Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

L’un des plus anciens portraits du Christ révélé à Shivta

Christophe Lafontaine
14 novembre 2018
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Très rare ! Des chercheurs israéliens ont découvert à Shivta l’une des plus vieilles représentations du visage de Jésus en Terre Sainte. Datant de l’époque byzantine, elle se rapproche plutôt de l'iconographie orientale.


Cheveux mi-longs, bouclés. Le visage long et ovale d’un jeune homme adulte. De grands yeux. Le nez allongé et les joues rasées de frais. Tels sont les traits qui dépeignent selon toute vraisemblance un portrait du Christ, remontant au VIème siècle ap.J.-C, d’après les estimations d’Emma Maayan-Fanar, historienne de l’art en collaboration avec les archéologues Ravit Linn, Yotam Tepper, Guy Bar-Oz de l’Université de Haïfa, auteurs de cette découverte dans une église de Shivta. Un ancien village agricole byzantin dans le désert du Négev (sud d’Israël) à environ 40 km au sud-ouest de Be’er Sheva fondé au Ier siècle après J.-C. par les Nabatéens, ayant atteint son apogée à l’époque byzantine avant de perdre de l’importance au début de la période islamique (VIIème siècle). Dans cette cité, s’élèvent trois églises, et le dessin du visage présumé de Jésus figure dans l’église dite du nord.

La découverte a été rapportée dans la revue scientifique consacrée à l’archéologique mondiale, Antiquity : « Le visage du Christ révélé à Shivta ». L’équipe de recherche a qualifié la découverte d’« extrêmement importante. »

Le fond de la question n’est pas de savoir s’il s’agit là d’un visage se rapprochant de celui du Christ. D’ailleurs, les évangiles ne décrivent pas l’apparence de Jésus et les artistes des époques ultérieures ont plus souvent voulu insister sur le message évangélique à transmettre que sur une figuration précise des traits qu’aurait eus Jésus. Ce qui retient l’attention de cette découverte est le fait que l’art primitif chrétien a très peu (voire presque pas) survécu en Terre Sainte et a fortiori les premières représentations de l’apparence physique de Jésus. Or le portrait de Jésus à Shivta est un témoignage d’autant plus précieux qu’il a été retrouvé à moins de 250 km à la ronde des lieux que Jésus a parcourus durant sa vie publique.

A ce jour, le plus vieux portrait que l’on connaisse du Christ a été retrouvé à l’est de la Syrie. Il s’agit d’une peinture murale autour du baptistère de la Domus ecclesiae (maison d’église) sur le site archéologique de Doura-Europos remontant à la première partie du IIIème siècle ap. J.-C. La première peinture représente un Jésus (jeune aux cheveux courts), comme le Bon Pasteur, portant un mouton sur son épaule ; la seconde relate l’épisode de la guérison du paralytique par le Christ qui apparaît là aussi jeune et imberbe. Ces représentations offrent les mêmes caractéristiques physiques que le portrait retrouvé à Shivta. Ce qui fait dire que la découverte israélienne est une représentation répondant aux canons de l’iconographie de type orientalde l’époque, s’éloignant ainsi de la tradition byzantine. « Il appartient au schéma iconographique d’un Christ aux cheveux courts, particulièrement répandu en Egypte et en Syro-Palestine, mais qui a disparu de l’art byzantin plus tard », a déclaré l’équipe de recherche dans Antiquity. De fait, ces autres conceptions représentent souvent Jésus aux cheveux longs et tombants, et parfois avec une barbe.  Ces détails sont des importations spécifiques de l’iconographie du monde gréco-romain.

Un visage peut en cacher un autre

« J’étais là au bon moment, au bon endroit avec la bonne lumière et, d’un coup, j’ai vu des yeux. C’était le visage de Jésus en plein baptême, qui me regardait », explique Emma Maayan-Fanar au quotidien Haaretz, le 12 novembre. Comme s’il s’était agi d’une apparition.

Mais c’est grâce à son mari Dror Maayan, photographe professionnel qui a pris des clichés de très haute résolution, que l’image vieille de 1500 ans aux marques rouges peu visibles à l’œil nu, après avoir traversé des siècles d’histoire et de poussière de sable, s’est clarifiée, a pu être examinée et reconstruite par Emma Maayan-Fanar en personne. A noter que le cou et la partie supérieure du visage sont également observables. Des archéologues qui avaient exploré le site dans les années 1920 avaient cru deviner quelque chose mais ne s’étaient finalement pas attardés sur la question, explique l’historienne de l’art à Haaretz. A cause de sa mauvaise conservation notamment.

Le portrait mural qui nous intéresse se trouve dans la voûte en cul de four de l’abside qui abritait un baptistère, juste à l’extérieur de l’église du nord à Shivta. Cette position en hauteur explique peut-être qu’il soit passé au travers des fouilles du site durant des années. A gauche de la figure du Christ, se décèle un autre visage plus grand que celui du Christ et moins jeune. Suivant les conventions iconographiques de la période chrétienne primitive, c’est ainsi qu’étaient représentés Saint Jean-Baptiste et Jésus pour illustrer le baptême de ce dernier dans le Jourdain. Le Christ recevant le baptême avait des traits jeunes pour symboliser la renaissance à la vie. Les deux dessins découverts dans l’abside d’un baptistère semblent confirmer cette hypothèse. Des traces de peinture suggèrent par ailleurs que ces visages faisaient partie d’une scène plus large, avec des personnages supplémentaires. Selon l’équipe de chercheurs, cette représentation est la première scène de baptême du Christ de la période pré-iconoclaste retrouvée en Terre sainte.

L’an dernier, la technique de l’imagerie par luminescence induite visible (VIL) a permis de mieux comprendre une autre scène murale se trouvant aussi à Shivta dans une autre église (l’église du sud) – celle de la Transfiguration découverte en 1914 – en révélant les rayons de lumières sortant du corps du Christ et illuminant les autres personnages, illustrant alors parfaitement cet épisode central des évangiles. Malheureusement, le visage du Christ, n’a pas survécu aux siècles et n’est plus visible.On ne connaissait jusqu’à l’année dernière que deux images de sa transfiguration à la période antérieure à l’iconoclasme ayant survécu au temps et aux destructions : l’une à Ravenne, en Italie (mais le Christ et ses disciples ne sont pas représentés avec des figure humaines); et l’autre au monastère Sainte-Catherine du Sinaï (datant de 548-565). La plus connue.

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