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Ce que dit la présence du roi de Jordanie aux fêtes de Noël

Christophe Lafontaine
21 décembre 2018
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En assistant le 18 décembre à l’événement de Noël, intitulé « La Jordanie, Terre d’amitié, Terre de foi » par les Eglises, Abdallah II a écouté les chefs chrétiens et musulmans sur les défis du pays et sur Jérusalem.


Un Noël pour tous. Car « nous formons une seule famille », a dans ce sens déclaré mardi dernier Mgr Pizzaballa, l’Administrateur apostolique du Patriarcat latin. C’est véritablement dans cet esprit de fraternité qu’Abdallah II de Jordanie, accompagné du prince héritier, a assisté à une célébration réunissant plus de 500 personnes au centre culturel du roi Hussein, à Amman. Organisées sur deux jours par les Eglises chrétiennes en Jordanie à l’occasion de Noël et du nouvel an, ces célébrations avaient pour thème « la Jordanie, Terre d’amitié, Terre de foi ».

Si l’Islam est la religion d’Etat en Jordanie, c’est toutefois d’abord devant les responsables chrétiens de Terre Sainte que le souverain a adressé ses meilleurs vœux en cette période de fêtes, aux Jordaniens, aux Palestiniens et à tous les chrétiens arabes. On se rappelle qu’en 1999, soucieux de préserver le tissu social du royaume qui compte environ 6% de chrétiens, le jeune roi en accédant au trône, avait déclaré que Noël était pour tous. Musulmans comme chrétiens. Par ailleurs, dans le pays les banques ferment pour Noël, et les employés chrétiens bénéficient d’un jour de congé.

Comme un signe d’unité entre les deux rives du Jourdain, le président palestinien Mahmoud Abbas était aussi présent ainsi que des représentants du waqf de Jérusalem (la fondation islamique qui gère l’esplanade des Mosquées, sous responsabilité jordanienne).

Des chants de Noël interprétés par le chœur jordanien catholique « la Fontaine d’amour » ont ponctué les discours officiels qui ont, selon le Palais royal, souligné que « Noël était une occasion de célébrer la paix et l’amour, et de promouvoir l’importance de vivre en harmonie. »

Une marque à laquelle est fondamentalement attaché le roi de Jordanie, dont la famille prétend descendre de Hâchim, l’arrière-grand-père du prophète Mahomet. Aux commandes d’un petit royaume au milieu des grands conflits régionaux, Abdallah II ne tarit pas d’efforts, c’est reconnu, pour continuer à faire de son royaume « une pierre angulaire de la stabilité de la région » comme l’a fait valoir mardi, Mgr Pizzaballa, et de maintenir un climat favorable au respect mutuel entre les différentes religions.

Ce n’est pas un hasard si le travail du souverain jordanien pour promouvoir dans la région un islam pacifique, revendiqué comme modéré, et pour mettre un terme à la violence religieuse au Moyen-Orient a été gratifié en novembre via le prix Templeton 2018 décerné au roi pour ses actions dans la compréhension interreligieuse. La Fondation John Templeton a déclaré qu’Abdallah II avait « davantage agi pour l’harmonie dans l’islam, et entre l’islam et les autres religions, que tous les autres responsables politiques. » A noter que le roi a décidé de consacrer une partie de la dotation liée au prix (une enveloppe d’environ 1,5 million d’euros) à la rénovation de l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem.

La récompense accordée au roi a d’ailleurs été vivement saluée (et ses efforts soutenus) par les deux plus hauts représentants des Eglises chrétiennes en Terre Sainte, le patriarche grec-orthodoxe Theophilos III dont l’intervention a été lue par l’archevêque d’Amman, et l’Administrateur apostolique du Patriarcat latin, Mgr Pizzaballa. Ce dernier n’a pas d’ailleurs pas hésité à souligner « la beauté de la coexistence religieuse et des dialogues fructueux qui rapprochent toujours plus toutes les communautés » en Jordanie. Faisant référence à « l’esprit du message d’Amman » (2004) qui cherche à clarifier la vraie nature de l’islam et qui appelle toutes les nations musulmanes à promouvoir les Droits de l’Homme et les libertés fondamentales.

Points de vigilance et appels

Si l’époque de Noël est propice aux vœux et aux gratifications, et que les yeux se tournent logiquement vers Bethléem, c’est pourtant Jérusalem qui fut au cœur de l’attention de chacun. L’Administrateur apostolique pour l’Eglise catholique latine de Jérusalem et le patriarche grec-orthodoxe Theophilos III de Jérusalem n’ont, de fait, pas tu leurs inquiétudes en particulier au sujet des chrétiens de Jérusalem face aux tentatives israéliennes qui pourraient menacer l’avenir des biens des Eglises en matière de fiscalité et de droit immobilier. Mettant en danger la stabilité et la viabilité des communautés chrétiennes du reste profondément attachées au caractère universel de la ville sainte qui, comme elles l’ont rappelé, œuvrent pour les habitants de Terre Sainte (juifs, chrétiens et musulmans) dans les domaines scolaire, sanitaire, caritatif et même touristique à travers les pèlerinages. « Malheureusement, a déploré Mgr Pizzaballa, ces derniers mois, nous avons dû faire entendre notre voix à plusieurs reprises pour garantir la liberté et le respect de nos institutions, et ce parfois par des initiatives extrêmes telles que la fermeture du Saint-Sépulcre. » Un constat partagé par l’Eglise grecque-orthodoxe qui évoque une Eglise qui souffre face aussi aux actes de vandalismes perpétrés par des extrémistes juifs contre des églises avançant le chiffre de 50 lieux de cultes « brûlés et détruits » depuis 1967. Le Patriarche a également sonné l’alerte sur « les dangers résultant des enseignements et des positions hérétiques de certains groupes qui parlent au nom du christianisme. » Ciblant les groupes évangéliques qui « adoptent des croyances et des enseignements qui ne pourraient pas être plus éloignés du Christ et de ses enseignements. » Les accusant de falsifier l’histoire.

Pour toutes ces raisons, les deux leaders chrétiens encouragent le roi à porter la voix des chrétiens et des musulmans dans les réunions internationales. Avec pour leitmotiv, la préservation « du fragile équilibre de la ville sainte » au nom de « la justice et la vérité », a déclaré Mgr Pizzaballa.

Theophilos III a défendu de nouveau la solution à deux États, israélien et palestinien, avec Jérusalem-Est comme capitale palestinienne. Pour lui, il n’y a pas d’alternative au risque d’avoir « davantage de conflits religieux, d’extrémisme et d’agression contre les droits des autres. » Il a également lancé un appel afin que toutes les Eglises du monde soutiennent la garde hachémite qui protège « le Saint-Sépulcre, les lieux saints et nos églises historiques en Terre Sainte. » En vertu de son traité de paix de 1994 avec Israël, la Jordanie est reconnue comme la gardienne des lieux saints chrétiens et musulmans de Jérusalem.

Le Cheikh Abdul Azim Salhab, chef du Haut conseil des Waqfs à Jérusalem,après avoir présenté « [ses] vœux les plus chaleureux à tous nos frères et sœurs chrétiens », a salué les efforts déployés sur la scène internationale du roi Abdallah. Qualifiant la Jordanie de « ligne de défense solide pour Jérusalem et ses lieux saints », y compris l’église du Saint-Sépulcre.

Le symbole des sapins de Noël en Jordanie

Elargissant son discours sur l’instabilité politique régionale et les conséquences diplomatiques, économiques et sociales en Jordanie, pays qui a accueilli 1,5 million de réfugiés syriens et irakiens, Mgr Pizzaballa a martelé devant le roi et le public, qu’il était « d’autant plus nécessaire que nous travaillions tous ensemble pour que l’équilibre social et religieux de notre société soit toujours stable et solide. » Ce qui n’est jamais acquis. Comme en a témoigné récemment une publication dans un média jordanien, accusé d’avoir offensé les chrétiens via une image polémique détournant un célèbre tableau de la Cène représentant le Christ et les apôtres.

Pour maintenir un équilibre de coexistence, on a pu remarquer dans le royaume plusieurs marques de sympathieà l’occasion des allumages des sapins de Noël dans certaines villes. Dimanche dernier, c’est la reine Rania, épouse d’Abdallah II qui s’est rendue à Fuheis, ville majoritairement chrétienne pour l’inauguration du sapin de la ville. La reine, d’après le Palais royal, a décrit cet arbre de Noël comme « un symbole non seulement de la sainte fête de Noël, mais aussi de l’amour que tous les Jordaniens ont les uns pour les autres. » Insistant sur « le véritable sens de la fraternité et de la coexistence » que la Jordanie incarne. A Madaba, c’est Premier ministre Omar al-Razzaz qui a allumé l’arbre de Noël du centre-ville.

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