Datant du VIème siècle après J.-C., elle provenait d’une église qui avait été pillée sur la côte nord de Chypre après l’occupation des Turcs en 1974 du nord de l’île qui fut alors scindée en deux parties : l’une, grecque (membre de l’Union européenne), et l’autre, turque (pour le tiers nord).
Dimanche 19 novembre, c’est une autre mosaïque – également volée – qui a refait le même chemin vers sa patrie d’origine.
Intacte, elle représente sous une auréole, l’apôtre et évangéliste Saint Marc, jeune, la barbe courte et taillée. A l’instar de celle qui représente Saint André, celle de Saint-Marc fait partie des quelques mosaïques rescapées de la période iconoclaste de l’Empire byzantin (de 726 à 843 après JC). Période durant laquelle les empereurs byzantins interdirent le culte des images et ordonnèrent la destruction systématique des représentations du Christ ou des saints, quelles qu’elles furent : mosaïques, d’icônes ou d’enluminures de livres. Ce qui fait dire, rapporte l’AFP, à Arthur Brand, un expert d’art néerlandais, que cette mosaïque est « l’un des derniers et plus beaux exemples d’art du début de l’ère byzantine. »
C’est ce détective en art volé, surnommé « l’Indiana Jones du monde de l’art » – ses découvertes vont des peintures surréalistes à une copie de l’Evangile de Judas, en passant par les œuvres volées par les nazis – qui a retrouvé la trace de la mosaïque chypriote, en août dernier.
La mosaïque appartenait depuis plus de 40 ans aux héritiers d’une famille britannique, qui avait acheté l’œuvre de bonne foi, explique l’agence de presse française. Grâce à une série d’intermédiaires, dont plusieurs dans le monde du marché noir, Arthur Brand a enquêté pendant près de deux ans à travers l’Europe, jusqu’à retrouver la mosaïque dans un appartement de la Principauté de Monaco. Sur son site, Arthur Brand déclare qu’il a reçu pour sa mission « tout le soutien nécessaire de la part de l’Eglise de Chypre et du gouvernement chypriote. » Les deux institutions lui « ont exprimé l’importance de cette mosaïque pour le patrimoine de Chypre. », écrit-il encore.
La mosaïque de Saint Marc aurait été réalisée vers 550 après J.-C. et se trouvait – comme celle de Saint André – à l’origine dans l’église de « Panagia (ndlr : mère de Dieu) Kanakarias » à Lytrangomi (à une centaine de kilomètres de Nicosie au nord-est de l’île méditerranéenne). Aujourd’hui, Lytrangomi (Boltaşlı en turc), est sous contrôle turc. A la fin de 1976, tous les Chypriotes grecs ont quitté la ville et se sont installés dans le sud de l’île.
« Ame du peuple chypriote »
Occupant la partie nord de l’île depuis 1974, les forces turques détruisirent plusieurs églises et monastères. Plus de 500 églises ont été ainsi vandalisées et pillées, ou transformées en écuries, entrepôts, restaurants et hôtels. « Des icônes et des mosaïques inestimables ont été détruites ou vendues au marché noir », explique Arthur Brand sur son site comme pour prouver sa profonde motivation à restituer ce trésor culturel à qui de droit.
La famille britannique propriétaire de la mosaïque représentant Saint Marc ignorait tout de son histoire. Comme le rapporte l’AFP, elle a accepté de rendre l’œuvre « au peuple chypriote », en contrepartie d’une somme symbolique. La relique a été remise à une délégation du département des antiquités chypriotes et à l’Eglise de Chypre lors d’une cérémonie à La Haye aux Pays-Bas le 16 novembre, selon l’agence de presse Cyprus News Agency. Le rapatriement de l’œuvre a été financé par l’Eglise grecque-orthodoxe et est ainsi parvenue au primat de l’Eglise grecque-orthodoxe de Chypre au palais archiépiscopal de Nicosie, le 19 novembre. Chrysostome II a pu l’admirer a indiqué le site de l’archidiocèse qui précise que « la mosaïque recevra l’entretien nécessaire du Département des antiquités. » La pièce sera présentée au public au musée byzantin de Nicosie.
Les médaillons de tesselles représentant les deux apôtres André et Marc sont deux fragments d’un gigantesque ensemble de mosaïques murales qui se trouvait dans les absides de l’église de Panagia Kanakarias. La plupart des fragments manquants ont été récupérés entre 1983 et 2015 mais certaines pièces sont encore perdues.
En 1989, Chypre avait poursuivi en justice un marchand d’art américain qui avait acheté plusieurs de ces mosaïques. Ce procès marquant fut le premier d’une série visant à récupérer des objets du patrimoine culturel chypriote. Cela signifiait que désormais, personne, y compris tout acheteur de bonne foi, ne pourrait s’approprier des objets volés. Cette année-là, quatre fragments montrant la partie supérieure du Christ, deux apôtres et un archange avaient été rendus après avoir longtemps circulé sur le marché de la contrebande culturelle.
Mais Arthur Brand estime que la mosaïque de Saint-Marc « est vraiment l’une des dernières pièces exceptionnelles à être restituée. » Et le détective de poursuivre qu’« il est incroyable de penser que cette œuvre d’art [ait] survécu pendant si longtemps. Elle fait partie de l’âme du peuple chypriote. » Il n’empêche qu’Arthur Brand est toujours à la recherche d’une partie perdue d’une mosaïque de la même église, qui représente Jésus et Marie. La section manquante concerne « les pieds du Christ ». Des rumeurs circulent selon lesquelles elle pourrait être localisée au Pays-Bas ou en Espagne. L’enquête continue.
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Une mosaïque de saint André, volée, rendue à Chypre – 1 mai 2018