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Le gardien de la clé du Saint-Sépulcre au coeur d’un scandale

Christophe Lafontaine
12 novembre 2018
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Adeeb Joudeh, palestinien, dont la famille garde la clé du Saint-Sépulcre depuis des siècles, est accusé d’avoir vendu – indirectement – sa maison de la Vieille Ville de Jérusalem à des colons israéliens. Ultra-sensible.


Il est celui par qui le scandale est arrivé. Et pourtant il clame son innocence. Il a cru vendre sa maison à un Palestinien. Mais depuis un mois ce sont des juifs israéliens qui y logent. Adeeb Joudeh dit pourtant avoir fait confiance à un courtier palestinien qui a ensuite revendu sa propriété à une organisation de colons israéliens. Le bâtiment en cause appartenait à sa famille dont la notoriété n’est plus à prouver. Dans la famille Joudeh, Adeeb (55 ans) est celui qui a reçu de son père la garde de la clé de la basilique du Saint-Sépulcre. Une clé transmise de génération en génération. Tradition dont la première trace écrite remonte à l’époque ottomane même si selon la famille, l’usage court depuis une décision du calife Omar en 637, reconduite par Saladin (1138-1187). A noter que ce sont deux familles musulmanes qui se vont vues conférer, pour l’une – les Joudeh – la garde de la clé du lieu saint le plus important pour les chrétiens, et pour l’autre – les Nusseibeh – la responsabilité de l’ouverture et de la fermeture de la basilique. Deux charges distinctes et complémentaires qui à l’origine ont été instituées pour neutraliser les disputes entre les communautés chrétiennes qui avaient la garde du tombeau du Christ. Mais dans la Jérusalem d’aujourd’hui, le conflit entre Juifs Israéliens et Palestiniens semble venir remplacer les querelles entre les Eglises.

L’Etat hébreu considère toute la ville de Jérusalem comme sa capitale, alors que les Palestiniens veulent faire de Jérusalem-Est (qui englobe la Vieille Ville) la capitale de leur futur état. Les Palestiniens et la communauté internationale ne reconnaissent pas l’occupation de Jérusalem-Est depuis la guerre des Six-Jours (1967). Pour une grande partie de la communauté internationale, les ambassades ne doivent d’ailleurs pas s’y installer tant qu’il n’y a pas d’accord sur le statut de la ville, négocié entre Israéliens et Palestiniens.

Or, des organisations ultra-nationalistes juives n’hésitent pas à racheter des maisons palestiniennes à Jérusalem-Est et notamment dans la vieille ville de Jérusalem en faveur de colons juifs israéliens. Ces organisations sont accusées de participer à un processus de « judaïsation » des quartiers historiquement musulman, chrétien et arménien de la ville sainte. Les transactions se font la plupart du temps dans la plus grande discrétion à travers des sociétés financières off-shore (souvent anonymes).

Preuve de la sensibilité du dossier, la semaine dernière, a rapporté le quotidien israélien Haaretz, un prédicateur de la mosquée d’al-Aqsa a publié une fatwa interdisant aux musulmans devendre des biens palestiniens aux juifs israéliens.

Tempête en eaux troubles

Vu le rôle central et historique de la famille d’Adeeb Joudeh depuis des siècles dans la vieille ville de Jérusalem, on comprend pourquoi la vente de sa maison située dans le quartier musulman non loin du Mont du Temple/Esplanade des mosquées, le voue aux gémonies. Car c’est bien une association israélienne qui œuvre pour la colonisation de Jérusalem-Est qui s’est vue octroyer la propriété du gardien des clés du Saint-Sépulcre. En l’occurrence, Ateret Cohanim.

Selon Haaretz, qui a consulté le registre foncier, un courtier palestinien du nom de Khaled Atari a en effet acheté la maison en avril dernier pour 2,5 millions de shekels (694 000 dollars) mais l’a cédée le même jour à une société enregistrée sur une île des Caraïbes (un paradis fiscal), nommée Daho Holdings, « avant que celle-ci ne finisse dans le giron de l’organisation Ateret Cohanim », explique Le Figaro.

Il paraît loin le temps où les Palestiniens avaient félicité Adeeb Joudeh quand, en décembre 2017, il avait publié un communiqué pour refuser d’ouvrir le Saint-Sépulcre au vice-président américain Mike Pence après que les Etats-Unis eurent déplacé leur ambassade de Tel Aviv à Jérusalem. A relativiser toutefois car une telle décision n’appartient pas à lui seul puisqu’il existe une procédure prévue par le statu quo qui implique également les trois Eglises gardiennes du lieu saint et son coreligionnaire de la famille Nusseibeh…

Toujours est-il que l’ex-propriétaire, embarqué dans une tempête en eaux troubles, fait tout pour montrer son innocence. Pour lui, le vrai coupable est le courtier par qui la transaction immobilière s’est réalisée. Cité par Le Figaro, le gardien de la clé du Saint-Sépulcre dit avoir été « trahi » par son acheteur qui a revendu le bien à des juifs Israéliens.  Adeeb Joudeh aurait mis sa maison en vente en 2012. « Je me suis d’abord tourné vers l’organisme religieux Waqf (ndlr : administrateur musulman des Lieux Saints de Jérusalem) et d’autres sociétés palestiniennes, mais cela ne les intéressait pas. Nous voulions que le bâtiment reste entre de bonnes mains, sous le contrôle des Palestiniens, mais personne ne le voulait. », a-t-il détaillé, en étant cité dans les colonnes du Haaretz.

Il y a deux ans, Fadi Al-Salamin, militant palestinien vivant aux Etats-Unis s’est montré intéressé pour acheter le bien foncier d’Adeeb Joudeh. Or, l’homme d’affaires est connu pour être proche de Mohammed Dahlan, l’ennemi juré du président palestinien Mahmoud Abbas qu’il accuse de corruption. Haaretz explique que l’Autorité palestinienne aurait voulu régler ses comptes en empêchant la transaction. Ainsi, « lorsque le banquier Khaled Atari (ndlr : le courtier sulfureux), s’est présenté, j’ai consulté les autorités palestiniennes et des notables de la ville qui m’ont donné leur feu vert. On m’a dit que je pouvais lui faire confiance », se défend Adeeb Joudeh comme le rapporte Le Figaro. Khaled Atari était en effet connu pour avoir des liens avec de hauts responsables de l’Autorité palestinienne, en particulier avec le chef des services de renseignements palestiniens, Majad Faraj, candidat à la succession de Mahmoud Abbas.

Pressions

Il n’en fallait pas plus pour que le scandale politico-familial s’ébruite dans tout Jérusalem-Est du fait, d’une part de la notoriété de la famille Joudeh mais aussi pour l’implication possible de hautes personnalités de l’Autorité palestinienne. Selon le média arabe, al-Monitor, le Premier ministre palestinien Rami Hamdallah a mis en place un comité chargé de tirer au clair cette affaire.En attendant, le ministre des Affaires de Jérusalem du gouvernement palestinien, Adnan Husseini, a déclaré au même journal que, compte tenu des problèmes liés au domicile de Adeeb Joudeh, il serait préférable que les clés de la basilique lui soient ôtées. « Ce qui s’est passé avec la maison familiale ne peut être ignoré », a-t-il asséné. Hanna Issa, secrétaire-général de la Commission de soutien islamo-chrétienne de Jérusalem et des lieux saints, a déclaré au même média qu’il préférerait que la clé du Saint Sépulcre soit confiée à un autre membre de la famille Joudeh mais ne consentant à aucun changement dans le statu quo afin que l’administration du lieu saint se poursuive comme c’est le cas depuis des décennies.

D’après le Haaretz du 4 novembre, une branche de famille Joudeh, a même publié une déclaration inhabituelle, affirmant qu’elle voulait retirer la clé du Saint-Sépulcre à Adeeb Joudeh. Mais ce dernier a refusé. Malgré la pression de la famille, de la rue palestinienne, des politiques, et même sous des menaces de mort (selon Haaretz), Adeeb Joudeha déclaré au al-Monitor qu’il était honoré d’avoir reçu les clés des générations précédentes de sa famille et qu’il ne les abandonnerait pas. « Mon père avait les clés et son père avant lui, et je remettrai volontiers les clés de mon fils aîné le moment venu, comme cela a été la tradition dans notre famille. » Pour l’heure, comme chaque aube, la basilique a rouvert ses portes et la clé est toujours sous la garde d’Adeeb Joudeh.

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