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Le christianisme sioniste: aux fondements théologiques d’un soutien politique

Paul Turban
30 novembre 2018
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Le christianisme sioniste semble parfois se faire plus sioniste que chrétien, les prêches mêlant bien souvent politique et religion. Pourtant, il repose sur des bases théologiques multiséculaires et richement développées.


A cause de Sion, je ne me tairai point et à cause de Jérusalem je ne prendrai point de repos” (Is 62, 1). Cette devise porte l’engagement de nombreux chrétiens sionistes dans le monde entier. Les États-Unis, où le succès et l’influence des Églises évangéliques ne se démentent pas, sont particulièrement imprégnés de christianisme sioniste.

Une influence telle que certains groupes, comme les Christians United For Israël (CUFI), ne se cachent pas de recruter dans les rangs de l’Église mormone, voire plus largement encore. Bible en mains, ils scrutent l’histoire du jeune État hébreu, et par une interprétation biblique propre entre littéralité et concordisme, la relisent parallèlement pour y déceler les prémices de la fin des temps.

Il existe aux États-Unis de nombreux mouvements comme Christians United For Israel (CUFI, Chrétiens unis pour Israël). Selon un rapport du Pew Research Center réalisé en janvier 2018, 78 % des évangéliques blancs américains se disaient plus proches d’Israël dans le conflit qui l’oppose aux Palestiniens, alors qu’ils étaient seulement 46 % de l’ensemble des Étatsuniens à avoir cette position.

La théologie chrétienne sioniste est assurément une doctrine eschatologique. “Toi, tu te lèveras, tu auras pitié de Sion car le temps de lui faire grâce le moment fixé est venu. […] Les nations craindront alors le nom de YHWH, et tous les rois de la terre ta gloire” (Ps 102, 14-16). Le retour du peuple juif à Sion et le rétablissement de sa souveraineté sur la Terre promise apparaît comme un signe avant-coureur du retour prochain du Messie, Jésus. Cette pensée est un héritage de la Réforme. La relecture protestante de la Bible fait alors germer l’idée que la “restauration” des juifs en Terre promise est un prérequis au retour du Christ en gloire à la fin des temps : on parle de restaurationnisme.

En 1643 le huguenot français Isaac de Lapeyrère écrit Du rappel des Juifs. Il explique comment le “rappel” des juifs à la foi de leurs Pères sur le plan spirituel, c’est-à-dire leur conversion au christianisme, se fera concomitamment avec leur restauration en Terre promise, ce qu’il justifie par une lecture qu’il qualifie lui-même de “littérale” de la Bible. “Cette possession [de la Terre Sainte par les juifs], dis-je, sera nécessairement au Second établissement des juifs qui sera le rappel des juifs ; lorsque Dieu reviendra à main forte et bras étendu pour remettre son peuple en liberté” écrit l’auteur.

Il souligne ainsi la signification eschatologique d’un tel retour. John Hagee, pasteur du CUFI, dans une déclaration récente faisant suite à la décision du président D. Trump de déplacer l’ambassade étasunienne à Jérusalem, déclara : “L’horloge prophétique de Dieu ne fait pas tic-tac jusqu’à ce que les juifs soient dans le pays d’Israël. Cette horloge s’est remise en marche de nouveau quand la déclaration Balfour (de 1917, favorable à “l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour les juifs”, NDLR) est devenue réalité et que le peuple juif est revenu dans son pays.

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Je crois sur ce point que Israël est le chronomètre de Dieu pour tout ce qui arrive à toutes les nations […] depuis maintenant jusqu’à [la fin des temps].” Cette idée d’une précipitation de la fin des temps par le retour des juifs en Palestine reste une clef pour comprendre le soutien indéfectible d’une partie des évangéliques à l’État d’Israël.
Lecture littérale de la Bible, mais aussi concordisme : certains pasteurs sionistes tentent de faire correspondre la lettre de la Bible, principalement les combats eschatologiques, avec la situation géopolitique du Moyen-Orient.

En effet, la fin des temps est marquée par le combat d’Israël avec “Gog de Magog”, cité dans l’Apocalypse (Ap 20, 8) mais largement décrit dans le livre d’Ézéchiel (Ez 38). En décembre 2017, lors d’un sermon, John Hagee explique ainsi aux milliers de fidèles réunis pour son prêche : “Le jeu de trônes (‘Game of Thrones’, référence à la fameuse série, NDLR) a commencé ! La guerre de Gog de Magog d’Ez 38-39 a commencé !” Bible en main J. Hagee le démontre à ses fidèles par une lecture commentée de la prophétie.

Une instrumentalisation des juifs ?

“Gog, au pays de Magog, prince souverain de Mosoch et de Thubal”, sera à la tête d’une coalition qui cherchera à détruire Israël. Elle rassemblera “Perses, Éthiopiens et Libyens” ainsi que “Gomer” (Ez 38, 2-5). “Quand Ézéchiel parle de la Perse, de la Libye, et de l’Éthiopie, il parle des nations arabes islamiques”, explique le pasteur. Il ajoute que Gog, de Magog vient des “confins du nord” (Ez 38, 15) et représente donc la Russie. Puis, commente le pasteur, “quand la Russie amena ses forces militaires en Syrie, le 11 septembre 2015, c’était une réalisation prophétique dramatique”, avant d’expliquer que cette incursion russe a pour fin la conquête d’Israël. “La troisième guerre mondiale a commencé” selon Hagee, et ce sera le combat final, celui qui aboutira au retour du Christ.

Octobre 2018, fête des Tabernacles, grande marche des chrétiens-sionistes dans Jérusalem. Le sionisme-chrétien fait flores au rythme des courants évangéliques qui se développent en Amérique Latine ou en Afrique, mais aussi dans toute l’Asie, Philippine, Corée du Sud, Chine.

Ce discours eschatologique n’est pas revendiqué explicitement par toutes les Églises chrétiennes sionistes. C’est le cas de l’International Christian Embassy Jerusalem (ICEJ, Ambassade internationale chrétienne de Jérusalem), un autre groupe chrétien sioniste implanté à Jérusalem. Pour David Parsons, vice-président de l’organisation, cette théorie est “basée sur des interprétations erronées de passages prophétiques de la Bible […] mais c’est un système de croyances inoffensif dont les juifs ne devraient pas trop s’inquiéter. La plupart des adeptes de [cette théorie] ont un amour profond et constant pour Israël et ce ne sont pas eux qui forceraient Israël à se livrer à un ultime et grand scénario de conversion ou de mort, puisqu’ils seraient déjà au paradis” (site Web de l’organisation).

La prise de distance est mitigée, les croyants évangéliques étant particulièrement perméables à ces discours eschatologiques. Pourtant, la clarification est nécessaire : les chrétiens sionistes sont en effet régulièrement taxés par leurs détracteurs d’antisémitisme. Le juif américain Gershom Gorenberg, auteur notamment de The End of Days : Fundamentalism and the Struggle for the Temple Mount (La fin des temps : le fondamentalisme et la lutte pour le mont du Temple), a confié à la chaîne américaine CNN : “Les juifs meurent ou se convertissent. Comme juif, je ne peux me sentir à l’aise avec les sentiments de quelqu’un qui attend avec impatience ce scénario”. Il ajoute, à charge contre les chrétiens sionistes : “Si vous écoutez le drame qu’ils décrivent, c’est essentiellement une pièce en cinq actes dans laquelle les juifs disparaissent au quatrième acte.” (60 minutes, octobre 2002).

John Hagee, lui, se défend de tout antisémitisme, dans son ouvrage In Defense of Israel : “L’idée même d’un antisémitisme chrétien est un oxymore, une contradiction absolue dans les termes. Antisémitisme est synonyme de haine. Christianisme est synonyme d’amour.” Cette ligne de défense est partagée par l’ICEJ, tout comme une conviction fondamentale : la restauration d’Israël est œuvre divine, et doit à ce titre être fermement défendue.

“Dieu n’en a pas fini avec la nation d’Israël car elle deviendra un jour chef des nations. […] Par conséquent, les sionistes chrétiens soutiennent le retour du peuple juif à sa terre et la reconstruction de sa nation. Maintenant comme à travers l’histoire, les ennemis d’Israël cherchent à détruire l’État juif et à l’effacer de la surface de la terre, mais nous resterons avec Israël et ne serons pas silencieux”, peut-on lire sur le site de l’ICEJ, montrant par ailleurs que cette organisation n’est pas tout à fait détachée de considérations eschatologiques. Ces soutiens à l’État d’Israël soulignent aussi que l’Ancien Testament est rempli d’injonctions divines invitant à bénir le peuple élu, afin d’être béni entre retour.

Dieu dit à Abraham : “Je bénirai ceux qui te bénissent et ceux qui te maudissent je maudirai.” (Gn 12, 3). Pour les chrétiens sionistes, cet ordre s’applique au niveau individuel mais aussi au niveau national. Le chrétien qui bénit un juif sera béni en retour comme l’État (chrétien) qui bénit l’État d’Israël sera béni en retour.

Les montées chrétiennes-sionistes à Jérusalem sont aussi l’occasion pour ces fidèles de prier ensemble. Des prières auxquelles un nombre grandissant de rabbins déconseille de se rendre par peur de prosélytisme.

Dans l’argumentaire chrétien sioniste est omniprésente la critique de la théologie de la substitution, ou supersessionisme (du latin supersedere s’asseoir dessus). Selon cette doctrine, la Nouvelle Alliance, dans la mort et la Résurrection du Christ, supplante et annule l’Ancienne Alliance scellée par Dieu avec Moïse. Cela repose sur une prétendue culpabilité collective des juifs dans la mort du Christ.

Le peuple décrit comme déicide n’est plus peuple élu : c’est l’Église qui est la nouvelle “race choisie”, la nouvelle “nation sainte” (1P 2, 9). Cette doctrine a été abandonnée par l’Église catholique à Vatican II, mais reste la position officielle de plusieurs autres Églises. Les différents mouvements chrétiens sionistes affirment au contraire la permanence de l’élection d’Israël, car selon le psalmiste, “[Dieu] ne [violera] pas [son] alliance et [il] ne [changera] pas la parole sortie de [ses] lèvres.” (Ps 89, 35).

Plus encore, les chrétiens sionistes cultivent une certaine déférence envers le judaïsme, fruit de la première Alliance. Pour le justifier, ils se fondent sur le chapitre 11 de l’épître aux Romains, dans lequel Paul compare Israël à un “olivier franc” dont les branches, les juifs incrédules, ont été retranchées, et sur lesquels les Gentils ont été greffés. “Mais eux aussi [les juifs], s’ils ne se maintiennent pas dans l’incrédulité, ils seront entés (= greffés, NDLR), car Dieu est capable de les enter de nouveau, car si toi, tu as été coupé d’un olivier de nature sauvage et contrairement à ta nature enté sur l’olivier franc à plus forte raison celles-ci seront-elles entées sur leur propre olivier.” (Rm 11, 24-25).

Aussi, comme branche de “l’olivier franc”, les juifs convertis seront plus facilement greffés que les non-juifs, et cela doit cultiver chez les chrétiens un rapport de déférence vis-à-vis du peuple élu. Leur incrédulité est pour les chrétiens sionistes source de bénédictions car, s’appuyant là encore sur l’épître aux Romains, “par leur chute, le Salut est arrivé aux Gentils” (Rm 11, 11). Ainsi, s’ils affirment que tous les hommes sont appelés à être sauvés en Jésus-Christ, ils semblent parfois sous-entendre que le Salut peut aussi être obtenu par la seule stricte observance de la Loi juive, en en adoptant certains usages comme la cacherout ou encore la célébration de fêtes juives.


Citations-clefs du discours sioniste chrétien

Voici un aperçu non exhaustif de citations bibliques trouvant un écho particulier dans les discours sionistes chrétiens :
[Dieu à Abraham] “Je bénirai ceux qui te bénissent et ceux qui te maudissent je maudirai. Par toi se béniront toutes les tribus de la terre.” Gn 12, 3 : lue littéralement, elle s’applique à l’échelle individuelle comme collective (nationale notamment).

“Je ne violerai pas mon alliance et je ne changerai pas la parole sortie de mes lèvres.” Ps 89, 35 : l’une des citations utilisées pour rappeler la permanence de l’élection d’Israël.

“Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.” Is 40, 1 : interprétée comme une injonction à soutenir le peuple et l’État d’Israël. Isaïe est très souvent cité par les sionistes chrétiens.

“Le désert et la terre se réjouiront, la steppe sera dans l’allégresse et fleurira comme le narcisse, il se couvrira de fleurs et tressaillira […] Ils verront la gloire de Yahvé.” Is 35, 1-2 : annonce du fleurissement du désert, assimilé aux cultures faites dans le Néguev notamment, interprété comme le signe de la bénédiction divine de l’État d’Israël.

“Le Salut vient des juifs.” Jn 4, 22 : utilisée à de nombreuses reprises non simplement comme un rappel de l’origine juive du christianisme mais comme une affirmation permanente et prophétique.

 

Dernière mise à jour: 05/03/2024 11:17

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